Traduction: François Gaudry

Alicia Plante est une auteure argentine qui outre de nombreux romans a aussi produit beaucoup de poésie et des essais tout en collaborant avec des périodiques mexicains.

« Un couple est retrouvé mort dans une maison du Tigre, perdue au milieu des mille et un canaux du delta du Paraná, dans ce petit coin de paradis si prisé des habitants de Buenos Aires. Suicide, dit l’enquête, sur la foi d’un mot d’adieu écrit sur une vieille Underwood. Pas si sûr…
Julia, habitante du delta à ses heures, se lance dans l’enquête avec l’aide de Leo Resnik, juge intègre à vocation de redresseur de torts. Ils ne tardent pas à découvrir qu’un crime peut en cacher un autre, plus vaste, plus profond, qui regarde l’Argentine tout entière : les enfants volés de la dictature. »

Dès le début du roman, on en connait la fin car très rapidement, on comprend très vite qui sont les victimes et  quelle funeste raison est la cause de leur mort un peu comme dans le roman de Gabriel Garcia Marquez, toutes proportions gardées, « chronique d’une mort annoncée ».

Julia s’apercevra que le décor romantique, enchanteur de cette Venise argentine située à une trentaine de kilomètres de Buenos Aires où elle a un pied à terre n’est pas le havre de quiétude que cette universitaire est venue chercher. Elle initiera donc une enquête qui sera relayée par le juge Resnik afin que toute la lumière soit faite sur cette tragédie et que l’ on suivra surtout en fin de roman donnant ainsi une réelle dimension de polar à un roman où est d’avantage mise en avant la société argentine jamais remise de la dictature qu’elle a connue de 1976 à 1983. Comme les coupables de haut rang et les tortionnaires de bas étage ont été blanchis par la loi de « punto final »  qui mettait fin aux poursuites à leur encontre en 1986, la vermine vit toujours, créant un climat malsain dans le pays où victimes et bourreaux cohabitent encore infestant les plaies plutôt que de les cicatriser.

Linda Plante profite de son intrigue policière pour parler du drame des enfants d’opposants au régime dictatorial enlevés en très bas âge ou dès leur naissance, volés à leurs jeunes parents emprisonnés, torturés et exécutés par la dictature militaire. Ces enfants seront donnés, troqués, vendus à des familles proches du régime. En volant ces enfants, la dictature entendait éliminer l’avenir de la révolte tout en supprimant le présent de la rébellion représentée par leurs géniteurs, une épuration… William Bayer dans le splendide et terrifiant « la ville des couteaux » traite brillamment, lui aussi, ces disparitions au sein d’un thriller comme toujours magnifiquement documenté à ne surtout pas manquer comme l’ensemble de son œuvre si vous vous intéressez à Buenos Aires et au tango…

Outre la triste réalité d’une époque assez récente dont les stigmates sont si visibles encore aujourd’hui au point de donner des idées bien puantes à des médiocres qui oseront affronter les eaux du Styx, Alicia dresse des portraits psychologiques pointus de l’ensemble de ses personnages montrant ainsi une grande maîtrise pour dévoiler les êtres dans ce qu’ils ont de plus froid,de plus calculateur,de plus mauvais.

Enfin, le remarquable style d’Alicia Plante au service d’une histoire à la construction astucieuse fait de ce livre pourtant sans réel grand suspense un roman particulièrement intelligent et tout à fait recommandable.

Wollanup.