Traduction: Polina Petrouchina
Quand Filipov est réveillé par une jeune femme qu’il n’arrive pas à relier à sa propre histoire sur le divan du vestibule d’un appartement moscovite qui lui est totalement inconnu, sa gueule de bois se réveille et parvient très rapidement au niveau de l’excitation d’une happy hour dans un bar d’alcoolos. Quand cette même jeune femme le secoue pour lui dire qu’il va rater son avion pour se rendre dans le nord, la rave hallucinée qui se déroule sous son crâne ne lui permet pas de se rappeler pourquoi il doit se rendre en Sibérie dans sa ville natale. Filipov est un metteur en scène de théâtre et de cinéma connu internationalement maintenant et sa carrière a vraiment décollé quand il s’est adjoint comme scénographe un ami d’enfance. Petit à petit, dans l’avion, en revenant à la vie à coups de grappa, il comprend la raison de sa venue. Un théâtre parisien lui a proposé la mise en scène d’une pièce et il a dit oui abandonnant ainsi son ami dont les Français n’avaient pas besoin. Il vient donc expliquer la chose et pense que l’autre comprendra qu’il ne pouvait pas dire non vu que cela ouvrait peut-être la porte de théâtres new-yorkais. Il pense que son ami le comprendra, que ce retour dans une contrée qui l’a vu grandir sera difficile certes, empreint de nostalgie et rempli de souvenirs brumeux car bien souvent alcoolisés mais sera couronné de succès dans cette région post-apocalyptique avant la moindre apocalypse connue. Celle-ci viendra très vite et on ne pourra pas néanmoins en imputer la responsabilité à un Filipov qui se lie avec sa voisine dans l’avion entre deux évanouissements. Il ne souffre pourtant pas de solitude parce que le démon du vide a fait irruption comme à chaque fois qu’il a un petit peu trop franchi la ligne. Ce démon est son petit gremlin, son petit korrigan, son petit poulpikan perso qui se paie sa tronche chaque fois qu’il est dans l’impossibilité de contrecarrer ses railleries. In vino veritas? Peut-être. La descente de l’avion et l’annonce par le pilote d’une température au sol de -40 participe très activement au “réveil” de Filipov, subitement conscient que ses vêtements de début d’automne moscovite ne feront pas l’affaire… au sol justement. Ce dernier est au départ, juste une sensation, car il est quinze heures trente, il fait déjà nuit noire et le brouillard est à couper au couteau, pas chassé par un vent, ben, sibérien.
Ainsi démarre le “zapoï “dans le grand nord de Filipov qui en deux jours se prendra des murges mémorables dont il ne gardera aucun souvenir et connaîtra un nombre important d’absences dans une ambiance borderline dont le point d’orgue sera la panne de la centrale locale coupant électricité et chauffage dans toute la ville. Les différentes rencontres improbables et la panique collective engendrée par la panne ne toucheront que modérément un Filipov toujours entre deux boutanches, ignorant les signaux qui lui signalent une cata majeure à venir. Pas mal de lumières sont éteintes chez Filipov qui ne voit pas la situation de la ville, les drames qui s’y jouent quand lui ne pense qu’à sauver un chien qui n’a rien demandé et qui s’interroge sur sa possible paternité de la demoiselle qu’il convoite.
A lire ce roman, on en arrive à se demander si Bukowski ou même Crews n’auraient pas vécu dans la région. Comme les deux auteurs ricains, Guelassimov n’hésite pas à se salir les mains, à plonger dans le marigot, à évoluer dans le caniveau. On sent le vécu et sous couvert de grosse farce éthylique, il raconte la Sibérie de l’ère soviétique, la situation actuelle de ce no man’s land terrible pour l’homme où les larmes, le malheur ne sont jamais très loin. On est bien dans du noir au plus profond de la nuit sibérienne… Dépaysant, surprenant.
Humour froid !
Wollanup.
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