The Coward

Traduction: Marc Amfreville

« Quand je me suis réveillé à l’hôpital, ils m’ont dit que ma petite amie était morte. Ce n’était pas ma petite amie, mais je ne les ai pas contredits.

 Les premières semaines se sont passés dans un chaos de morphine et de néon fluorescent. Une inconnue en blouse m’a annoncé que je ne remacherais jamais. Elle m’a parlé de fauteuil roulant et j’ai dit que je préférais les béquilles, parce que je n’avais toujours pas compris.

 Le matin arrivait toujours trop tôt et accompagné du vacarme du rideau qu’on tirait : les infirmières bavardaient, les machines bipaient, les patients appelaient, les roulettes des seaux à serpillières couinaient, les familles des malades haussaient le ton, les médecins discutaient, les chasses d’eau étaient actionnées, et j’entendais dans ma tête ma propre voix faire inlassablement le compte de toutes les erreurs qui m’avaient conduit là.« 


Pour quiconque s’est retrouvé en centre de rééducation, a perdu l’usage des jambes ou d’un bras après un accident, les premières pages de ce livre,  Le lâche, reflèteront une cruelle vérité. Celle qui vous envoie au tapis avec la perte votre corps d’avant, le valide, le complet. Le corps se transforme en objet médical, attire les regards insupportables remplis de pitié.
Un nouveau langage déboule, de nouveaux savoirs s’imposent à coups de massue.
La douleur est décrite de façon véridique. Jarred McGinnis n’écrit pas simplement « j’ai mal » ou « je souffre » non, il rentre dans des détails que peu connaissent. Les différentes formes que prend la douleur, ses métamorphoses, ses états, ce que nous supportons ou pas, ou plus du tout. Il connaît l’exploit quotidien que c’est d’endurer chaque seconde de souffrance, de vie, les deux se confondent.
Jarred McGinnis, comme son personnage principal (Jarred McGinnis lui aussi, que je nommerai Jarred par la suite) est handicapé. De là à conclure que Le lâche est autobiographique il n’y a qu’un pas, mais c’est bien écrit roman en tout petit sur la quatrième de couverture.

 « Un poids me clouait à mon siège. Mon corps savait que si je franchissais ce seuil, je ne pourrais plus faire semblant. J’étais désormais un paraplégique de vingt-six ans sans un sou en poche qui rentrait vivre à la maison avec un homme, mon père, que je n’avais pas vu, avec lequel je n’avais pas échangé un mot depuis dix ans. Ce serait la porte ouverte aux mauvaises blagues de Jack, aux fantômes accusateurs et à la déchéance prématurée qui attendaient l’invalide que j’étais.« 

Commence alors, au bout d’une trentaine de pages, la cohabitation entre un père et un fils qui n’ont que la mémoire en commun, et surtout rien depuis dix ans. Jarred porte en plus le poids de sa culpabilité, il est persuadé d’avoir tué Melissa dans l’accident. Ajoutons à cela les invraisemblables frais médicaux, la menace d’un procès par le mari de Melissa et le passage régulier d’agents de recouvrement. 

 On plonge également dans le passé de Jarred, son enfance avec Jack le père et une mère décédée trop vite. L’apprentissage brutal de la vie à deux entre un père et son fils de onze ans, la lente descente dans le whisky pour l’un, la débrouille au jour le jour pour l’autre, la haine qui monte du fils pour le père. Jusqu’au départ soudain de Jarred suivi d’une dizaine d’années d’errance, plus ou moins clochard, un peu voleur.

On découvre dans ces pages un Jarred un peu vantard, baratineur, acerbe, provocateur, un égoïste qui croit être le seul à trimballer des problèmes, incapable de s’excuser pour toutes les conneries qu’il accumule, après tout les handicapés sont des cons comme les autres, mais aussi fragiles, sensibles, capables de tomber amoureux. La construction, sans être originale, est intelligente et l’histoire est solidement menée. La fin toute prévisible qu’elle est, n’en est pas moins terrible.


  — Une seconde. — J’ai fait un aller-retour jusqu’à ma chambre. — Regarde. Lequel tu préfères ?

 Je lui ai montré un tee-shirt sur lequel on pouvait lire : « Je m’en fous de Jésus, et pas envie de vous dire pourquoi je suis dans un fauteuil roulant », griffonné au feutre. 

 — Ce ne serait pas un maillot de corps à moi, ça ?

 — Ou bien celui-là ?

 Et je lui en ai montré un autre.

 — Charmant ! Le deuxième. Il a plus de punch.

 — C’est bien ce que je pensais.

 Et j’ai retiré le tee-shirt que je portais pour le remplacer par celui qui disait : « Je ne suis pas ta B. A. de la journée. »

Ce qui fait la force, la puissance de ce roman, c’est bien son discours sur le handicap.
Voilà un sujet peu représenté dans la fiction, on trouve bien des personnes handicapées dans des romans, mais écrits par des valides. Il y a bien eu Joë Bousquet, Blaise Cendrars, plus récemment Ron Kovic, encore étaient-ils d’anciens soldats, mais peu d’autres finalement. Ce que fait Jarred McGinnis est salutaire, c’est une leçon pour les valides, comprendre ou à tout le moins tenter, ce que c’est de ne pas accepter, de refuser cette fichue résilience synonyme de défaite. 

 Plusieurs ont parlé à propos de ce livre d’humour féroce ou d’ironie, ils se trompent dans les grandes largeurs. Il s’agit de haine, de fureur envers soi-même. Jarred McGinnis sait de quoi il retourne, ses lectrices, ses lecteurs abîmés par la vie, amputés, handicapés y verront leur propre rage, leur saine colère face à l’inacceptable, c’est comme ça que je l’ai lu. 

 Jarred se retrouve face à un mur, il lutte contre le regard des autres qui ne voient en lui qu’une vie indigne d’être vécue. Trouver un emploi, mener une vie sociale, amoureuse, relève de la mise au défi permanente. Toutes les différences entre comment nous nous percevons et comment nous sommes perçus par les valides sont traités par Jarred McGinnis dans  Le lâche, il en profite pour bien démonter brique par brique quelques clichés plantés profondément. C’est un premier roman, on peut bien y trouver quelques défauts, quelques petits trous d’air, mais franchement c’est bien peu de choses en rapport de ce qu’il donne à lire sur l’histoire toute bancale et débordante d’affection entre Jack et Jarred, et surtout sur le handicap.

NicoTag

Kurt Wagner a du mal à rester debout plus de quelques minutes, ça ne l’empêche pas de faire bien bouger les fesses de son public.