Chroniques noires et partisanes

Étiquette : liana levi

PLAN AMERICAIN de Seth Greenland / Editions Liana Levi

Bleecker and Bowery

Traduction : Adélaïde Pralon

New York, fin des années 70. La ville est sale, les immeubles délabrés, et il ne fait pas bon s’y promener seul après minuit, mais elle bouillonne de créativité. Les cinémas d’art et d’essai pullulent, les films au casting majoritairement noir connaissent leur âge d’or, et tous les espoirs d’une mixité harmonieuse semblent permis. C’est là que Paul, alias Pablo, fils d’un marchand de boutons juif, rêve de lancer sa carrière de cinéaste. Et que Jay Gladstone, promis à un avenir tout tracé dans l’immobilier, ambitionne de produire son premier long-métrage. Dans le rôle principal, Avery, comédienne afro-américaine qui voudrait devenir une star du grand écran. Un projet aussi ambitieux que fou, porté par l’enthousiasme de la jeunesse, qui pourrait bien rencontrer quelques obstacles…

Pour Plan américain, son sixième roman publié chez Liana Levi, l’américain Seth Greenland a fait le choix délibéré de ne pas le présenter aux éditeurs américains et de le sortir directement en France, celui-ci laissant entendre que son contenu est trop dérangeant dans le contexte actuel qui ne permettrait plus aux auteurs de pouvoir écrire sur ce qu’ils veulent, notamment pour un blanc de créer des personnages noirs (voir interview de L’Express). Si c’est pour ma part mon premier livre de l’auteur, les lecteurs familiers de son œuvre retrouveront ici des personnages de Mécanique de la chute, le précédent roman de Seth Greenland, les deux romans pouvant néanmoins être lus indépendamment.

Bienvenue à New York, quelques années avant l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir, aux côtés du jeune Paul Schwartzman encore pétri d’idéaux et d’illusions. Il rêve de cinéma mais produit essentiellement des chroniques pour une revue porno. C’est qu’il faut bien payer les factures en attendant des jours meilleurs. A l’époque qui est la sienne, la ville encore violente et chaotique est en plein bouillonnement culturel. La blaxploitation, genre de films au casting afro-américain, a le vent en poupe, et la culture punk se répand elle aussi. Que de stimulus créatifs pour Paul qui ne sait pas encore trop où il va. Sa petite amie du moment, Kit, avec qui il se mariera pour lui éviter d’être renvoyée dans son pays par l’immigration à la fin de son visa étudiant, le pousse à écrire un scénario dans lequel elle pourrait tenir un rôle important plutôt que de tourner pour de petits films étudiants. Alors que Paul s’y affaire, sa route croise celle de Jay Gladstone, un ancien ami aujourd’hui dans l’immobilier. Cette amitié retrouvée va bousculer le quotidien de Paul quand Jay lui annonce sa volonté de produire un film dont Paul serait le scénariste. Un scénario qui va évoluer et pousser Paul à s’engager, non seulement dans l’écriture de celui-ci, mais aussi dans sa réalisation. C’est une aventure enivrante qui débute mais qui va connaître son lot de péripéties.

Avec Plan américain, Seth Greenland nous plonge, non sans humour, dans le New-York de sa jeunesse. Une plongée particulièrement riche et immersive tant il maîtrise son sujet. Le décor est parfaitement posé et ses personnages finement construits. Tout est très réaliste. On se délecte de son roman rien que pour le voyage qu’il nous permet de vivre. Au cœur de son roman se trouve notamment le sujet des relations raciales aux Etats-Unis qui reste encore pleinement d’actualité aujourd’hui. 

Si on aime apparemment à dire que Seth Greenland est le digne héritier de Philip Roth, je vous laisse juge de cela, il est indéniablement un excellent écrivain. Plan américain est un roman d’initiation perspicace et intimement new-yorkais dont on ne peut qu’apprécier la lecture. Il ferait sans nul doute un très bon film 

Brother Jo.

MISSISSIPI SOLO de Eddy L. Harris / Liana Levi

Traduction : Pascale-Marie Deschamps

Le Mississippi. Un fleuve mythique qui descend du lac Itasca dans le Minnesota jusqu’au golfe du Mexique, en passant par Saint-Louis et La Nouvelle-Orléans. Impétueux et dangereux, il charrie des poissons argentés, des branches d’arbre arrachées, des tonnes de boue, mais aussi l’histoire du pays et les rêves d’aventure de ses habitants. À l’âge de trente ans, Eddy décide de répondre à l’appel de l’Old Man River, de suivre en canoë son parcours fascinant pour sonder le cœur de l’Amérique et le sien, tout en prenant la mesure du racisme, lui qui ne s’est jamais vraiment vécu comme Noir. Au passage, il expérimentera la puissance des éléments, la camaraderie des bateliers, l’admiration des curieux ou l’animosité de chasseurs éméchés. Mais aussi la peur et le bonheur d’être seul. 

Quand j’ai repéré Mississippi Solo de Eddy L. Harris, dans le catalogue de Liana Levi, quelqu’un m’a très justement dit que ça avait tout l’air d’être une lecture apaisante. A trop bouffer du dense, du noir ou du tortueux, il est bon parfois de s’aérer l’esprit. Pour ce faire, quoi de mieux qu’une escapade en canoë sur le Mississippi ? 

Publié en 1988 aux Etats-Unis, c’est seulement en 2020, soit 32 ans plus tard, que Mississippi Solo se voit publié en France en grand format. Mieux vaut tard que jamais, j’ai envie de dire. Le voici désormais disponible en petit format. Est-ce pertinent de le sortir chez nous après tant d’années ? La question peut se poser. La réponse est simple, c’est un grand oui. L’une de ses forces du livre est d’être intemporel. C’est un voyage hors du temps que nous propose Eddy L. Harris, à croire que le temps s’écoule différemment au fil de l’eau. 

C’est un peu sur un coup de tête qu’Eddy L. Harris prend la décision de parcourir le Mississippi en canoë. Il n’est ni un grand aventurier, ni plus aguerri que beaucoup. Il a peu de moyens et n’a, en vrai, même pas de canoë ou de quoi s’en payer un. Il justifie sa démarche ainsi : « Prendre des risques. N’est-ce pas le sel de la vie ? Parfois on gagne, parfois on perd. Sans le risque de la défaite, où est le triomphe ? Sans la mort qui rôde, que vaut la vie ? » Le choix du Mississippi n’est pas anodin : « Je regarde le Mississippi et j’y vois le symbole de l’Amérique, la colonne vertébrale d’une nation, un symbole de force, du liberté et de fierté, de mobilité, d’histoire et d’imagination. » Si on n’est pas certain des capacités de l’auteur à mener son expédition jusqu’au bout, il est animé par une passion, un désir d’aventure, en mesure de trouver une résonance chez tout lecteur. Ainsi, on se projette à ses côtés, et si l’éventualité d’un échec demeure, elle n’est en rien un obstacle à l’évasion et l’enrichissement personnel : « Peu importe si je finissais ou non, si je faisais quarante kilomètres ou quarante mille, si je tenais six jours ou six semaines. Seuls comptaient le désir et la volonté. »

En canotant entre les barges, se mesurant à un fleuve dompté par l’Homme mais qui connaît encore ses sautes d’humeur, Eddy L. Harris multiplie les anecdotes faites de rencontres de locaux ou d’illuminés. Il n’échappe pas aux moments de galère, tout en vivant également de purs moments de bonheur. Comme toute équipée du genre, celle-ci réserve son lot de surprises.

L’écriture fluide et limpide d’Eddy L. Harris, le naturel dont il fait preuve, font de Mississippi Solo un récit prenant, plaisant et, le terme évoqué précédemment ne pouvait être plus pertinent, apaisant. Des moments de doutes aux rencontres diverses, des instants de solitude aux questionnements intimes, il n’y a pas une page ici dont la lecture n’est pas un plaisir. Un de ces livres aux vertus presque thérapeutiques, qui ouvre l’esprit et élargit l’horizon. Une belle aventure à taille humaine.

Brother Jo

AU PARADIS JE DEMEURE de Attica Locke / Liana Levi

Heaven My Home

Traduction: Anne Rabinovitch

Le lac Caddo, une immense étendue d’eau verdâtre aux confins du Texas et de la Louisiane, où les silhouettes décharnées des cyprès se perdent dans la brume. Quand le soir tombe, mieux vaut ne pas y naviguer seul, sous peine de ne plus retrouver son chemin dans les innombrables bayous et de « passer une nuit au motel Caddo », comme disent les anciens. C’est d’ailleurs parce qu’un enfant a disparu sur ce lac que Darren Mathews, Ranger noir du Texas, débarque à Hopetown, un lieu reculé habité par une communauté disparate. 

Dans les grandes lignes, « Au paradis je demeure », cinquième roman de Attica Locke, deuxième d’une trilogie consacrée au Ranger Darren Mathews, n’annonce rien de très original. Une virée aux confins du Texas et de la Louisiane, à la rencontre de laissés pour compte, de communautés isolées traversées par les grands maux de l’Amérique, du racisme à la pauvreté, avec son lot de faits divers et de crimes. Il y a un air de déjà-vu. Pour autant, on ne se fait pas prier. On semble que trop bien connaître la recette mais on y retourne sans grande hésitation, d’ici que ce soit cuisiné un peu différemment que d’habitude, car on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise. 

Premier livre d’Attica Locke que je lis et, si comme je l’ai évoqué précédemment, on a de prime abord l’impression d’avoir à faire à un univers avec lequel on est assez familier, il y a néanmoins un détail qui diffère du schéma classique, notre héros, qui est certes Ranger, mais également noir. D’emblée donc, Attica nous offre un regard différent sur cette Amérique profonde, en passe de basculer sous l’ère Trump. Notre représentant de la justice est noir, texan, et entend bien faire son possible pour mettre à mal la Fraternité Aryenne du Texas qui sévit toujours. Sous couvert d’une enquête sur la disparition d’un enfant en Louisiane, aux abords d’un lac, il est envoyé chercher des éléments pouvant servir sa cause. Bien entendu, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles pourraient l’être, car « il y a quelque chose d’opaque dans cet endroit, comme la mousse grisâtre suspendue aux cyprès du lac Caddo. » 

En plus de nous offrir un point de vue assez inédit, ou au minimum original, Attica nous donne également à découvrir un lieu. Ce lieu c’est le lac Caddo et ses environs où s’entremêlent différentes strates de l’Histoire américaine. Les personnages qui y vivent, un vieux noir et quelques Amérindiens, forment une petite communauté assez unique en son genre, sans oublier quelques blancs biens racistes qui mettent à mal l’équilibre de ce microcosme. Un petit univers passionnant, riche en enseignements, dans un décor envoûtant. 

On entre sans aucun mal dans « Au paradis je demeure ». La plume est vivante, avec sa propre musique qui capte aisément notre attention, de bout en bout, et sans jamais faillir. Tout paraît vrai, ou plus exactement crédible, de l’histoire jusqu’aux dialogues. Attica Locke construit ici quelque chose de tangible et sincère. Elle maîtrise son sujet et ne laisse jamais le lecteur au bord de la route. On lit et vit chaque page avec attention et plaisir. Un livre convaincant, donc un bon livre.

Brother Jo

UN VOISIN TROP DISCRET de Iain Levison / Liana Levi.

Traduction:  Fanchita Gonzalez Batlle.

“Pour que Jim, chauffeur Uber de soixante ans, voie la vie du bon côté, que faudrait-il? Une petite cure d’antidépresseurs? Non, c’est plus grave, docteur. De l’argent? Jim en a suffisamment. Au fond, ce qu’il veut, c’est qu’on lui fiche la paix dans ce monde déglingué. Et avoir affaire le moins possible à son prochain, voire pas du tout. Alors, quand sa nouvelle voisine, flanquée d’un mari militaire et d’un fils de quatre ans, lui adresse la parole, un grain de sable se glisse dans les rouages bien huilés de sa vie solitaire et monotone. De quoi faire exploser son quota de relations sociales…”

Iain Levison, Ecossais ayant débarqué enfant en Amérique continue d’explorer son pays d’adoption dans ce huitième roman, nouvelle radioscopie de la société américaine. Les romans de Levison racontent souvent les galères de types qui, un jour, décident de franchir la ligne pour s’en sortir mais qui souffrent d’un trop grand amateurisme pour les coups tordus pour en sortir vainqueurs. Cette petite classe moyenne qui peine à s’en sortir, qui tente des coups, espérant rejoindre un rêve américain est une fois de plus sa cible.

Iain Levison qui, lui aussi, a connu les galères, multiplié les expériences professionnelles, connu les secousses d’un ascenseur social particulièrement capricieux aux USA, met sûrement beaucoup de sa propre expérience dans ses romans. Il crée ainsi des histoires ordinaires arrivant à des gens tout aussi ordinaires à qui on s’identifie très rapidement dès que leur premier mauvais choix est fait. Les situations sont souvent très noires mais animées d’un méchant humour noir, d’une dérision bien sentie mais aussi d’une visible affection pour ces losers.

Dans “ Un voisin trop discret”, nulle surprise dans le schéma général avec néanmoins peut-être moins de corrosion qu’à l’accoutumée mais une histoire originale se situant souvent en Afghanistan avec les troupes spéciales US et les conflits nés dans les montagnes en zone de guerre se régleront, subtilement et étonnamment, sur le sol américain.

Cool une fois de plus mais sans plus et ce malgré un pied de nez final particulièrement hilarant, témoin, s’il en fallait encore d’une belle maîtrise des ressorts narratifs.

Clete.

ROUTE 62 de Ivy Pochoda/ Liana Levi

Traduction: Adélaïde Pralon


Ren, Los Angeles, 2010

James, Twentynine Palms, 2006

Blake, Wonder Valley, 2006

Tony, Los Angeles, 2010

Britt, Twentynine Palms, 2006

Pas d’unité de lieu, de temps, on navigue avec plusieurs personnages dans des années différentes et des lieux variants. Pour la majorité ils sont dans un brouillard existentiel, vers une quête de vérité ou de solution. Car ils semblent marqués par l’impériosité de rattacher les wagons afin de donner une cohérence à leur vie, ne plus se mentir. Dans cette recherche ils feront face à leur conscience pour y trouver l’échappatoire de parcours cabossés. Ils se donnent les moyens d’y parvenir en extrayant le substrat vital de destinées bien trop souvent hantées par la crédulité ou la naïveté.

«Blond, athlétique et complétement nu, il court sur l’autoroute au milieu des embouteillages du matin à Los Angeles. Comme s’il n’attendait que ça pour s’arracher à un univers trop lisse, Tony, un avocat, quitte brutalement sa voiture pour le suivre. La poursuite de cet étrange coureur l’entraîne du côté sombre de la Cité des Anges, là où tous les déglingués de la vie semblent s’être donné rendez-vous. Britt, porteuse d’un lourd secret, et un temps réfugiée dans un ranch aux allures de secte en plein désert des Mojaves. Ren, ex-taulard et graffeur à la recherche de sa mère. Blake, dealer tourmenté qui veut venger la mort de Sam, son partenaire de galère… Parce qu’il s’est mis en danger, la carapace sociale de Tony se fissure, annulant la distance qui d’ordinaire le sépare des gens qui peuplent les rues crasseuses de Downtown. Et à travers son regard, qui pourrait être le nôtre, se déroulent les destins singuliers de ces personnages en rupture qui un jour, sans s’en rendre compte, ont emprunté la mauvaise route… »

Ivy Pochoda née à Brooklyn où elle a vécu jusqu’en 2009, vit désormais à Los Angeles. Son premier roman « L’autre côté des docks » fut lauréat du prix Page-America en 2013.

De par cette écriture kaléidoscopique, Ivy Pochoda, nous laisse des images défiler avec des interstices de libre interprétation. J’y ai retrouvé du Jérôme Charyn dans ce foisonnement d’esprit retors aux conventions et aux conformismes. C’est une des forces de ce roman noir à facettes; facettes des profils psychologiques, facettes d’idéaux naïfs, facettes du déterminisme intransigeant, facettes de ruptures tensionnelles. C’est muni de ce stylo dague que l’auteur délivre ses phrases assassines, assène les coups brutaux qui intensifient le côté morose des personnages présentés.

Ils n’évolueront pas forcément dans un monde lumineux ou doué d’une couleur chatoyante, or le livre d’inflexion, de point d’achoppement, où le sens, sa recherche, de leur vie est devenu central. Primordial, voire vital pour leur permettre d’avancer , ils enjambent les obstacles, font fi des a priori, laissent sur le bas côté des valises pleines de souffrances.

Route 62 est la lumière, est le phare d’âmes égarées cherchant une rédemption. Elle est loin d’être rectiligne et nous fait parfois errer vers des méandres obscures. Mais la chaleur stylistique nous tient à l’écart de tout excès turpide.

Captivant!

Chouchou.

 

POUR SERVICES RENDUS de Iain Levison / Liana Levi.

On ouvre un roman en étant influencé par son état. Ce week-end, je n’étais pas en forme et j’ai pensé un petit Iain Levison me ferait du bien, que je pourrais rire des absurdités qu’il met en scène. En fait, ce roman ne m’a pas fait rire, et je me suis rappelé ce qu’Iain Levison me répondit il y a quelques années.

« Ça arrive très souvent au boulot que je fasse une remarque, et mes collègues me trouvent drôle, mais je n’avais pas l’intention de l’être. Je suis sarcastique, et je sais repérer l’injustice et l’exploitation, mais je ne suis certainement pas un comique. Je suis juste content que les autres estiment que dans ce que j’ai écrit, il y a pas mal de choses drôles. »

Dans ce roman, Iain Levison est implacable. La guerre au Vietnam n’a rien à voir avec celle du débarquement. Il n’y a pas de héros et les civils sont les premières victimes. La politique, c’est une combinaison de sales coups. Draken, la recrue pas très douée du Vietnam, est devenu un homme politique important en 2016 et se présente une nouvelle fois aux élections dans Le Nouveau-Mexique. Un soir, en meeting, il raconte un épisode peu glorieux de son action au Vietnam en inversant les rôles. Malheureusement pour lui, il sera contredit ce qui l’entraînera à créer un nouveau mensonge qui l’entraînera à créer un autre mensonge. Dans cette partie-là, on pourrait se croire dans un roman de Carl Hiaasen tellement les politiques et les médias sont ridicules. Ce qui est bien chez cet auteur, c’est que les personnages restent toujours des humains.

« Les gens ne sont ni parfaits ni néfastes intrinsèquement , et c’est comme ça que j’aime les dépeindre. Donc c’est par les gens que je commence , et je construis l’histoire autour d’eux. »

A l’ère de Trump et des fake news, il n’est pas étonnant qu’Iain Levison ait choisi le mensonge comme thème de son roman. Il est malheureusement dommage que les gens ne lisent plus ou peu. On pourrait prescrire la lecture de « Pour services rendus » à tous les Américains en échange d’un remboursement par l’Obamacare.

« A chaque fois que j’ai écrit quelque chose dont je pense qu’il exprime vraiment bien une certaine émotion, je me sens plus léger, comme physiquement soulagé d’un poids. »

BST.

LES CHEMINS DE LA HAINE d’Eva Dolan / Liana Levi.

Traduction: Lise Garond.

“Pas de corps reconnaissable, pas d’empreintes, pas de témoin. L’homme brûlé vif dans l’abri de jardin des Barlow est difficilement identifiable. Pourtant la police parvient assez vite à une conclusion: il s’agit d’un travailleur immigré estonien, Jaan Stepulov. Ils sont nombreux, à Peterborough, ceux qui arrivent des pays de l’Est, et de plus loin encore, à la recherche d’une vie meilleure. Et nombreux sont ceux qui voudraient s’en débarrasser. Les deux policiers qui enquêtent sur le meurtre, Zigic et sa partenaire Ferreira, ne l’ignorent pas.”

Une nouvelle auteure anglaise de polars dont c’est ici le premier roman et quel bon roman, une nouvelle série policière puisque quatre romans sont déjà parus en Angleterre et également un bon duo de flics performant et déjà très attachant dans leur simplicité, leur simple humanlté: Zigic le chef d’ascendance serbe et Mel Ferreira d’origine portugaise. Les deux flics œuvrent au sein de la brigade des crimes de haine créée  pour tenter d’endiguer la criminalité liée à l’afflux de main d’oeuvre étrangère à bas coût à Peterborough, ancienne ville industrielle en grand déclin  qui depuis quelques années a néanmoins besoin de beaucoup de main d’oeuvre pour ses terres agricoles comme pour ses grands chantiers et qui utilise des populations venues des pays de l’Est mais aussi de toutes les autres contrées un peu abandonnées par le mirage de l’ Europe que l’on nous vend, vante et qui se prennent la triste réalité dans la gueule.

Appelés dans le quartier de New England aussi connu aussi sous le nom d’ Englandistan, Zigic et Ferreira vont très vite s’apercevoir que l’incendie est criminel et que leur enquête , qui ne fera pas la une des quotidiens, risque d’être compliquée à résoudre, tout le monde se moquant bien du décès d’un travailleur estonien en voie de clochardisation, squattant un abri de jardin. Pour les deux policiers, tout devient très difficile car toute une économie souterraine, avec l’aval de l’état, s’est mise en marche, une économie puante où on exploite le pauvre pécule des travailleurs et les « bons » Anglais ne sont pas très bavards à propos de leurs vaines ou avilissantes entreprises et réalisations.

Des pauvres types, autrefois coincés dans la spirale du déclin des classes moyennes anglaises, ont su profiter de la précarité de ses populations en gérant leur vie en Angleterre: le placement dans des fermes ou sur des chantiers dont ils récupéreront une partie du salaire perçu sous les normes anglaises et le toit dans des conditions insalubres à des tarifs exorbitants. Beaucoup, pour sortir la tête hors de l’eau, sont prêts à profiter de l’aubaine en allant jusqu’à louer leur cave, leur garage ou leur abri de jardin. Reste déjà à savoir si la famille Barlow dont l’abri a pris feu fait partie de ses crevards avides? Mais les suspects sont très nombreux et l’enquête, fastidieuse, assez stupéfiante n’en est qu’à ses débuts…

La bio d’ Eva Dolan révèle qu’elle a été critique de polars et nul doute que la série Charles Resnick de John Harvey comme certains policiers de Bill James ont dû faire partie de ses grandes lectures tant on retrouve beaucoup  des qualités de ses glorieux et talentueux aînés. L’auteur a fait montre de  beaucoup de maturité pour mener à bien une enquête truffée de faux semblants, de chausse trappes, d’écueils, de mensonges, de découvertes, de ramifications à la fois familiales mais aussi affectives, publiques, économiques…Tout le flegme, le calme, la patience, le talent de Zigic, flic privilégiant les joutes verbales à l’usage de la force, alliés au dynamisme de l’impulsive jeune Mel Ferreira seront nécessaires pour connaître le fin mot de cette histoire à rebondissements dans une Angleterre bien blafarde et très, très inattendue et décevante.

Un fois passé un premier chapitre inutilement racoleur et très trompeur sur la suite, “Les chemins de la haine” séduira assurément les amateurs de polars d’investigation de qualité avec des flics tout simplement humains et sera certainement très goûté par tous ceux qui apprécient d’être complètement impliqués dans un univers, une région, un tableau vivant, bref, tous ceux qui auront envie d’entrapercevoir comment fonctionne le monde aujourd’hui,  le monde des vainqueurs comme celui des vaincus et en occurrence ici dans l’Europe droguée au libéralisme.

Passionnant et important.

Wollanup.

 

SIX-QUATRE de Hidéo Yokoyama / Liana Levi.

« Le six-quatre? Une affaire non résolue qui remonte à l’an 64 du règne de l’empereur Shôwa. Une fillette de sept ans enlevée et assassinée sans que l’on parvienne à arrêter son ravisseur. Quatorze années ont passé, l’empereur n’est plus le même, mais la plaie reste ouverte pour cette région du nord de Tokyo. Dans cette année civile 2002, la prescription des faits approche. Pourtant, pas question de baisser les bras. Le grand chef de la police nationale doit venir l’annoncer officiellement au père de la victime et à la presse. Le commissaire Mikami, en charge des relations publiques depuis peu, a une semaine pour organiser la visite. Premier défi: régler au plus vite un différend avec les journalistes; deuxième: vaincre la résistance du père; troisième: ne pas se laisser envahir par ses propres démons. Mais pour relever ces défis, il lui faut avant tout débusquer la vérité aux sources les plus profondes de l’affaire et de l’âme humaine, là où il n’aurait jamais pensé la trouver… »

Alors, il faut avouer que la littérature noire nippone n’est pas la plus courue sous nos latitudes. Fonctionnant avec des codes, des mentalités qui nous semblent bien obscurs parce qu’inconnus ou compris, la société nippone souffre aussi d’un éloignement géographique qui perpétue une image énigmatique qui attire parfois méfiance. Citons le magnifique TREIZE MARCHES de Kazuaki Takano sorti l’an dernier aux presses de la cité et REVOLVER de Nakamura Fuminori aux éditions Picquier spécialisées dans le roman asiatique. Ma connaissance littéraire du pays du soleil levant, comme on peut le voir, souffre de nombreux manques mais, à l’avenir, je  pourrai y ajouter, sans problème et d’évidence, ce SIX-QUATRE d’excellentissime facture et certainement le meilleur polar, et de loin, que j’ai pu lire cette année.

On ne peut que penser qu’à Ellroy si on veut un tant soit peu comparer l’œuvre avec ce qui existe déjà et fait saliver la plupart des amateurs de polar et cela dès le début d’un roman qui s’avère particulièrement passionnant en combinant enquête sur un cold case synonyme d’horreur dans le souvenir des équipes qui ont eu en main l’enquête échouée d’un enlèvement et drame personnel familial un peu à la manière de Herbert Liebermann dans Necropolis .

Le roman est dense, complexe, demande parfois beaucoup de concentration pour comprendre une histoire particulièrement tortueuse mais l’effort n’est pas inutile tant les rebondissements, les révélations au cours du roman permettent d’atteindre une certaine béatitude à qui veut bien prendre le temps de comprendre les rapports de hiérarchie et d’ « ainesse » entre les différents personnages. C’est du grand art, l’enquête avance doucement, au rythme d’un Mikami patient, obstiné et victime lui-même d’un drame autour de sa paternité.

La vérité sera terrible,  à la hauteur de l’attente du lecteur accompli qui aura pris son temps, comme Mikani, de dénouer toutes les cordes qui maintiennent dans l’obscurité la vérité.

Du grand art !

Wollanup.

 

ILS SAVENT TOUT DE VOUS de Iain Levison / Editions Liana Levi

 

Roman après roman, l’Américain d’origine écossaise Iain Levison écrit de solides histoires noires ordinaires aux personnages particulièrement poissards mais toujours colorées par un humour parfois féroce mais toujours apte à rendre la tragédie moins sinistre.

Changement de cap radical a priori avec ce « Ils savent tout de vous » qui file vers le roman d’anticipation.

« Avez-vous déjà rêvé de lire dans les pensées des gens? Savoir ce que se dit la serveuse en vous apportant votre café du matin. Ce que vos amis pensent vraiment de vous. Ou même ce que votre chat a dans la tête? Eh bien, c’est exactement ce qui arrive un jour à Snowe, un flic du Michigan. Au début, il se croit fou. Puis ça l’aide à arrêter pas mal de faux innocents… À des kilomètres de là, un autre homme est victime du même syndrome. Mais lui est en prison, et ce don de télépathie semble fortement intéresser le FBI… »

Ce titre français assez loin de l’original « Mindreader » est finalement pour une fois plutôt une réussite dans le sens où à la lecture du roman, vous vous apercevrez que Levison à travers son intrigue nous lance un signal, une mise en garde contre les nouvelles technologies, les réseaux sociaux, le net, qui permettent aux personnes mal intentionnées, simples malveillants ou carrément institutionnalisés de nous traquer, de nous épier plus qu’on ne le pense. Entre parenthèses, les grands penseurs des cafés du commerce comme il en existe tellement sur les réseaux sociaux qui s’insurgent contre les ingérences de l’état ou d’organisations internationales dans nos petites affaires par le biais de… facebook m’ont toujours bien fait marrer. Bref, première leçon du roman, on est encore beaucoup plus fliqués qu’on ne le pense, on le savait mais sans rentrer dans les détails ni dans des descriptions techniques Levison nous le prouve à plusieurs reprises. Et c’est le vrai Levison qui s’intéresse aux victimes américaines ou simplement occidentales du XXIème siècle que l’on retrouve avec bonheur assez rapidement après avoir eu la frousse de le voir emprunter la voie de tant de daubes ricaines et de leurs pitoyables et regrettables ersatz français.

Nouveauté quand même chez Levison, à mon sens, c’est cette capacité à produire un thriller pas totalement haletant mais bien monté néanmoins et fonctionnant parfaitement par la sympathie qu’il sait créer pour ses personnages finalement un peu handicapés par ce talent de télépathie qu’ils possèdent et pour qui finalement on se soucie assez rapidement tout en dévorant des pages parsemées abondamment d’un humour vachard.

Fin observateur de nos mœurs, Levison crée à nouveau des personnages vivants dès les premières pages, des hommes et des femmes de chair et de sang victimes qu’on pourrait très bien connaître par leurs comportements humains dans le bon comme dans le mauvais sens. Loin des thrillers d’anticipation de supermarché, Levison a écrit un nouvelle fois un roman particulièrement réjouissant, un bouquin sur les manipulations du cerveau qui ne vous prendra pas la tête.

Intelligent.

Wollanup.

LA TERRE DES WILSON de Lionel Salaün / éditions Liana Levi


Dick Wilson a quitté ce bout de terre misérable au Nord-Ouest de l’Oklahoma avec sa mère alors qu’il était tout juste adolescent. Quinze ans plus tard, le voici de retour avec chapeau et fine moustache, dans une belle voiture
aux pare-chocs chromés. Retrouver la petite ferme familiale ne va pas de soi, d’autant que des événements déconcertants se sont produits en son absence. Annie Mae, son amie d’enfance, vit à présent avec le vieux George, le père de Dick, un homme rustre et violent dont elle a un enfant. Dick étouffe sa rancoeur derrière des manières affables et des projets ambitieux pour lesquels il embauche Jasper, un pauvre hère du comté. Qu’espère-t-il trouver dans ce pays désolé ? Peut-être l’or noir dont tout le monde parle. Peut-être l’or jaune – l’alcool – dont il connaît toutes les routes secrètes et qui dans cet état où la prohibition est maintenue, pourrait rapporter gros. Peut-être quelques réponses à ses propres démons. Lionel Salaün renoue avec les paysages de l’Amérique profonde. Celle du début des années 30, de la Grande Dépression et des  » dust bowl « , ces tornades de poussière qui ont mis à genoux les agriculteurs pendant près d’une décennie. Un monde féroce où seule la fraternité est rédemptrice. »

L’Oklahoma, les années 30.Une population exsangue, asséchée au propre comme au figuré jusqu’à la dernière goutte par la sécheresse et les banques. Une population qui survit avec rien, des miettes et qui porte sur son dos le poids des profiteurs qui distribuent avec « générosité » les dirty jobs de l’époque. Rien n’a changé, rien ne changera on ne vit pas sans dégâts au milieu du berceau du capitalisme pétrolier quand on a pas les moyens de partir. Si tant est que l’herbe soit plus verte ailleurs.
Alors certains, comme Samuel Wilson, s’accrochent à un titre de propriété, bout de papier synonyme d’un minimum de fierté dans cette société qui broient les petits les uns après les autres. Mais pour pouvoir s’accrocher il faut toujours en payer un prix à un moment ou un autre.
Samuel Wilson s’acharne à faire de ce ses terres quelque chose de viable, il s’use à la tâche et se défoule violemment sur sa mule, sa femme et son fils Dick poussant ces deux derniers à s’enfuir.Rester et crever, partir et en payer le prix une nouvelle fois. La fois de trop?
Dick reviendra les poches pleines et décidé à retrouver son amour de jeunesse Annie Mae, à profiter de la manne financière des compagnies pétrolières, à combler le vide crée par la Prohibition et à faire payer son père.

Un roman court (trop?) mais intense, sec et rêche comme le sol ravagé par les Dust Bowl énièmes conséquences de l’exploitation  à outrance des ressources. Une histoire viscérale qui tape fort, sans espoir de rédemption.
Magnifique!!!

FAB

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