Traduction: Maïra Muchnik

 Ce nouveau roman de Ricardo Romero est trouble, du début à la fin. Nous sommes à Paraná, au bord du fleuve du même nom. Plusieurs personnages, et à chacun plusieurs fragments d’histoires que nous pouvons tenter de compléter, ou pas. Manuel est coincé dans un embouteillage, Baltasar cherche à savoir où aller, Ángel répète inlassablement les mêmes exercices sur sa batterie, les tueurs à gages Juan et Juan attendent leur victime.
Qui sont-ils ? Ils semblent ne pas se connaître mais quelques-uns se sont croisés ou apparaissent furtivement dans des endroits proches les uns des autres. Qu’ont-ils en commun ? L’attente, qui est sans doute le personnage principal du livre. Tous semblent patienter, qui pour sortir faire la fête, qui pour rentrer se coucher. D’autres pour travailler, ou tuent le temps.

 Plus on progresse, plus l’entrelac dans lequel se trouvent les personnages paraît se délier. D’êtres fantomatiques, Elisa, Vicente, León et les autres prennent chair. Certains se côtoient, ont des liens familiaux, se sont aimés, ou doivent en tuer un.

 « Pourquoi tu m’interdis d’ouvrir la fenêtre ? »

 Cela faisait près d’une heure qu’ils étaient là, à attendre l’homme qu’ils devaient tuer. La chaleur était étouffante. Dans le bâtiment d’à côté, quelqu’un jouait de la batterie.

 « Je comprends pas pourquoi tu veux pas que j’ouvre la fenêtre », a insisté l’homme qui fumait dans le noir. Il paraissait nerveux, sa voix était un chuchotement crispé.

 Au centre de la pièce, il y avait une grande table en bois vernis, et au centre de la table un vase avec un bouquet de fleurs séchées. L’homme aux yeux opaques s’est retourné sur sa chaise et a posé les pieds sur la table.

 « Parce que l’eau va entrer, a-t-il répondu.

 Il pleut tout le temps, il pleut tellement qu’on lit Les chiens de la pluie au travers d’une vitre dégoulinante de pluie.
Il pleut tant que ça étouffe tout bruit, tout son autour. C’est un roman qui appelle le silence, c’est d’autant plus étrange qu’au livre est ajoutée une playlist concoctée par l’auteur. Et comme le récit est éclaté, mieux vaut se réserver de longs moments de lecture.

 C’est un roman qui avance sans se presser, il faut composer avec lui. Que s’y passe-t-il finalement ?  Il y a bien un meurtre dans Les chiens de la pluie, presque sans qu’on s’en aperçoive d’ailleurs, mais là n’est pas le cœur du livre, même si le cadavre est bien proche de nous pendant un bon moment, sur la banquette arrière. Ces personnages ressemblent à des pèlerins dont on ne sait quel chemin ils suivent, ils sont les pièces d’un puzzle d’ombres dont les formes ne cessent de se métamorphoser au fur et à mesure des pages. Bien qu ‘évoluant dans une ambiance sombre, poisseuse, un humour affleure discrètement, la grâce d’une phrase passe et apporte un sourire, comme un rayon solaire qui arriverait à transpercer toute cette attente humide.

NicoTag

Lire Les chiens de la pluie en écoutant Nadine Khouri, c’est un bel accord.