Chroniques noires et partisanes

Étiquette : le seuil policiers

LES ENCHAÎNÉS de Jean-Yves Martinez / Le seuil/Cadre Noir

David Sedar est un jeune Sénégalais qui arrive en France comme clandestin pour retrouver Denis Vignal, un français dont il servait de guide lors de son travail pour une ONG. Il arrive alors à Hauterives, petite ville perdue de la Drôme, en plein hiver. La maison de Monsieur Denis est isolée, dans la neige qui tombe drue à cette époque de l’année, et pour seul résident sa femme Diane, Denis ayant disparu.

Diane est une femme malade, qui vit seule depuis le départ de son mari, sans distraction, sans visite, sans ami, avec pour seule compagnie son chien qui vient d’être tué.

Lors de ses voyages en Afrique, Denis utilise David Sedar comme guide. Ce dernier est seul, peu intégré dans son village, il n’a pas d’ami. Denis va lui porter une attention toute calculée qui va permettre à David Sedar de se sentir plus fort, en confiance, qui va lui donner l’impression de se sentir important. Il doit tout à Denis, il faut donc qu’il aide sa femme à comprendre ce qu’il s’est passé et  retrouver son ami.

Les enchaînés, ce titre à lui seul pourrait avoir diverses significations. Mais l’enchaînement dont on parle dans ce livre est lié à l’amour que l’on porte à une autre personne, car celle-ci nous touche, nous comprend, nous accepte avec nos défauts. Mais si, en fait, cette personne en qui nous avons donné toute notre confiance n’était pas celle que l’on croit, si c’était en fait une manipulatrice qui se joue de nous et de notre amour afin de ne pas être seule et se sentir supérieure et toute puissante face à cet amour qu’elle reçoit. Parfois, on peut se retrouver enchaîné à une autre personne sans vraiment s’en apercevoir, nous sommes liés, aimants, et toute autre vie semble impossible sans le soutien de la personne qui partage notre vie et nous aime.

Comment réagir alors, quand on s’aperçoit que l’être aimé nous a menti, manipulé ? On fait la même chose, on ment, on se sert de l’autre pour acquérir nous aussi cette toute puissance apportée par l’ascendant que l’on peut avoir sur l’autre. C’est l’histoire d’une manipulation affective voulue, décidée, maîtrisée, et reproduite plusieurs fois, envers son amour, et des personnes, parfois naïves, dont le peu d’intérêt que l’on peut leur porter les lient à vous pour toujours.

Jean-Yves Martinez nous offre un roman très psychologique, dans une ambiance très isolée, il s’agit d’un huis-clos. L’ambiance est posée dès les premières pages et l’histoire se déroule sur 3 petits jours, au rythme de la neige qui tombe. Ce livre peut vous laisser un sentiment de malaise mais il serait dommage de passer à côté.

Marie-Laure.



LES OMBRES DU DESERT de Parker Bilal au Seuil policiers

Traduction : Gérard de Chergé.

Parker Bilal, pseudonyme de l’écrivain anglo-soudanais Jamal Mahjoub pour ses romans policiers écrit le troisième volet des enquêtes de Makana ex-flic soudanais réfugié au Caire. Ceux qui comme moi aiment déjà ce détective seront heureux de le retrouver, mais ce troisième opus, loin du Caire n’est pas le meilleur pour moi et mieux vaut commencer par les deux premiers : « les écailles d’or » et « meurtres rituels à Imbaba » pour se faire une idée véritable de l’univers de Makana.

« Début 2002, peu après le 11 Septembre. Alors que les Israéliens assiègent Ramallah, une forte tension agite les rues du Caire, où Makana file tant bien que mal la Bentley de Me Ragab, que sa femme pressent d’adultère. En réalité, l’avocat va voir sa protégée, Karima, une jeune fille gravement brûlée dans l’incendie de son domicile. La police croit à un accident, il soupçonne un crime d’honneur commis par le père de la victime, un djihadiste en cavale. Makana se rend à Siwa, oasis à la lisière du désert libyen, pour se renseigner sur la famille de Karima, mais il s’y heurte à l’hostilité des autorités, qui appliquent la loi à leur manière et se méfient des étrangers. Pire, il est accusé de deux meurtres barbares qui l’éclairent sur une donnée majeure de l’équilibre local : la présence de gisements de gaz… » Continue reading

LES DOUTES D’AVRAHAM de Dror Mishani au Seuil Policiers

Traduction : Laurence Sendrowicz.

Dror Mishani, né à Holon, banlieue de Tel-Aviv où vit son héros Avraham Avraham enseigne la littérature et l’histoire du roman policier à l’université de Tel-Aviv. Il est entré dans l’univers du polar avec Simenon et son intérêt pour tous les personnages, victimes comme assassins donne à ses romans une atmosphère particulière. « Les doutes d’Avraham » est le troisième volet de cette série.

« Une veuve sexagénaire est retrouvée étranglée dans son appartement de Tel-Aviv. Peu après l’heure probable du décès, un voisin a vu un policier descendre l’escalier de l’immeuble. Avraham, promu chef de la section des homicides, est confronté à sa première enquête de meurtre. Il doute plus que jamais de lui-même, sur le plan personnel autant que professionnel. Pendant que la police s’active, une jeune mère de famille, Maly, s’inquiète du comportement insolite de son mari : ayant renoncé à trouver un emploi, il la délaisse depuis quelques jours, fréquentant trop assidûment la salle de boxe et refusant de répondre aux questions pressantes qu’elle lui pose. »

Comme l’indique le titre, Avraham est en plein doute : nouvellement promu chef de la section des homicides, c’est la première enquête pour meurtre qu’il doit diriger. Chef de ses anciens collègues, il a du mal à trouver les bons rapports, à accepter de n’être plus en première ligne sur le terrain, à subir les pressions de sa hiérarchie, la malveillance de celui qui voulait être chef…

On retrouve Holon, banlieue de Tel-Aviv où vit et travaille Avraham. Dror Mishani plonge la ville dans une atmosphère hivernale surprenante pour Israël : tempête, pluie, froid, autant d’éléments qui évoquent Maigret à Avraham et qui le réjouissent un peu car Marianka, sa compagne belge installée depuis peu avec lui cesse de parler de l’hiver bruxellois avec nostalgie quand l’atmosphère fraîchit. Encore des doutes, bien plus personnels pour Avraham…

Dror Mishani construit son roman en suivant deux histoires : celle d’Avraham, qui mène l’enquête en remontant la piste de la vie de la victime et celle d’une famille, d’un couple qui se débat dans des difficultés économiques et se défait suite à un drame. On sait bien sûr que ces deux histoires vont se mêler. En fait, le lecteur en sait bien plus qu’Avraham et l’intérêt ici n’est pas la recherche du coupable, mais le pourquoi, Dror Mishani réussit à créer le suspense sur ce simple élément.

L’empathie qu’il exprime pour tous les personnages fonctionne, ils sont tous humains. Des êtres blessés, meurtris qu’on va suivre en sachant qu’il n’y aura pas de gagnant. L’univers de Dror Mishani est loin d’être manichéen : pas de méchants haïssables, mais des êtres ordinaires qui pètent les plombs face au malheur et basculent par faiblesse, par bêtise, par accident. Le meurtre est toujours une tragédie dont les dégâts ne s’arrêtent pas avec la résolution de l’affaire, l’enquêteur lui non plus ne peut pas en sortir indemne. Un univers bien sombre mais si humain.

Un très bon polar où le noir se détache d’une palette de gris.

Raccoon

LE RESEAU FANTOME d’Oliver Harris, le Seuil policiers

Traduit par Jean Esch.

« Le réseau fantôme » est le deuxième roman de l’écrivain anglais Oliver Harris. On y retrouve son enquêteur, Nick Belsey, tête brûlée qui apparemment a l’art de s’attirer des ennuis.

« Fantasque et indiscipliné, le constable Nick Belsey est astreint à des tâches limitées au sein de la brigade criminelle de Hampstead. Mais comment résister à l’attrait de l’aventure, quand la poursuite d’un chauffard en BMW vous mène dans un abri souterrain datant de la Seconde Guerre mondiale rempli d’ossements de rongeurs, de caisses de champagne millésimé et de stocks de psychotropes hors commerce ? Un décor pittoresque pour séduire sa nouvelle conquête. Mais une fois en bas, la jeune fille disparaît soudain, comme volatilisée dans l’obscurité, et l’exploration des entrailles de la ville qu’entreprend Belsey se solde par un échec. Ayant reçu du ravisseur des messages narquois et menaçants, Belsey persiste dans ses recherches, au cours desquelles il apparaît bientôt que ses véritables adversaires sont d’éminents serviteurs du Royaume, et que l’enjeu de cette affaire dépasse de loin la survie d’une innocente. »

Oliver Harris signe ici un thriller mâtiné d’espionnage qui nous entraîne dans les sous-sols de Londres sur un rythme trépidant. Pas de temps mort dans cette enquête pour Nick Belsey, véritable course contre la montre pour retrouver sa dulcinée. Course dans laquelle il fonce, tête baissée, coupable d’avoir entraîné Jemma dans ces souterrains, obligé de mentir à ses collègues sur son rôle dans cette histoire, de trouver des soutiens auprès de personnages plutôt louches… Il tient le coup grâce aux divers produits qu’il ingurgite et mène, halluciné, une enquête hallucinante.

Et cela fonctionne : Oliver Harris maîtrise et le suspense est là jusqu’au bout. Même quand on a du mal à apprécier ce genre d’univers, on veut savoir la fin et comment ce diable de Nick, personnage attachant, va pouvoir s’en sortir. On retrouve l’ambiance de la guerre froide, la peur de la menace nucléaire qui a apparemment été bien plus forte au Royaume-Uni qu’ici, les efforts déployés par les services secrets pour étouffer leurs manigances, les taupes… Pour les amateurs du genre, c’est parfait.

Les descriptions du Londres souterrain sont documentées : Oliver Harris est membre de l’association « Subterranea Britannica », consacrée à la recherche des structures souterraines à l’abandon. Londres évidemment a connu les bombardements pendant la deuxième guerre mondiale et contient bon nombre d’abris souterrains, reliés au réseau du métro, aménagés parfois en abris anti-nucléaires, tout un monde étrange…

La plateforme 4 abandonnée de Wood Lane.

Un thriller efficace dans un univers étonnant.

Raccoon

 

 

LES MILICES DU KALAHARI de Karin Brynard au Seuil policiers

Traduction : Estelle Roudet.

Karin Brynard est une auteure d’Afrique du Sud, elle a grandi dans une petite ville de la Province du Cap Nord où se déroule le bouquin. Elle a été traductrice et journaliste politique. Ce livre, de 2009, est son premier publié en France. Il a reçu le « debut prize for creative writing » de l’université de Johannesburg.

« À la lisière du Kalahari, dans la province du Cap-Nord, les meurtres de fermiers blancs sont si fréquents que des milices d’autodéfense se sont constituées pour protéger les survivants contre la violence des Noirs, déterminés à récupérer les terres qu’on promet en vain de leur restituer. Aussi, quand Freddie, célèbre artiste peintre, et la petite fille métisse qu’elle a adoptée sont découvertes, la gorge tranchée, dans leur ferme reculée, les soupçons se portent aussitôt sur le contremaître, un bushman mystérieux et étonnamment sophistiqué. Mais il ne faut pas négliger la sœur de la victime, Sara. Elles n’étaient pas en très bons termes… Personne ne semble disposé à aider l’inspecteur Beeslaar, venu de la ville et peu au fait des coutumes locales, dans son enquête qui se complique à vue d’œil. »

On est loin de l’univers des grandes villes sud-africaines qu’on est plus habitué à côtoyer dans les polars et l’inspecteur Beeslaar qui va devoir enquêter sur ce meurtre est dans le même cas. Il se retrouve à ce poste après un drame qui a stoppé sa carrière à Johannesburg mais a du mal à s’habituer à sa nouvelle vie : la chaleur, le veld et les mœurs de ses habitants … même les araignées ! Tout lui est étranger.

Dans cette petite ville, la police manque cruellement de moyens : Beeslaar n’a que deux adjoints sous ses ordres, des débutants qui connaissent le secteur mais pas la manière de mener une enquête pour homicide et seulement deux véhicules pour sécuriser un secteur où les fermes se trouvent à des kilomètres les unes des autres, où le réseau de téléphone ne passe qu’à certains endroits de routes qui ne sont bien souvent que des pistes défoncées.

Et la violence est là ! Des vols de bétail dans les fermes, des meurtres dans une ferme, il n’en faut pas plus pour ranimer des antagonismes et des réflexes datant de l’apartheid… La grande majorité des fermiers sont blancs et s’ils n’ont plus le pouvoir politique, ils ont encore le pouvoir économique. Ils s’y accrochent et sont prêts à en découdre d’autant que les extrémistes instrumentalisent la peur chez les fermiers et créent des milices qui peuvent faire régner la terreur, rendre une justice expéditive et violente ou même organiser des soulèvements contre ce gouvernement dont ils se sentent les victimes.

Voilà l’ambiance dans laquelle on embarque aux côtés de Karin Brynard, les attaques et meurtres de fermiers existent réellement en Afrique du Sud, certains prennent sans doute à la lettre la chanson « kill the boer, kill the farmer » qui date de la lutte anti-apartheid. Selon les sources que l’on peut consulter, la couleur de la peau des victimes est ou n’est pas la raison de ces meurtres. La majeure partie des terres appartiennent aux Blancs et s’il y a des velléités de réforme agraire dans ce pays, elle est difficile à mettre en œuvre, les revendications territoriales doivent être justifiées et acceptées, les ex-propriétaires doivent être indemnisés et certaines expériences se sont soldées par des échecs, les nouveaux propriétaires n’étant pas assez formés.

On comprend combien tout est compliqué dans ce pays où le taux de criminalité est l’un des plus forts au monde. La fin de l’apartheid n’a éradiqué ni la misère ni la violence. Karin Brynard connaît bien la vie et l’histoire de ces petites villes rurales du Cap Nord, elle y a grandi. L’enquête de Beeslaar va l’amener à se plonger dans l’histoire des différentes communautés du veld avec des mœurs et des croyances différentes : les Bushmen quasiment disparus, les Griquas un peuple de métis qui s’appelaient eux-mêmes « les Basterds », les Boers… Tous coexistent sans se mélanger, sans se comprendre, dans la peur, réelle ou fantasmée. Mais il devra également se pencher sur les intérêts des uns et des autres dans cette région agricole qui se tourne peu à peu vers le tourisme.

Les personnages sont tous vraisemblables, ce sont des humains avec des contradictions, des parts d’ombre, des secrets plus ou moins avouables. Dans l’ambiance bien particulière de cette région, où la violence est ordinaire, ils sont soumis aux mêmes passions que partout dans le monde : amour, jalousie, vengeance, avidité…  Karin Brynard réussit à créer de beaux personnages, certains hauts en couleurs, beaucoup très sombres et elle mène à bien cette intrigue complexe de belle façon dans un contexte très documenté où on reconnaît la patte de la journaliste.

Un très bon polar où la violence se déchaine dans la chaleur du veld.

Raccoon

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