Le lieutenant Versiga a l’étoffe des héros de romans noirs : ancien boxeur professionnel, champion de tir, survivant de l’ouragan Katrina, il est flic dans l’État du Mississippi et consacre son temps libre à élucider des cold cases. Pour résoudre le meurtre d’une femme noire survenu dans les années 1970, il va devoir arracher, cinquante ans plus tard, les aveux du serial killer le plus important de son pays, l’effroyable Samuel Little. Une enquête longue de plusieurs années dans le bayou qui poussera le lieutenant à remettre en cause ses convictions les plus profondes.
Un bon livre tient parfois, avant toute chose, à son ou ses personnages. Dans la fiction comme dans la non-fiction, ils peuvent suffire à donner corps au récit. L’avantage de la fiction c’est qu’un ou des bons personnages sont construits et peaufinés. Avec un minimum de talent, il suffit à l’auteur de réunir les bons ingrédients et de les assembler pour qu’une certaine forme de magie opère, qu’ils prennent vie dans l’esprit du lecteur, qu’ils deviennent assez consistants pour faire illusion. Pour la non-fiction, c’est bien évidemment différent. Là, le challenge réside d’abord dans le fait de trouver une ou des personnes, dont la personnalité et les actions puissent légitimer, à elles seules, l’écriture d’un livre. Avec le lieutenant Versiga, Raphaël Malkin a trouvé le candidat idéal à qui consacrer un livre.
Bienvenue à Pascagoula, Mississippi, petite ville d’environ 20 000 habitants qui n’évoquera rien à personne, ou bien peu de monde, puisqu’il ne s’y passe pas grand-chose de notable. Un petit trou paumé avec ses petits crimes. Par acquis de conscience, j’ai quand même tapé le nom de la ville dans Google. J’ai cliqué sur le premier lien. Apparemment, l’évènement le plus marquant qui s’y soit déroulé, et possiblement le seul, est une affaire de rapt de deux collègues, en 1973, par des extraterrestres, qui connaîtra un retentissement international. Ça en dit long. C’est pourtant là-bas que nous emmène Raphaël Malkin, journaliste à Society, qui lors d’un reportage a rencontré un homme assez singulier et attachant pour lui donner envie de lui consacrer un bouquin. En tant que lecteur, on partage rapidement l’enthousiasme justifié de l’auteur pour son sujet. Il a vu juste.
Le lieutenant Versiga est un flic à l’américaine, qui croit en son boulot et pour lequel il fait montre d’une efficacité qui fait sa réputation. C’est un as de la gâchette et un enquêteur avec du flair. Qu’importe l’importance des affaires qu’il est tenu de traiter, il met un point d’honneur à les mener à bien, de la manière qui lui semble le plus juste possible. Avec Versiga, oubliez les clichés racistes du Sud. Il mène son boulot à bien. Point. Les affaires à traiter n’ont rien de très sensationnel. Une sorte de routine qui manque un peu de piment mais dans laquelle il se coule aisément, espérant néanmoins toujours faire face à des défis à la hauteur de ses compétences. Ce qu’il attendait finit par arriver. En ouvrant le dossier d’une vieille affaire non élucidée, il se donne pour mission d’apporter justice à ce l’on appelle généralement une Jane Doe, une victime non identifiée. Ce dossier l’obsèdera et l’occupera des années durant, le menant sur les traces d’un des plus terribles serial killers des Etats-Unis.
Si son boulot est au centre de sa vie, il n’en reste pas moins un homme avec une vie de famille bien remplie. Une famille qui n’imaginait pas un jour devoir affronter, coup sur coup, les ravages de l’ouragan Katrina, puis de la crise économique. Mais Darren Versiga, toujours déterminé, tient bon. Il n’est pas homme à se laisser abattre. Raphaël Malkin le définit ainsi : « A sa manière, Darren Versiga est à lui tout seul ce que l’Amérique des plaines est tout entière : un peu bas du front et généreux. »
Avec humilité, Raphaël Malkin dresse un portrait tendre et juste du lieutenant Versiga, pour qui il a à l’évidence un profond respect en tant qu’être humain. Il nous dépeint sa vie avec un regard toujours bienveillant, nous donnant à voir un peu toutes les facettes du bonhomme. L’enquête qui bouleversera le quotidien de Versiga a tout pour passionner le lecteur. Pour autant, ce qui fait véritablement la force du livre, ce n’est pas le déroulé de l’enquête en soi, c’est surtout d’avoir toujours pris soin de garder l’humain au centre du récit. Le constat me semble évident, Lieutenant Versiga de Raphaël Malkin est une franche réussite.
Brother Jo.
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