Un trio se forme par les aléas de la vie. Des personnalités bigarrées s’assemblent par leur attirance respective à vivre à la marge. Ce ne sont pas des marginaux mais ils refusent les conventions, ils abhorrent les strictes règles d’une société vissée sur les normes, rongée par la standardisation placée sous un joug panurgien. Ils composeront sur les plages pas-de-calaisiennes pour se serrer les coudes, créer leur monde propre et tenter de « laver » certaines scories de leur passé.  Leurs existences coulent au fil de l’eau et les couleurs entrent dans celles-ci. Garderont-elles leur éclat?

«Entre Gravelines et Calais, dans un espace resté sauvage en dépit de la présence industrielle, trois personnages sont réunis par les circonstances : Anatole, le retraité qui rêve d’une chasse mythique, Lucille, l’institutrice qui s’est dévouée pour les migrants de la jungle et se retrouve désabusée depuis le démantèlement, et Loïk, être imprévisible mais déterminé, qui n’a pas toujours été du bon côté de la loi, peut-être parce que dans son ascenseur social, il n’y avait qu’un bouton pour le sous-sol. Laissés pour compte ? Pas tout à fait. En marge ? C’est sûr. En tout cas, trop cabossés pour éviter le drame. 

Pascal Dessaint nous ramène dans le Nord avec ce trio de personnages qui aiment Jean Gabin, mais qu’on verrait bien chez Bruno Dumont. »

En ouvrant le roman, on laisse derrière soi une couverture nous invitant à l’abandon; L’abandon dans une plénitude bercée par l’insouciance et la liberté. Et les trois protagonistes au départ se jaugent, tout en ayant conscience que leur apparaît concrètement ce qu’ils étaient venus chercher. On s’insère, aussi, dans un tableau naturaliste en croisant cette faune côtière nordiste riche  qui ne laisse pas de marbre. 

Pascal Dessaint possède cette écriture suintant l’humanité et la bienveillance spontanée. Il la met en exergue pour affirmer ses convictions et scander ses valeurs cardinales. Si l’avenir lui décerne des prix, je lui décernerai le Prix de la Page 111 dont l’extrait montre les aspirations et les motivations d’écriture d’un écrivain attachant:

« Thibaut s’est demandé à quoi ça rimait, si on se moquait de lui. Il ne se l’est pas demandé longtemps.Un grand coup de pied dans la chaise sur laquelle il était assis l’a fait basculer en-avant. A peine le temps de réaliser et Loïk l’attrapait par la ceinture du pantalon et le col de sa veste. Il l’a soulevé haut. Thibaut ne pouvait pas être plus pantelant, tel un scarabée à agiter les pattes dans le vide. Loîk ne m’avait jamais paru aussi affreux, avec son nez rongé et ses traits creusés, par la vilaine vie, l’ignoble labeur. Ses muscles étaient durs et luisants comme les anneaux d’une ancre de cargo. Il a trainé Thibaut sur vingt mètres sans qu’il touche le sol. Et Thibaut gueulait comme le cochon qu’on suspend et éventre, et bientôt les boyaux coulent dans la poussière….. »

Or sur ces plages les grains de sable sont légions et ils marchent au pas cadencé. Et, nos trois larrons, se remettent alors en question car l’accomplissement de leur rêve libertaire s’effrite. (comme la baraque de Loïk!) Entre chouettes, phoques et libellules le tableau vivifiant s’assombrit telles des pénalités tombant irrémédiablement sur un découvert non autorisé. 

En y croisant Gabin, Pascal Dessaint instille, de même, une couleur sépia au tout et une nostalgie érigée comme un code de valeurs et de sens. Un livre, plus une fable, que l’on aimerait narrer au coin du feu avec de dives bouteilles réconfortantes. 

« Ah ! Nous y voilà ! Ma bonne Suzanne, tu viens de commettre ton premier faux pas ! Y a des femmes qui révèlent à leur mari toute une vie d’infidélité, mais toi, tu viens de m’avouer 15 années de soupçon. C’est pire ! Eh bien que t’as peut-être raison : qui a bu boira ! Ça faut reconnaître qu’on a le proverbe contre nous » Jean Gabin dans « Un singe en hiver ».

Roman dont l’horizon nous éclaire et nous berce d’une langue simple, imagée et “magnificent”. 

Le zénith nous manque mais l’auteur nous sert un bel opus rassérénant!

Chouchou