The Biggest Game in Town

Traduction: Jérôme Schmidt

Envoyé du New Yorker, le poète Al Alvarez se rend à Las Vegas pour faire un reportage sur le Championnat mondial de poker de 1981. Las Vegas est alors l’une des villes les plus extravagantes des États-Unis, une ville qui n’a qu’une promesse : votre vie peut changer d’une seconde à l’autre… si vous avez de la chance. Des millions de gens venus du monde entier jouent aux tables de poker, mais une poignée à peine se risque aux plus grosses tables. Les fortunes changent de main, le poker devient alors un sport extrême. Les joueurs sont tout autant aveuglés par le romantisme des grandes pertes que des grandes victoires, ou, comme l’explique l’un d’entre eux : « Notre poker est un art, les autres se contentent de tirer sur une cible mais nous, notre cible est vivante, et elle riposte. »

Qu’on se le dise, le poker ne me passionne pas le moins du monde. Je n’ai jamais éprouvé une once d’intérêt pour ce jeu. C’est bien là ce qui m’a poussé à lire Le plus gros jeu, deuxième livre du défunt écrivain Al Alvarez publié chez Métailié. Je n’étais pas exactement curieux d’en apprendre plus sur le poker, mais de savoir si l’auteur était en mesure de capter mon attention tout un livre durant sur le sujet.

Avant même le poker et ses joueurs, il y a le décor qu’Al Alvarez plante à merveille, comprenez la ville de Las Vegas, son climat, ses casinos, et ses différentes facettes, de la plus clinquante à la plus obscure : « Les casinos trônent sur la terre brûlante comme des jouets extravagants échoués sur la plage, leurs enseignes clignotant, nous faisant de l’oeil, s’emberlificotant, étincelant follement, comme s’ils vivaient leur chant du cygne, avant que la batterie s’épuise. » Les quelques descriptions nous transportent instantanément sur place et permettent au lecteur de se projeter là où il n’ira peut-être jamais. Bien que l’on connaisse tous Las Vegas, au minimum par le prisme du cinéma, le dépaysement est assuré. Une destination qui n’est pas sans conséquences pour beaucoup de ceux qui s’y risquent : « Tous les pigeons du monde entier viennent à Vegas dans l’espoir que leur chance tourne, mais un perdant reste un perdant, où qu’il aille, et ils finissent tous par sombrer dans le désespoir. D’où les agressions, d’où la violence, d’où les vols. »

A Las Vegas, les jeux se trouvent en pagaille. Parmi ces jeux, aux dires de ses pratiquants et d’Al Alvarez, il y a le poker qui est résolument à part, notamment du fait des impressionnantes sommes d’argent qui sont investies dans les parties. Certains s’autorisent à jouer sans compter, rendant les enjeux des parties colossaux et inconcevables pour le commun des mortels : « Le caractère banal et imperturbable de cette élite qui bouge de grosses sommes d’argent à table est au-delà de toute compréhension pour le joueur ordinaire. Il n’est pas uniquement question de talent et de niveau de jeu, mais aussi d’une tout autre réalité des choses. » La compétition est rude, et les joueurs s’impliquent des heures durant, avec des méthodes différentes et un savoir faire technique qui impressionne : « Pour la plupart des plus grands joueurs professionnels, le poker est devenu un substitut au sport – une activité qu’ils adoptent lorsque leur avantage physique s’est émoussé, mais qui demande la même concentration, le même talent et la même endurance, un exutoire à la compétitivité qui bouillonne en eux. »

L’une des grandes forces de l’auteur est d’arriver, en plus de la ville et du jeu, à saisir la diversité des profils des différents joueurs dont il est question au fil des pages. Il rend parfaitement compte des parcours de vie des uns et des autres, et de leur état d’esprit face au jeu en général, mais aussi dans le cadre des grandes compétitions qu’ils disputent. A cela s’ajoute la dimension intemporelle du récit, alors même que nous sommes au début des années 1980, mais peut-être cela est-il dû à Las Vegas où le temps semble s’arrêter. Quoi qu’il en soit, la beauté de la plume d’Al Alvarez et la justesse de son regard insufflent une véritable beauté à une chronique qui aurait tout aussi bien pu être purement clinique et technique.

Al Alvarez nous offre une plongée réaliste et immersive dans l’univers du poker au coeur même de Las Vegas. Le plus gros jeu est un livre fascinant et passionnant. Ecrit d’une main de maître, il a tous les atouts pour satisfaire bien plus que les amateurs de poker.

Brother Jo.