Chroniques noires et partisanes

Étiquette : le masque

PRENDS MA MAIN de Megan Abbott / Le masque.

Traduction: Jean Esch.

La force d’un roman noir se situe en général dans la force de ses personnages. Dans “Prends ma main”, Megan Abbott choisit de nous raconter l’histoire de Kit et Diane.

Ce sont deux jeunes femmes qui se sont connues, adolescentes, au lycée. Deux bonnes élèves, très bonnes même, que l’amour du travail et de la chimie a rapprochées. Chacune puise dans l’autre la force nécessaire pour se surpasser, être la meilleure, la plus aimée.

Kit est une jeune fille qui vit seule avec sa mère, son père ayant fui le domicile conjugal. Elle aime profondément sa mère mais elle n’a qu’un seul but, quitter cette petite ville provinciale, découvrir de nouveaux horizons, vivre.

Diane, elle, est une jeune fille de bonne famille. Son père est décédé, sa mère a refait sa vie et elle s’est installée  de l’autre côté du pays. Elle vit donc avec son grand-père, dans une immense demeure. Mais elle est seule, mystérieuse, ne se lie pas facilement aux autres. Elle cache un lourd secret qu’elle décide de révéler un soir à sa seule amie Kit.

Ce secret est l’ombre du roman, nous savons qu’il existe mais nous n’en connaissons  pas la teneur jusqu’à la moitié du roman. La révélation de ce secret signe la fin de cette amitié pour les deux jeunes filles.

Des années plus tard, elles se retrouvent pour travailler ensemble dans le même laboratoire de recherches. Et ce secret enfoui refait surface. Elles postulent toute les deux au même poste dans une unité de recherche. Kit va-t-elle se servir de ce secret pour gagner la partie ?

C’est l’histoire, d’une amitié, de la vie des femmes et de ce qu’elles doivent sacrifier pour réussir, de l’ambition et de ce que celle-ci demande comme sacrifice pour être atteinte. Malheureusement, je n’ai pas réussi à aimer ces personnages. Kit est fatigante, éternelle insatisfaite, qui se plaint beaucoup, mais ne fait pas grand-chose, au fond, pour sortir de son état semi-dépressif.

Diane, quant à elle, est froide, austère, sinistre. Elle n’a pas d’amie mais ne fait pas grand-chose pour que les gens l’apprécient. Rien ne doit l’arrêter ou la freiner pour arriver à atteindre ses objectifs.

Megan Abbott a voulu donner une place particulière aux femmes dans ce roman, ce sont elles qui sont combatives, fortes, qui doivent se surpasser pour réussir, et non les hommes. Mais j’ai trouvé que pour appuyer sa démonstration, elles manquent chacune de charisme, de profondeur.

Les personnages sont assez lisses et stéréotypés, trop, pour montrer que la place des femmes est plus difficile que celle des hommes dans notre société. Je n’ai malheureusement pas réussi à passer ce cap, et suis restée sur ma faim.

Décevant

Marie-Laure.

SIRENES de Joseph Knox / Le Masque.

Traduction: Jean Esch.

Aidan Waits est un jeune flic, jeune et pour autant déjà lessivé et perdu. Il est officiellement mis au banc de son service et utilisé par le superintendant Parrs pour une immersion dans les bas fonds de Manchester. Il est recruté en souterrain pour surveiller Isabelle Rossiter, fille d’un député, qui a fugué et a trouvé refuge auprès de Zain Carver, chef incontesté de la pègre locale, la Franchise. Mais personne n’est transparent dans ce milieu, dès que l’on peut utiliser et manipuler quelqu’un, on ne se gêne pas.

Aidan plonge alors un peu plus dans la violence urbaine. Il s’insère dans le cercle de La Franchise, passe un pacte avec  Carver afin que les enquêtes le visant n’aboutissent pas, tout en essayant de respecter ses engagements auprès de ses supérieurs.

Pour ce faire, il tournoie autour des personnages clés qui entourent Carver : son garde du corps, les barmans à sa solde, et bien sûr « ses filles ». Toutes jeunes, jolies, qui lui servent pour faire la collecte de l’argent et la drogue. Comment résister à ces femmes ? Elles sont le seul point lumineux dans le monde d’Aidan malgré leurs multiples facettes.

Knox nous dépeint un monde lugubre, où, si vous n’êtes pas né du bon côté, tout est fait pour vous enfoncer davantage. Chacun veut sa part du gâteau et pour y arriver, tous se servent des quelques atouts qu’ils possèdent : la force et la violence pour les hommes, le charme et la manipulation pour les femmes.

C’est une véritable descente aux enfers, où la drogue et l’alcool  permettent de donner un semblant de bonheur, tout du moins la force nécessaire pour s’accepter et atteindre le lendemain. Les réveils sont douloureux, glauques, et peu d’espoir est permis. On surfe tout du long au bord du précipice, on y plonge parfois, mais on ne se retrouve à la crête des vagues que très rarement. C’est un monde où la duperie, la trahison et le chagrin sont les rois. Les nuits de Manchester sont sombres et cruelles, un seul faux pas peut vous être fatal.

Il s’agit d’un premier roman, mais on attend le prochain avec impatience. Joseph Knox a su nous tenir en haleine tout du long, pas de répit dans ce roman, pas de joie, pas de certitude, juste un profond désespoir présent à chaque page.

Marie-Laure.

PS: On tente toujours de mettre un morceau qui colle avec le roman. Là, je suis plutôt content de ma trouvaille puisque New Order, en plus de parler de sirènes est originaire de Manchester, lieu de l’intrigue. Bah, on a les petits bonheurs qu’on trouve. (Clete)

 

LE DIABLE REBAT LES CARTES de Ian Rankin / Le Masque.

Traduction: Freddy Michalski.

On retrouve avec plaisir Ian Rankin et son personnage Rebus. Ce dernier est toujours à la retraite, mais peut-on vraiment parler de retraite avec Rebus ? Dans ce nouveau roman, il s’intéresse au meurtre d’une femme de la haute société dans les années 70. Cette dernière est tuée dans un hôtel qui est occupé par son amant une gloire du rock, son groupe et ses amis. Les soupçons vont naturellement vers le mari, un riche banquier d’Edimbourg, mais le meurtre reste irrésolu.

Bien sûr, on retrouve également dans ce livre les protagonistes habituels : Siobban Clarke et Malcom Fox. Ces deux-là sont obligés de coopérer dans une enquête et laisser leur rancune de côté : Darryl Christie s’est fait tabasser devant chez lui. Les suspects ne manquent évidemment pas, vu le nombre d’ennemis qu’il a pu se faire. Le premier d’entre eux est bien évidemment Cafferty qui ne veut pas abandonner son territoire à ce jeune prétendant.

L’enquête les menant naturellement vers Cafferty, Siobban fait appel à Rebus pour lui venir en aide. Ces deux instructions conduites de front, vont amener Rebus une fois de plus des bas-fonds d’Edimbourg aux salons de la bourgeoisie, montrant avec tout le talent de Ian Rankin, que ces derniers sont tout aussi violents, noirs, et pourris.

Dans cet opus, Rebus montre des signes évidents de fatigue : il essaie de se sevrer de l’alcool et de la cigarette, son corps à bout des excès, donne une tout autre dimension au roman. Nous sommes confrontés à la maladie, on s’inquiète pour ce personnage auquel on s’est vraiment attaché au fil de nos lectures. Mais son mordant est pour l’heure toujours là, sa soif de justice, son indocilité et son humour très cynique.

On pourrait avoir peur que le roman sombre dans l’habitude et les facilités, mais Ian Rankin ne s’essouffle pas, il arrive mieux que jamais à nous captiver, à faire ressortir le meilleur et le pire de ses personnages, il s’agit vraiment d’un excellent cru.

Pour les amateurs ou pour les nouveaux lecteurs de Ian Rankin, je ne peux que vous conseiller d’approfondir votre connaissance d’Edimbourg et de Rebus avec la lecture de « The beat Goes on », recueil de nouvelles consacrées à ce personnage de flic alcoolique, irascible, amateur de rock, têtu mais au combien attachant et extrêmement perspicace dans ses enquêtes. Le recueil comporte 31 nouvelles, de la jeunesse de ce personnage à son arrivée à la retraite, 31 nouvelles qui nous permettent de mieux le connaître, le comprendre et bien sûr de s’y attacher. Pour ma part, contrat entièrement rempli.

Marie-Laure.

LES BRÛLURES DE LA VILLE de Thomas O’Malley et Douglas Graham Purdy / le Masque.

Traduction: François Rosso.

L’histoire se déroule en 1954, dans la ville de Boston qui est écrasée par une canicule. Vous êtes alors transporté au milieu d’une importante communauté irlandaise en lutte avec les italiens, plus fraîchement immigrés mais qui veulent prendre le pouvoir. La vie est dure, le chômage important, la violence omniprésente.

Une nuit, l’inspecteur Owen reçoit un tuyau d’un informateur concernant l’arrivée d’un bateau chargé d’une cargaison d’armes de contrebande pour l’IRA. L’inspecteur arrive trop tard, il ne trouve plus qu’une série de cadavres, dans le sillage du bateau. Les Irlandais, plus ou moins fiers de leur appartenance à « la cause » restent soudés et refusent de parler. Owen fait donc appel à son cousin Cal et son ami d’enfance Dante. Dante est un ancien toxico, musicien, au chômage qui doit gagner un minimum pour sa famille : sa sœur et la fille dont il a la charge. Cal, lui est un ancien flic, alcoolique, qui a été sorti des forces de police et se retrouve avec une boîte de sécurité privée qu’il fait tourner avec un personnel d’ex-taulards.

Les 2 amis vont donc arpenter les trottoirs du quartier pour mener l’enquête en parallèle d’Owen. Nous sommes alors plongés dans cette atmosphère très noire, on sent la détresse, la misère, les gangs, la toute-puissance de l’IRA dans ces quartiers populeux : « Dans leur tête ils ne vivent pas aux Etats-Unis, ils vivent à 6000 kilomètres ce qui pour eux veut encore dire chez eux ».

L’ambiance est étouffante, comme la canicule qui écrase Boston, le ton utilisé et le rythme employé collent parfaitement à ce roman très sombre qui dépeint un quartier glauque, où la population reste très ancrée dans sa culture, tournée vers elle-même. L’IRA est dans tous les esprits, ils survivent pour cette cause, font face à la violence, la provoque pour elle.

On mène l’enquête avec les trois personnages principaux, tout en étant mêlé à leurs vies personnelles, leurs souffrances, leurs petits bonheurs. L’aide qu’apportent Cal et Dante à Owen, dans cette enquête, leur permet d’espérer une sorte de rédemption, un avenir meilleur, une sortie du tunnel. Owen quant à lui, continue son enquête officielle, il jongle entre son travail, sa famille, ses amis, en essayant de préserver les uns et les autres.

Ce livre est la suite de « Les morsures du froid » que je n’ai pas lu, ce qui ne gêne en rien la lecture et la compréhension de ce nouvel opus. Par contre, ce livre m’a donné une furieuse envie de découvrir ce 1er volume. Pour tous les amateurs de romans noirs.

Marie-Laure.

LA NATURE DES CHOSES de Charlotte Wood / Le Masque.

Traduction: Sabine Porte.

Il s’agit d’un véritable roman noir, violent, dérangeant parfois, et avec un engagement féministe fort.

L’histoire : dix femmes sont retenues prisonnières au milieu du bush australien dans un complexe de plusieurs bâtiments entourés d’une clôture électrique infranchissable.

Pourquoi sont-elles prisonnières, qui les a menées là ? Ces questions n’ont en fait, pas une importance primordiale, l’auteur nous laisse dans le flou de façon à nous immerger totalement dans la captivité. Nous vivons avec ces femmes, nous nous sentons sales, nous ressentons leurs douleurs.

On en apprend toutefois un peu plus sur leurs histoires au fil des pages Elles ont toutes un point commun : avoir fait la une des journaux pour des scandales sexuels. Fautives ou victimes, la société a pris fait et cause pour les hommes et les a condamnées, elles sont sous leur domination : leurs pères, leurs frères, leurs amants, leurs geôliers. Ce sont eux qui ont le pouvoir et qui se servent de celui-ci pour avilir les femmes. Ces dernières en viennent à ressentir de la haine envers leurs propres corps, ce dernier étant la cause de leurs souffrances .

« Comme si les femmes en étaient elle-même la cause comme si les filles en vertu de la nature des choses s’étaient fait cela toutes seules ».

Sur ces dix femmes, on en suit véritablement deux : Yolanda et Verla. Ces dernières ont subi elles aussi leur emprisonnement, en accordant leur confiance aux mauvaises personnes, mais ce sont des femmes fortes, au caractère bien marqué et qui dès le début ne veulent pas baisser la tête sans rien dire.

La captivité, la faim, l’ennui va faire se retourner la situation : les femmes vont montrer leurs forces, elles vont reprendre en main leurs destins.

Par une forme de solidarité, de compréhension muette, elles vont montrer aux hommes qu’elles peuvent faire des choix, redresser les épaules, réorganiser leurs vies pour survivre. Car au bout du compte une seule chose compte : la survie dans un monde hostile quand les cartes distribuées au départ ne vous sont pas favorables. Elles sont nées femmes, jolies, désirables, tous les attributs qui les prédestinaient à subir l’oppression d’un monde fait par et pour les hommes. Leurs corps ne sont pas un atout, mais quand celui-ci retrouve un côté animal du fait de la prison (perte de poids, poils, peau disgracieuse…), le mental reprend le dessus, elles ne sont pas plus faibles que les autres, elles doivent montrer au sexe masculin qu’elles peuvent elles aussi décider et vivre comme bon leur semble.

L’écriture de Charlotte Wood est noire, glaçante, vous vivez la captivité au fil des pages, vous ressentez la douleur, la saleté, la servitude. Certes l’auteur ne répond pas à toutes les questions que l’on peut se poser sur l’histoire mais la force du roman est là : l’histoire en elle-même passe au second plan pour privilégier les sentiments, la souffrance des femmes, c’est un grand roman noir.

Marie-Laure.

AVANT QUE TOUT SE BRISE de Megan Abbott aux éditions du Masque

Traduction : Jean Esch.

Megan Abbott est une auteure américaine reconnue, elle a déjà écrit huit romans et a reçu le prix Edgar Allan Poe pour « Adieu Gloria » en 2008. « Avant que tout se brise » se situe dans l’univers peu connu des gymnastes.

« Elle a les épaules élancées, les hanches étroites et des yeux sombres qui transpirent une détermination presque glaçante. À quinze ans, Devon est le jeune espoir du club de gymnastique Belstars, l’étoile montante sur qui se posent tous les regards, celle qui suscite tour à tour l’admiration et l’envie. Quand on est les parents d’une enfant hors norme, impossible de glisser sur les rails d’une vie ordinaire. C’est du moins ce que pense Katie, la mère de Devon, qui se dévoue corps et âme à la réussite de sa fille, même si cela demande des sacrifices.

Lorsqu’un incident tragique au sein de leur communauté réveille les pires rumeurs et jalousies, Katie flaire le danger s’approcher de sa fille et sort les griffes. Rien ni personne ne doit déconcentrer sa fille ou entraver la route toute tracée pour elle. Mais les rumeurs ne sont pas toujours infondées… et les enfants rarement conscients des montagnes qu’on déplace pour eux. Reste à déterminer quel prix Katie est  prête à payer pour voir Devon atteindre le sommet. »

Megan Abbott s’attache à Katie, la mère de Devon, et c’est en la suivant qu’on va découvrir la vie de cette famille rythmée par la carrière de Devon : entraînements, compétitions, blessures… Devon ne comble pas des désirs frustrés de ses parents comme c’est le cas pour d’autres filles du club, aucun des deux ne s’intéressait à la gym dans leur enfance, mais il y a une grande part de culpabilité dans leur dévouement après un accident survenu dans la prime enfance de Devon. Puis la fierté, la joie d’avoir engendré un génie, un être exceptionnel dont les désirs et les besoins doivent être assouvis et sont si puissants qu’ils jugent les leurs ordinaires et banals. « C’étaient eux qui l’avaient faite. Et, d’une certaine façon, elle les avait faits. » Et focaliser sur cette enfant, se battre ensemble pour elle est aussi un moyen d’être toujours en phase pour le couple.

Devon est le moteur de sa famille mais aussi celui de son club et du groupe de supporters car sa réussite fait une pub énorme à Belstars. La gloire mais aussi des intérêts financiers sont en jeu. Megan Abbott décrit parfaitement ce monde étrange qui fait froid dans le dos : l’ascèse permanente, la puberté vécue comme une catastrophe par ces filles car leurs nouvelles formes les déstabilisent, les font régresser, les corps difformes à force d’être musclés… elles sacrifient tout à leur passion. Mais ce monde en vase clos leur suffit et tout leur semble naturel, personne n’a l’impression de dysfonctionner. Le haut niveau demande des sacrifices, engendre cette population de parents obnubilés, d’enfants conditionnés, tournés uniquement vers leur réussite peu vers les autres qui constituent potentiellement de dangereux adversaires : l’empathie ne les étouffent pas, l’ambition, oui.

La mort tragique d’un employé du club va tout faire voler en éclat. Les rancœurs et les jalousies vont éclater au grand jour au club, univers pourtant extrêmement policé et dans la famille, des failles énormes vont apparaître. Megan Abbott maîtrise son récit et réussit à nous entraîner dans cette histoire par la justesse psychologique de ses personnages, surtout Katie, la mère, qu’on voit assister à l’écroulement de son monde, se battre et se débattre contre des doutes atroces et se lancer dans une quête de vérité qui laissera le lecteur pantois.

Un roman noir au suspense haletant dans un monde glaçant.

Raccoon

TELS DES LOUPS AFFAMÉS de Ian Rankin aux éditions du Masque

Traduction : Freddy Michalski.

Ian Rankin est le plus populaire de tous les auteurs de polars du Royaume-Uni, notamment avec la série des « inspecteur Rebus ». Dans une interview, il explique qu’il est parti d’une image pour écrire ce roman : celle de Big Ger Cafferty seul chez lui, visé par un homme qui le tient en joue depuis son jardin plongé dans le noir et d’une anecdote qu’il a entendue dans un petit village d’Ecosse où les gens partaient creuser les environs car la rumeur courait qu’un trésor y avait été enterré par des gangsters. Ian Rankin, fan de musique et qui a fait partie d’un groupe punk dans sa jeunesse, donne souvent à ses romans un titre d’album ou de chanson et c’est le cas ici avec le titre « even dogs in the wild » de « the associates ». « Tels des loups affamés » écrit en 2015 est le vingtième tome de la série : Rebus est à la retraite, toujours aussi bourru, mais il rempile avec joie comme consultant à la demande de ses ex-collègues, Siobbhan Clarke et Malcom Fox qui ont pris de l’importance au fil des romans.

« Décidément John Rebus n’est pas fait pour la retraite. Il ne s’intéresse ni aux vacances, ni au bricolage ; être policier, c’est toute sa vie. Alors quand l’inspectrice Siobhan Clarke fait appel à lui, Rebus saute sur l’occasion d’être à nouveau en première ligne.

 Son plus vieil ennemi, Big Ger Caffety, a reçu une lettre de menaces et échappé à une tentative de meurtre. Il se trouve que la lettre est identique à celle découverte près du corps d’un juge célèbre, Lord Minton, retrouvé étranglé chez lui le même jour. Profitant de sa relation privilégiée avec Caffety, le caïd d’Édimbourg, et de ses contacts parmi les patrons du crime organisé concurrents, Rebus cherche le lien entre ces deux hommes ainsi qu’une troisième victime, un récent gagnant de la loterie.

 Entretemps, Malcolm Fox, du service des Plaintes, a rejoint une opération secrète surveillant une famille de criminels de Glasgow. Leur arrivée à Édimbourg va déstabiliser les rapports de force existants et rendre l’enquête de Rebus encore plus compliquée.

 L’homme est un loup pour l’homme, en ville comme dans la nature, et Rebus, Clarke et Fox vont tout mettre en œuvre pour arrêter ce tueur qui les menace tous. »

C’est un plaisir de retrouver Rebus qui a du mal à supporter la retraite et retrouve une nouvelle jeunesse en repartant au boulot avec en prime une liberté nouvelle : il est beaucoup moins obligé de tenir compte de la hiérarchie et n’a pas de rapports à rédiger…

Ian Rankin décrit une Edimbourg sombre où les truands installés et vieillissants sont attaqués « sans respect » par la génération montante, beaucoup plus violente qui n’a pas peur de déclencher une guerre des clans sanglante. Les trafics se gèrent comme des entreprises capitalistes ordinaires, il faut étendre son territoire ou disparaître et les jeunes loups de la pègre, parfois les fils, font peu de cas des statu quo de leurs aînés.

L’enquête se déroule sur fond de lutte de pouvoir entre différentes bandes mafieuses mais Rankin va dévoiler des pans bien plus sombres de l’histoire d’Edimbourg, remontant loin dans le passé, plongeant dans des crimes anciens, révélant la collusion entre la pègre et les puissants : des juges, des politiques, des flics haut placés, ces gens qui ont les moyens d’étouffer les affaires, de faire disparaître les preuves, d’intimider les journalistes fouineurs… Tout ça avec l’aide des gangsters qui en échange pouvaient se développer en toute impunité : les pires criminels ne sont pas forcément les truands. Même Big Ger Cafferty a certaines « valeurs »… Il refuse de parler aux flics, mais Rebus n’est plus flic, ils vont travailler ensemble et ces deux personnages, leurs relations toujours ambigües sont parmi les points forts de ce livre.

Ian Rankin construit son roman en suivant les différents protagonistes sur les dix jours de l’enquête ou plutôt des enquêtes imbriquées, entrecroisées brillamment. Les personnages jouent une partie d’échecs géante et dangereuse où chacun essaie de garder un coup d’avance tout en réagissant aux coups des autres. Tous veulent maîtriser les choses mais la surprise viendra de ce qu’on ne peut contrôler : les sentiments les plus profonds des êtres, leurs blessures les plus intimes.

Et l’intérêt du bouquin bascule bien au-delà de l’enquête, Ian Rankin parle des pères et des fils, de l’héritage que l’on transmet, que l’on reçoit, des traumatismes de l’enfance qui marquent à jamais. Cet élément déstabilise tous les personnages, les amène à s’interroger et les rend encore plus humains.

Un excellent polar, très noir et poignant.

Raccoon

MON AMÉRIQUE À MOI / Stéphane Jolibert

Stéphane Jolibert est l’auteur de « Dedans ce sont des loups » superbe premier roman sorti en début d’année au Masque. Si le décor est un grand Nord indéfini, certains indices permettaient de penser que l’action se déroulait quelque part à la frontière entre le Canada et les USA. Pareillement, l’histoire respirait l’Amérique, ses mythes…Tout au long de sa vie Stéphane a pas mal bourlingué mais curieusement n’a encore jamais mis les pieds sur le sol américain et pourtant l’empreinte d’une culture ricaine est franchement visible dans l’entretien qu’il a accepté de nous offrir. Un auteur recommandable et un homme passionnant. Two thumbs up !

 

Première prise de conscience d’une attirance pour l’Amérique.

J’ai grandi à Dakar au Sénégal. À l’époque, il existait une multitude de cinémas de quartier et ceux-ci ne passaient pas les nouveautés, faute de moyens j’imagine, mais passaient quantité de western ou de films de gangster. Pour une somme dérisoire, il était possible de s’assoir sur un siège usé, face à un écran non moins usé, un après-midi entier, et regarder trois films d’affilé plutôt que d’aller en cours. Mon école buissonnière était cinématographique et j’imaginais alors l’Amérique divisée en deux, d’un côté le monde rural peuplé de cowboys et d’Indiens, genre Alamo ou L’Homme qui tua Liberty Valance, et de l’autre côté un monde citadin ressemblant en tout point au Faucon Maltais. Ce n’est qu’un peu plus tard que j’ai appris la vérité, en découvrant dans Strange que l’Amérique comptait aussi pas mal de superhéros.

Une image

Un portrait de Louise Bourgeois en noir et blanc (autoportrait peut-être), elle est alors très âgée, ressemble à une Indienne et fait un pied de nez. Reste à savoir à qui ? J’ai la reproduction grand format de cette photo accrochée au mur de mon bureau au-dessus de l’ordinateur. J’écris et de temps à autre je lève la tête comme pour l’interroger, mais dans le fond, je sais que c’est elle qui m’interroge, ou plutôt, elle interroge la démarche créative quelle qu’en soit la nature. Et en réalité, je sais à qui elle fait un pied de nez, à elle-même. Cette femme au parcours exceptionnel, pétrie de talent et d’indépendance, livre en une image, une leçon de modestie et d’autodérision, ça me la coupe.

Un événement marquant

Le procès de Clinton après la mise en bouche de Monica Lewinsky : la démesure du ridicule ; la grandiloquence de l’insignifiant et sûrement la fellation la plus couteuse du monde, en encre, en papier, en reportages et bavardages de toute sorte et payé en partie en liquide (pardon). Le grotesque d’une nation se tournant vers l’anecdote plutôt que vers l’essentiel, c’était à croire que l’un des pays les plus puissants au monde se canalisait vers son nombril, voire un peu en dessous : l’humain dans ce qu’il est de plus grotesque, télé-réalité, mais au niveau de l’Etat : pathétique.

Un roman

« Mémoires sauvés du vent » de Richard Brautigan. Toute l’Amérique est contenue dans ces pages-là : glorieuse et désabusée, identique à la vie en somme.

Un auteur

Le même Richard Brautigan pour avoir écrit « Les mains c’est très joli surtout quand elles viennent de faire l’amour. » et encore quantité de phrases dont la poésie n’a d’égale que le style. Et dire que ce type, un jour, plutôt que son stylo a trouvé la gâchette d’un fusil. Je l’aime pour ses textes et pour m’avoir donné cette envie de découvrir le Japon et y revenir. Rien à voir avec les États-Unis vous dites ? À deux bombes nucléaires près, non, rien à voir, mais cette ile Madone, ces iles qui vous emballent d’arbres fleuris et de calligraphie et qui vous laissent sur le bout de la langue ce bout de cerise vraie et les méninges complètement sonnés parce qu’impossible de trouver le juste milieu entre l’ancestral et la modernité, l’affreux milieu des occidentaux. Mais je digresse, reprenons :

Un film

 « Buffalo’66 » de Vincent Gallo, un sujet casse-gueule traité tantôt avec dureté tantôt avec tendresse, équilibre fragile, gracile, à mon sens parfaitement réussi.

Un réalisateur

En garder un seul ? John Cassavetes, Martin Scorceses, les frères Cohen, David Cronenberg, Clint Eastwood, Tarantino, Fritz Lang (naturalisé OK), Sam Peckinpah, Frank Darabont, David Lynch, Oliver Stone, Robert Zemeckis, Tony Kaye, Bryan Singer, Francis Ford Coppola, Orson Welles, Hitchcock, et j’en oublie. Bon, j’en garde un seul : Sergio Leone, parce que se dégage de ses films une empathie pour ses personnages. Revoir la scène du gâteau dans Il était une fois en Amérique, ce gosse qui voudrait contre un gâteau découvrir la sexualité et qui finalement va le manger son gâteau plutôt qu’attendre qu’une pute lui ouvre la porte. Des deux gourmandises, il choisit celle qu’il connait déjà. Est-on jamais pressé de grandir ?

Un disque

« The Trinity Session » de Cowboys Junkies, pour les reprises de Sweet Jane de Lou Red et celle de Blue Moon de Elvis. Une voix envoûtante.

Un musicien ou un groupe

 Tom Waits ou Tom Waits, au choix.

Un personnage de fiction

Croc-Blanc de Jack London, l’un des personnages les plus complexes de la littérature américaine.

Un personnage historique

Rosa Parks, là je ne vais pas m’étendre : respect ! Ah si, je vais m’étendre un peu, juste pour dire que souvent les hommes retiennent les hommes dans l’histoire et oublient aussi souvent que les femmes sont à l’origine des grands bouleversements de cette même histoire.

Une personnalité actuelle

Sam Shepard : auteur, poète, scénariste, acteur, réalisateur, tout ça et j’en oublie, avec beaucoup de talent, et, trop beau pour être vrai. (Salaud !)

Une ville, une région

 Le Montana. Je n’ai jamais mis les pieds aux États Unis parce que j’ai préféré l’autre hémisphère pour bourlinguer, mais je garde de cette terre tous les auteurs qu’elle a mis au monde et tous semblent lui ressembler, à la fois durs et tendres, brutes et fleurs bleues à la fois, tout ce que j’aime.

Un souvenir, une anecdote

Cette fois où je me suis retrouvé à échanger quelques mots avec Robby Naish, Californien s’il en est, roi de la vague et de la glisse qui par l’entremise d’une traductrice — une hôtesse de l’air en l’occurrence sur le vol Sidney/Aukland — Robby donc, qui me confiait son amour pour Faulkner. « Comme les vagues », il disait en parlant du texte « Le bruit et la fureur ». Un peu comme le bruit des glaçons dans nos verres de Whisky. Je ne l’avais pas encore lu ce roman, un véliplanchiste m’a fait découvrir Faulkner, comme quoi, dans cette vie tout est possible. Ou comme disait l’autre « On nait d’une rencontre, on meurt du hasard » inversement c’est possible aussi.

Le meilleur de l’Amérique

 Tous les immigrants qui l’ont fondée.

Le pire de l’Amérique

Tous ces immigrants qui l’ont fondée, mais qui oublient qu’ici, vivait un peuple libre et si proche de la terre qu’il y retourne sans les honneurs, dans l’indifférence, la douleur et sans prière.

Un vœu, une envie, une phrase.

Ben si t’avais quelques milliers d’Euros histoire que je m’informe davantage sur le sujet, voire que je m’informe tout court, dans le Montana par exemple, que je puisse y écrire un roman tout empreint du lieu et de ceux qui l’arpentent, je promets de faire de mon mieux. Il m’arrive d’écrire pas trop mal quand je m’y mets, ce serait une belle occasion, non ? Je n’accepte qu’à condition qu’on change le titre des élections, Hillary contre Donald, on dirait un Walt Disney, sauf que contrairement à Walt Disney, y’a peu de chance que survienne un Happy End.

Entretien réalisé par mail le mardi 10 mai.

Wollanup.

DEDANS CE SONT DES LOUPS de Stéphane Jolibert/Le Masque.

« Quelque part au Grand Nord, dans un paysage de glace et de neige, une bourgade survit autour de l’activité du Terminus : hôtel, bar et bordel. Nul ne sait à qui appartiennent les lieux, mais ici se réfugie la lie de l’humanité et ici s’épanouissent les plus bas instincts. Dans ce milieu hostile, Nats fait son boulot avec application, jusqu’au jour où débarque un homme au visage familier, et avec lui, une flopée de mauvais souvenirs. Dès lors, tandis que la neige efface le moindre relief du paysage. Tandis que la beauté de Sarah chamboule son quotidien. Tandis que le vieux Tom lui raconte le temps où les loups tenaient les chiens à distance. L’esprit de vengeance tenaille Nats, impérieux, dévorant. »

« DEDANS CE SONT DES LOUPS », c’est avant tout un premier roman, le premier roman de Stéphane Jolibert qui a visiblement reçu un don pour l’écriture à la naissance.

« DEDANS CE SONT DES LOUPS », c’est aussi un titre à plusieurs interprétations. Des loups comme la lie de la société qui fréquente cet endroit malfaisant qu’est le Terminus, dernier havre de « civilisation » avant le règne de la nature, quelques hectomètres plus vers le Nord. Des loups aussi comme l’animal noble par opposition au chien, la meute qui protège des agressions, le clan qui encadre, défend, une communion sauvage pour combattre l’adversité créée par la nature ou par les hommes.

« DEDANS CE SONT DES LOUPS » est un roman français et qui n’aura donc pas le même écho que des romans ricains du même genre qui nous arrivent par wagons actuellement et qu’on veut nous faire passer pour des chefs d’œuvre, qu’ils sont parfois mais qui dans leur grande majorité sont des séries B, efficaces, qui nous offrent, ma foi, exactement le contenu de violence, de drogue, de destins brisés que nous recherchons au milieu d’ horreurs souvent très raffinées mais qui ne sont bien souvent que des séries B vite lues et appréciées mais aussi bien souvent vite oubliées. Je ne citerai pas le nom, bien sûr, mais je serais bien incapable de résumer l’un d’entre eux, lu, il y a quelques semaines.

« DEDANS CE SONT DES LOUPS » est un roman français qui est un bel hommage à la littérature américaine avec un thème chéri des auteurs d’outre-Atlantique, la vengeance qui guide l’histoire, une vengeance qui se matérialisera, on le sait très vite, par un affrontement final comme dans le western qu’est vraiment ce roman avec le Terminus dans le rôle du saloon.

« DEDANS CE SONT DES LOUPS », c’est aussi une galerie de personnages inoubliables qu’ils soient bons ou de vraies saloperies ou tout simplement très ambigus dans leur comportement comme dans leurs pensées. Je ne veux pas vous gâcher le plaisir que vous aurez à les découvrir dans des pages où la psychologie des êtres est finement montrée, offerte, après à chacun de se faire un avis. Ne ratez néanmoins pas Twigs la levrette, personnage grotesque, abruti, exécuteur des basses œuvres du Terminus, à la sexualité très particulière et que l’addiction à l’alcool rend bien souvent plus con qu’il n’est déjà et qui procure de nombreux sourires délivrant de brefs moments de détente dans un roman qui vous prend bien la tête et parfois aussi les tripes et ceci dès le départ. Un univers de petites frappes minables qui sont venues se planquer là pour fuir la justice pour des crimes commis de l’autre côté de la frontière, des actes minables, ratés qui les obligent à vivre la dure existence de bûcherons et à martyriser les femmes pour se persuader qu’ils existent encore et pas grave s’ils n’inspirent que le dégoût, ils existent quand ils cognent sur plus faibles qu’eux.

« DEDANS CE SONT DES LOUPS », c’est aussi le grand Nord comme un des derniers cadres où la nature prend encore le dessus sur la civilisation où l’homme redevient un animal comme les autres à la merci des éléments déchaînés. Le roman pourrait se passer au nord de la Scandinavie, plus vraisemblablement au nord du continent américain mais cela n’a aucune importance car c’est juste le cadre glacial, isolé, un no man’s land bestial et infernal qui importe vraiment.

« DEDANS CE SONT DES LOUPS », c’est aussi de magnifiques pages sur la naissance de deux meutes, une chez les loups et une autre à son image chez les humains…

« DEDANS CE SONT DES LOUPS », c’est « l’homme est un loup pour l’homme », c’est bien sûr « entre chiens et loups » , un ravivement de nos terreurs enfantines les plus enfouies mais avant tout un très beau roman.

Wollanup.

 

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