Traduction: Céline Romand-Monnier
“Carl et Roy ont seize et dix-sept ans lorsque la voiture de leurs parents tombe au fond d’un ravin. Roy s’installe comme mécanicien dans une station-service du bourg voisin pour subvenir à leurs besoins. Carl, aussitôt sa scolarité finie, file au Canada poursuivre ses études et tenter sa chance.
Des années plus tard, Carl revient au pays avec une trop ravissante épouse, mû par un ambitieux projet pour le modeste domaine familial : construire un hôtel spa de luxe qui fera leur fortune et celle de leur communauté, sur laquelle il compte pour financer les travaux. Mais le retour de l’enfant prodigue réveille de vieilles rancœurs et les secrets de famille remontent à la surface.”
A nouveau, on s’interroge sur l’accident des parents des deux garçons ainsi que sur la disparition du flic qui menait une enquête sur la tragédie. Le retour en golden boy de Carl ravive aussi les vieilles amours adolescentes et les regrettables histoires de cul. Mais il revient avec un projet ambitieux qui nécessite la participation financière de tout le village, et fait entrer Os, ce bled de montagne norvégien, dans le XXIème siècle du consumérisme, du tourisme de masse et du libéralisme délirant.
Carl est le moteur de cette histoire mais c’est Roy son frère aîné, simple gérant d’une station-service, qui raconte le passé et la situation actuelle. Ce duo, uni depuis toujours, est complété par Shannon architecte du projet et épouse de Carl. Ils vont entamer un étrange et inquiétant halling, danse traditionnelle norvégienne nécessitant force, douceur et exaltation, qualités qu’ils devront absolument maîtriser dans ce triangle infernal déjà si souvent conté mais que Nesbo parvient encore à renouveler.
Alors, autant prévenir, “Leur domaine” n’a pas grand-chose à voir avec les aventures de Harry Hole, flic cramé du bulbe, qui a rendu célèbre Jo Nesbo. Pas de délires alcoolisés, ni de parcours hallucinés dans les bas-fonds de la Norvège, pas de flingues ni de réelles bastons, pas d’incarnation du mal…Juste un village de montagne et son histoire et ses histoires, ses gens importants, ses notables, la vie tranquille d’une zone rude et isolée. On se glisse dans une ambiance d’apparence tranquille, immaculée comme la neige toujours présente, mais qui cache beaucoup de zones d’ombre.
Je ne suis pas le plus grand fan des romans de Nesbo tout en reconnaissant son art de l’intrigue, sa maîtrise du suspense, son don à créer une ambiance sulfureuse, étouffante jusqu’à la fin d’un roman et ici jusqu’à une dernière page qui en fera hurler plus d’un. Alors le rythme n’est pas enlevé sans être lassant une seule seconde, mais c’est aussi l’occasion pour Nesbo de s’épancher un peu, de parler de la filiation, de s’interroger sur la nature humaine, sur la notion de désir… Les indices, faux ou réels, parsèment le roman avant certaines révélations qui finissent par dévoiler les horreurs du passé vers la moitié du livre pour mieux se consacrer à la terrible tragédie en cours dans ce village si paisible. On pourra peut-être reprocher à Nesbo son réalisme glaçant, son empathie proche du néant et puis, certainement, on comprendra…
“Leur domaine” plaira aux fans de l’auteur sûrement ravis de le découvrir dans un autre genre et sera aussi certainement la meilleure façon d’entrer dans l’univers littéraire du Norvégien pour les autres. Loin des exactions et redondances de la série Harry Hole, Jo Nesbo montre ici l’immensité de son talent dans un roman noir douloureux, méchamment amoral, mais impeccable.
« Dans des circonstances répliquées, un tueur choisira de nouveau de tuer. C’est une danse sempiternelle, comme l’orbite prévisible des planètes, le changement des saisons. »
Clete.
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