Chroniques noires et partisanes

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MOUREZ JEUNESSES de Christian Casoni / Le mot et le reste

Le commandant Victor Maniabosco a été mis à pied. Alors que l’IGPN enquête sur sa pomme, il croit trouver le salut en réactivant une affaire vieille de vingt ans. Tous les voyants sont au rouge mais cette fois, il pense que c’est la bonne et se lance sur la piste d’un tueur bestial. Si cette enquête reposait sur le modèle classique : un crime, un tueur, un flic, un indice, on continuerait d’être cartésien pénard, mais rien n’est jamais simple avec “Bosco”. L’un des chemins qui mènent à cette kermesse sanglante part d’Ouidah, la ville du Bénin où le vaudou serait né. Derrière le vaudou il y a tous ces aventuriers qui ferment l’arrière-ban de la décadence coloniale, derrière le tueur, un marionnettiste, derrière le marionnettiste, le détournement de fonds du siècle, perpétré jadis dans les coulisses d’une révolution. Maniabosco n’y peut rien, c’est son destin, dès qu’il met le nez dehors il est éclaboussé par les cadavres, coursé par tous les chiens de l’enfer, et il en fait profiter les autres.

J’avais déjà repéré Christian Casoni à la sortie de son premier livre, Juke : 110 portraits de bluesman, que je n’ai finalement jamais lu. J’ai également été tenté par le suivant, Sa majesté Clodomir, son premier roman, que je n’ai bien évidemment toujours pas lu. Et puis est arrivée l’annonce du suivant, Mourez jeunesses publié chez Le Mot et le Reste, qui m’a tout de suite fait de l’oeil. J’aurais très bien pu continuer sur ma lancée et ne pas le lire non plus, histoire d’être cohérent dans ma démarche. Un énième auteur que je n’aurais creusé qu’à sa mort, un prétexte qui tombe toujours bien. Mais la cohérence et moi… Et puis, il y a cette bien belle couverture, noire comme il faut, avec ce vautour inamical qui accroche l’oeil. On va voir si j’ai eu le nez fin.

Avec son deuxième roman, comme le premier, c’est du polar que nous propose Christian Casoni. Et les deux sont liés par un même personnage, le commandant de police Victor Maniabosco. Et pour du polar, c’est du polar bien dans les codes du genre. Dans un certain sens, une recette éculée, dans un autre, suffit d’un rien pour qu’il y ait le truc en plus. Et les codes du genre, le plus souvent, de prime abord, ça m’emmerde un peu. Je dois néanmoins reconnaître que ça ne m’empêche pas pour autant de vivre des lectures agréables. Je me dis juste, parfois, que l’originalité manque dans la démarche. Bref, tout ça pour dire que, dans les grandes lignes, Mourez jeunesse ne révolutionne pas le genre. Une enquête, plusieurs, des morts, en pagaille, un flic, pas tout à fait dans les clous sans être franchement marteau non plus, et j’en passe. Je ne vais pas vous faire la liste. Vous voyez où je veux en venir. Mais l’auteur sait tirer son épingle du jeu et avec une certaine classe.

Les forces de Christian Casoni, et donc du livre, sont au nombre de deux. Déjà, il y a son sens du détail, sa grande minutie pour dépeindre une toile de fond parfaitement crédible. Ici, bien que l’on soit essentiellement en France, c’est le Bénin, son histoire, ses rites vaudou et plus encore. Casoni connaît son affaire. On a des couches et des sous-couches. Il a potassé, c’est évident, et c’est tout en son honneur. Mais sa plus grande force, et pas des moindres, c’est sa plume. Une écriture que j’ai presque envie de dire « à l’ancienne ». Les dialogues sont très forts, les répliques percutantes. Ça fuse. C’est sec. Monsieur a du talent, ça ne déconne pas. Enfin si, beaucoup. L’humour ne manque jamais. Comme cela a déjà été dit à son sujet, il y a du Audiard, du Chabrol aussi, on y pense beaucoup. Qui plus est, le texte, dans ses images comme dans ses répliques, est cinématographique à souhait. Un raconteur d’histoire qui a l’art et la manière.

Christian Casoni signe un polar assurément bien ficelé au héros attachant. C’est excellemment bien écrit, riche en matière et répliques ciselées qui surinent. Foncièrement drôle sans oublier d’être noir. Les amateurs seront ravis, les autres aussi. A quand le film ?

Brother Jo.

OÙ REPOSENT NOS OMBRES de Sébastien Vidal / Le mot et le reste

 Sébastien Vidal remonte le temps jusqu’en juillet 1987. Une fille et trois gars d’une quinzaine d’années sont en vacances dans leur village corrézien, passent leur temps devant la télé, à la piscine et surtout dans les bois. C’est en se perdant qu’ils trouvent leur paradis au creux de la forêt, le Puy perdu, proche de la cabane du marginal local, l’Indien, René, sorti d’un roman de Mark Twain ou de Daniel Defoe. Tout semble bien se passer, l’écriture s’étale avec lenteur sur une cinquantaine de pages, pourtant l’auteur sème des inquiétudes, de petits signaux.

D’un coup, on change de rythme, de région ; Jacques et Antonio, deux braqueurs, un meurtrier.
Il n’y croit pas, ça y est, ils ont basculé de l’autre côté. Ils ont tranché net dans le quotidien et la routine. Désormais ce sera ça leur vie, pas d’horaires, pas de boulot merdique payé trois fois rien, pas de contremaître sur le dos, plus de fins de mois difficiles, plus de chômage, ils viennent de se mettre à leur compte.

Ils se trouvent dans la banlieue sud de Paris, à Palaiseau. Ils s’éloignent de l’épicentre, ils veulent se terrer, laisser passer l’orage. Plus les kilomètres défilent, plus les deux hommes redescendent sur terre. Un braquage c’est déjà quelque chose, mais tuer un homme ça n’a rien à voir.

Voici donc deux petites frappes qui viennent de rater leur premier gros coup. Ces deux trafiquants de cigarettes et d’autoradios jouent trop vite trop fort dans la cour des grands et se perdent sur les routes de l’Essonne, en enfilant les conneries comme des perles. Deux tocards coincés dans une cavale qui se poursuit à huis-clos dans des Renault volées.
D’une ambiance cousine des romans et récits de Pierre Bergounioux, on arrive chez le patron, Jean-Patrick Manchette, cité à plusieurs reprises dans le livre mais évident dès l’apparition de Jacques et Antonio.

À partir de là, l’auteur déroule de courts chapitres, tantôt au cœur de la Corrèze de René et des adolescents avec leurs interrogations et leurs douleurs, tantôt pendant la dérive meurtrière des truands abonnés aux vieilles Série Noire de Burnett à Bialot, transformés en ennemis publics N°1.
Chapitres dans lesquels le paysage et la nature sont omniprésents, partout des arbres, des feuilles, de l’eau, des ciels, des ronciers, de l’eau encore ; dans ces passages, Sébastien Vidal peint plus qu’il n’écrit, il donne à voir plus qu’à lire. Il joue également avec la nostalgie mais sans en abuser, son écriture se détache assez rapidement des clichés estampillés années 80 tout en accrochant à son récit de nombreuses références, avec un goût affirmé pour la variété française.

Jacques a ressassé tout un tas de pensées mortifères. Il a sondé en lui et n’a rien trouvé qui soit capable de l’apaiser. Il est là, au bout de la nuit, avec une énorme boule au ventre, un volcan d’acide qui le dévore avec une extrême lenteur. À l’extérieur, il sait qu’il y a le ciel, mais lui se sent étouffé par une voûte lourde et basse qui le comprime, pris au piège de son corps et de la société, il a des envies de meurtres et de violence. Il a envie que quelqu’un débarque à la cabane et les découvre, ça lui donnerait une excuse pour tuer. Et puis à quoi bon des excuses, pas besoin d’excuses. Jacques se lève, mâchoires serrées, le visage est placide, mais son regard halluciné fait peur. Il plaque sa main sur son ventre pour vérifier la présence du pistolet et sort. La lumière qui descend sur lui est douce et colorée. Une lumière d’été chaude qui donne envie de s’y tremper. Les arbres qui cerclent la clairière se dressent et pointent les nuées de leurs corps droits et décidés. Ils bordent le ciel de leurs houppes et le bleu intense de la voûte apparaît comme un lac à l’envers, sans aucun reflet, sans ride, infiniment profond.

Si l’on comprend rapidement qu’à l’issue de  Où reposent nos ombres ces deux histoires vont tragiquement se mêler et laisseront d’amers souvenirs, il faut reconnaître que l’auteur possède un bon tour de main pour nous mener patiemment au bout de ses presque quatre cents pages, sans jamais tomber dans le sensationnalisme. Notamment en donnant naissance à des personnages réalistes et subtils, avec une mention spéciale pour René et Jacques ; ces deux-là sont bien singuliers, des caractères forgés dans la souffrance, reçue comme donnée, tous deux rejetés par la vie, avec en commun un sens très développé de l’injustice. 

NicoTag

ÇA RESTERA COMME UNE LUMIÈRE de Sébastien Vidal / Le mot et le reste.

 « Ça restera comme une lumière » de Sébastien VIDAL m’a happé dès les premières pages et ne m’a plus lâché jusqu’à la dernière. L’auteur a ce style d’écriture qui va droit au but, puissante et captivante. Sébastien VIDAL sait retranscrire à merveille, les émotions, les sentiments de ces personnages, le tout dans un environnement rural, dépeint au point d’avoir l’impression d’y être allé soi-même.

Le personnage principal est Josselin, ancien militaire en opération au Mali revenu blessé physiquement et psychologiquement. Il y a perdu son œil, son compagnon d’arme Erwan et le bien-fondé de son engagement pour sa patrie. En phase de reconstruction, il revient à Missoulat petite ville de province où il a passé 2 mois de vacances inoubliables plus jeune.

Il fait la rencontre de Henri, ferronnier et artiste du métal, personnage fort qui a perdu sa femme dans un tragique accident et coupé tous liens malgré lui avec sa fille Emma.

Les deux hommes vont partager leurs vies pudiquement et s’épauler mutuellement. L’ancien transmettant au plus jeune son savoir-faire et recevant en retour une aide précieuse.

En effet, Missoulat est une petite ville désertée, souffrant économiquement, vivant sous le joug de Charles Thévenet, patron de la seule entreprise du secteur. Thévenet ne vit que pour écraser son prochain dans le seul but d’asseoir un peu plus son empire, contrôlant la politique locale, la gendarmerie et ses citoyens. Il use à volonté d’hommes de main pour arriver à ses fins et il a une sérieuse dent contre Henri dont il veut récupérer les terres et se venger, le pensant coupable de la mort de son fils.

Josselin navigue donc en eaux troubles dans ce climat pesant et va retrouver ses amis d’enfance Martin et Emma. Martin vit en marge de la ville dans une caravane pourrie et passe le plus clair de son temps dans les vapeurs d’alcool, Emma tient un salon esthétique, enceinte et toujours aussi belle aux yeux de Josselin. 

L’histoire s’envenime crescendo, l’intensité monte doucement mais sûrement, les personnages principaux sont au cœur d’une sombre tourmente qui ravage les cœurs et les esprits. L’apothéose est une explosion de sentiments pour le lecteur mêlant la joie, l’amertume, la tristesse et l’espoir.

Ce roman met en lumière la complexité de la nature humaine face à la mort et sa résilience, la faculté de l’Homme à surmonter les échecs et les épreuves de la vie, la force de l’amour d’un père pour sa fille, l’abnégation d’un homme pour l’amour de sa vie.

Ça restera pour moi l’une des plus grosses claques littéraires.

Nikoma

LE SOURIRE DU SCORPION de Patrice Gain / Le mot et le reste.

En passant par le Monténegro…

« Une fois blotti dans un recoin de cette carapace comme un bernard-l’hermite dans un coquillage, j’ai ouvert mon sac et attrapé le livre que j’avais emprunté à la bibliothèque. J’avais été sacrément chanceux de le dénicher dans le coin réservé aux prix littéraires. Un bouquin de 1971 avec en couverture deux bras qui émergent de l’eau en brandissant une arme de chasse et au loin un canoë avec trois types à bord à qui l’on ne prédit pas un avenir radieux. Au-dessus, des lettres bleues criant Délivrance, coiffées du nom de l’auteur, James Dickey »

Patrice Gain fait partie de ces auteurs d’une élégante discrétion dont chaque nouveau roman est devenu une fête pour les lecteurs qui le suivent. Le sourire du scorpion ne fait pas exception à la règle : il s’agit d’un récit magnifique, sombre, habité par des personnages complexes et par une nature tantôt amie, tantôt adversaire.

Le narrateur, Tom, est devenu un jeune homme au moment il commence à raconter l’histoire du Scorpion. Mais, à l’instar de Matt, le personnage de Dénali, c’est encore un ado en 2006, au moment où sa vie et celle de sa famille bascule, quelque part au cœur du Monténegro, dans le canyon de la Tara.

Famille de saltimbanques, les parents de Tom et de Luna, sa sœur jumelle, vivent leurs vies en êtres libres et généreux. Vivant dans un camion avec leurs deux ados, travaillant au gré des besoins saisonniers, Mily et Alex font partie de ces doux rêveurs qui traversent la vie en donnant plus qu’en se servant. La descente de la Tara en raft, une idée d’Alex et de leur guide serbe, Goran, ne réjouit pourtant pas Mily, incapable de se départir d’un désagréable sentiment de fatalité.

L’écriture de Patrice Gain, précise dans les détails, sobre, miroir d’encre des paysages qu’il décrit, entraîne le lecteur au cœur d’un drame qui, s’il est prévisible, n’en est pas moins poignant. Et c’est par ce drame que la véritable histoire commence.

Le retour en France en famille estropiée, le deuil qui vous cueille du jour au lendemain, le parent qui reste devenu un étranger, un malade, deux ados qui encaissent ce revirement de l’existence chacun à sa manière, des années qui s’écoulent, le voile qui se déchire enfin sur l’accident de la Tara.

Tom, le narrateur, revient sur ces années angoissantes et remet les pièces du puzzle en place avec application : un travail de résilience qui impose le respect. Tout comme Matt, (Dénali, vous vous souvenez ?) il fait partie de ces personnages auxquels on pense longtemps après avoir fermé le livre, avec affection et mélancolie. Un survivant.

Voilà, tout ça pour dire, nom de nom, si vous ne connaissez pas encore Patrice Gain, bande de veinards, précipitez-vous sur ses livres !

Monica.

ET LES BEATLES MONTÈRENT AU CIEL de Valentine Del Moral / Le mot et le reste.

“ C’est leur dernier concert et les Beatles ne le savent pas encore. Après deux ans d’absence scénique, les Fab Four choisissent de se produire sur un toit terrasse dans un vent furibond, sans filles hystériques, devant un public clairsemé.”

le 30 janvier 1969, à Londres, sur le toit de l’immeuble abritant leur maison de disques, les Beatles jouent un concert, enfin pour être plus proche de la vérité que nous raconte Valentine Del Moral, ils se font filmer  pour mettre un terme à leur nouveau film “ Let it be” qui illustrera l’album éponyme à venir. Depuis un concert houleux à San Francisco fin 66, le groupe, fatigué de terminer les concerts à moitié à poil, les oreilles saignant sous les hurlements des groupies n’est plus remonté au front. Les plus grands rockers du début des 60’s  sont devenus les icônes de la pop mais ont perdu de leur fureur primitive, obladi oblada…

Les Beatles ne sont plus un groupe mais ce matin là, quatre garçons dans le vent de janvier faisant de la promo, tout heureux de se retrouver tous les quatre après les tentatives de départ de Ringo Starr ou de George Harrison, la mort supposée de Paulo et les guerres d’égo entre ce dernier et Jésus Lennon. Tournant aux amphets à leurs débuts à Hambourg, ils ont depuis découvert et adopté la marijuana avec Dylan, le LSD avec leur dentiste, la coke, l’héro et Yoko Ono et tout cela, a laissé des traces. C’est cet événement que U2 n’a nullement inventé dans son clip “where the streets have no name” que nous raconte avec intelligence et beaucoup de malice Valentine Del Moral.

Bien sûr, pour le commun des mortels, c’est un épiphénomène mais si vous avez dépassé la cinquantaine ou si vous avez la trentaine et que vos parents vous ont ont bassiné toute votre enfance avec l’album bleu ou l’album rouge (vous auriez aussi très bien pu vous choper Johnny scotché à vie dans les neurones alors ne reniez pas votre héritage), la couverture et le titre magnifique doivent faire tilt illico.

Ce concert sans foule hurlante, sans pépettes balançant leur soutif, sans spot-lights, sans soleil forcément à Londres est raconté dans tous ses détails. Alors, cela pourrait être très fastidieux, voire franchement barbant, réservé aux « happy few » et c’est passionnant. Nul doute que Valentine adore les Beatles, le groupe, sa musique, son mythe et on apprend beaucoup. Ne se contentant pas de faire la pige comme un journaliste d’un grand quotidien national il y a quelques années racontant par le menu le concert d’un groupe ne s’étant pas produit ce soir-là finalement à la Route du Rock, l’auteure nous fait vivre le moment tout en nous parlant de l’avant mais aussi de l’après, la chronique d’un mort annoncée. Les techniciens, les employés, l’entourage du groupe, les managers, les pékins attirés par la musique, les Fab Four, les bobbies, les groupies, les paparazzi, tout est raconté, montré, interprété comme si on y était ou plutôt comme si Valentine Del Moral y était ce matin-là.

Qui aime bien, châtie bien et Valentine Del Moral ne se prive pas pour écorner l’image, pour railler, pour se moquer, pour persifler contre la Ono. Emportée par son élan et par sa passion qu’elle sait parfaitement communiquer, elle s’emballe souvent et ose des allégories mythologiques, bibliques, cite Astérix, James Bond, obladi oblada… et fait souvent rire.

“Au paradis, ça swingue. Les Garçons, dans le vent de janvier, attaquent le troisième couplet  de “Don’t let me down”. Et là, John a un trou de mémoire. Nom de d’là, c’est quoi déjà les paroles que j’ai écrites avec mes tripes pour l’Ono de ma vie? Bah ça alors! Ch’ais pus.Tant pis, je me lance: “and no le reesea goble blue jee goo”.

A ce moment précis, toutes les escarmouches, les passes d’armes, les embrouilles, les Yokohoneries, tombent aux oubliettes. Le Lennon d’avant la crise d’adolescence tardive refait surface. Un sourire se dessine sur son visage amaigri.”

Le concert n’est pas fameux, déconnecté de la réalité d’un groupe de rock de l’époque, pas un des sommets de la carrière des Quatre de Liverpool mais intelligemment, brillamment, l’auteure en fait une des pierres angulaires d’un mythe qu’elle construit habilement et qu’elle déconstruit tout aussi allègrement.

A savourer “while my guitar gently weeps”.

Wollanup.


TERRES FAUVES de Patrice Gain / éditions Le mot et le reste.

« L’ Alaska était le dernier endroit après l’enfer où j’avais envie de mettre les pieds et de surcroît je détestais prendre l’avion. »

Après Denali, magnifique roman initiatique prenant ses sources dans les terres du Montana, Patrice Gain récidive cette année et revient avec Terres Fauves : nature et culture, deux éternelles ennemies ? Encore une fois, en refermant le livre, le lecteur se retrouve un peu hagard, un sentiment de solitude au creux de la poitrine, comme abandonné au bord de la route : l’histoire est finie.

David McCae, citadin par excellence, écrivain au creux de la vague et amoureux éconduit depuis peu, doit quitter New York la rassurante pour les terres inhospitalières de l’Alaska. Il est en train de plancher sur un livre de « mémoires » relatant la vie du gouverneur Kearny et ce dernier souhaite (élections obligent) y faire rajouter un chapitre héroïque de sa vie, son amitié avec Dick Carlson, haute figure de l’alpinisme.

Le hic : le fameux Dick Carlson vit en Alaska, à Valdez. Soit. De toute façon ce n’est pas comme si David, le narrateur avait le choix : il est sous contrat, il doit y aller.

Dick Carlson est à l’image des terres qu’il habite : revêche, sauvage, inaccessible – à moins qu’il décide du contraire. Dans tous les cas, rien dans son attitude ne rendra le séjour de David plus agréable : « Je n’étais pas armé pour approcher des types comme lui. Il me faisait l’effet d’être une plante épiphyte, une tique qui avait, toute sa vie durant, cherché les meilleures échines pour s’implanter, se nourrir et se développer. Ce dieu mégalomane me mettait mal à l’aise. »

Le supplice de David ne fait que commencer : comprenons-le, sa vie personnelle est loin d’être épanouie, professionnellement il fait office de ghost writer au service d’un politique au passé pas très clair et pour combler le tout, il est coincé avec l’un des types les moins avenants de la Terre au fin fond de l’Alaska. Le jour où notre malheureux narrateur découvre par hasard que l’aventure partagée par le gouverneur Kearny et Dick Carlson cache des zones d’ombre peu reluisantes… hé ben oui, la situation empire encore !

A la demande de Carlson, David accompagne celui-ci à Ravencroft pour un week-end de chasse en compagnie de plusieurs amis de l’alpiniste : ce bain de nature sauvage en compagnie des ours et des armes devait faire comprendre à l’écrivain de quel bois se chauffent les hommes comme le gouverneur Kearny. Dans ce contexte, la fragilité de David et son complète inaptitude à une existence autre que la vie urbaine, deviennent de plus en plus inquiétantes.  Autant les compagnons de chasse de son hôte sont tous des citadins, hommes d’affaires, hommes de pouvoir jouant aux sauvages à la petite semaine, la virilité étant directement liée à leur capacité à affronter un ours et d’en déguster les steaks en fin de journée, autant David est l’exemple parfait de l’urbain actuel, dépourvu de ressources une fois hors les murs rassurants de la Ville.

« Ah, te voilà, David. J’espère que ce séjour t’aura été profitable. Je ne vais pas pouvoir te prendre dans l’hélico tout de suite. Tu vas devoir patienter un peu. »

A partir de ce moment, on retrouve dans le roman de Patrice Gain le souffle, la puissance qui nous avait laissé sur le carreau à la lecture de Denali. Rien ne sera épargné à ce pauvre David et le combat qui s’engage désormais entre ce type plutôt médiocre au demeurant et les forces spectaculaires de la Nature, sans compter l’intrigue politique en arrière toile de fond, a de quoi vous coller à votre canapé.

Petit à petit et grâce à ce combat qu’il n’a pas cherché (il l’aurait même fui s’il avait eu le choix) mais qu’il doit affronter – il s’agit de sa survie – David devient. Il devient enfin. J’ai hésité à rajouter le C.O.D. qui va bien mais finalement non parce qu’il devient tout court grâce à la confrontation avec la Nature.

Je vous laisse méditer là-dessus (et non, vous n’avez pas tout deviné, je vous assure, vous ne pourrez connaître le fin mot de l’histoire qu’en lisant Terres Fauves et je vous promets que ça vaut le coup !).

Monica.

 

ARCADE FIRE de Matthieu Davette / Le mot et le reste.

« En septembre 2004, le groupe montréalais Arcade Fire sort son premier album Funeral sur le label Merge. La presse va s’emparer de cet ovni et tout va s’emballer. Ce qui n’était qu’un collectif à la marge deviendra le premier groupe signé label indépendant à obtenir un Grammy Award. Porté par les deux frères Butler et la multi-instrumentiste Régine Chassagne, Arcade Fire synthétise le renouveau d’une scène indie-rock que médias et artistes (David Bowie et David Byrne les ont rejoints sur scène dès leur première tournée) exultent à mettre en avant. Savant mélange entre exigence indie, orchestrations, grandiloquentes, songwriting folk et usage à contre-emploi d’instruments (accordéon, vielle à roue, etc), leur musique est intrinsèquement liée à celle de l’excitant creuset musical que fut Montréal au début des années deux mille. « 

Les biographies de qualité des groupes ne sont pas légion en français et celle-ci doit être la première sur le monument canadien qu’est devenu Arcade Fire. Canadien, même si les deux frangins Butler créateurs du groupe avec Régine Chassagne multi instrumentiste aux racines haïtiennes sont avant tout des Ricains bon teint.

Evidemment, vous n’achèterez ce livre de fan que si vous êtes vous-même fan de ce collectif, éminemment original et dont les concerts sont d’énormes fêtes où de nombreux styles musicaux se côtoient puis se mélangeant, s’harmonisent, s’embellissent, dans une fusion irrésistible. En 2014, Matthieu Davette a vu le groupe en concert et ce fut le coup de foudre au point que voulant dans un premier temps entamer une carrière de romancier, il a finalement opté pour un ouvrage racontant l’histoire de ce collectif.

N’hésitant pas à utiliser des instruments rarement utilisés dans l’univers du rock, Arcade Fire sort sa force de sa diversité, des mélanges d’influences parfois anciennes qui sont expliquées par un auteur particulièrement bien renseigné. Matthieu Davette raconte l’histoire du groupe en remontant très loin dans la vie de Win Butler jusqu’à l’origine de son patronyme, ayant pris le parti que si Arcade Fire est avant tout un collectif, son leadership échoit pleinement à Win guitariste, compositeur et chanteur.

S’il emploie une faconde qui parfois se rapproche du romanesque, l’ouvrage peut néanmoins se lire par petites étapes sans que sa compréhension se révèle particulièrement  plus ardue. Bel effort d’un admirateur qui offre un beau cadeau à ceux qui pensent (à raison) que Funeral et Neon Bible sont deux albums qui connaîtront l’éternité.

Riche!

Wollanup

PS: le son et le l’image sont loin d’être parfaits mais… j’étais là, sur scène ce soir du 8 mai 2007, dans un immense théâtre baroque de Harlem au fin fond de Manhattan.

 

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