Traduction: Christophe Mercier
La littérature noire s’édifie sur des mots lourds de sens, sur des tranches de vie symptomatiques d’une époque, d’une culture. Cet ouvrage en est un archétype avec son lot de réalisme cru, de trajet d’existence jonché de chausse trappe, de gouffre moral.
« De l’Ohio à la Virginie Occidentale, de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 60, les destins de plusieurs personnages se mêlent et s’entrechoquent. Williard Russell, rescapé de l’enfer du Pacifique, revient au pays hanté par des visions d’horreur. Lorsque sa femme Charlotte tombe gravement malade, il est prêt à tout pour la sauver, même s’il ne doit rien épargner à son fils Arvin. Carl et Sandy Henderson forment un couple étrange qui écume les routes et enlève de jeunes auto-stoppeurs qui connaîtront un sort funeste. Roy, un prédicateur convaincu qu’il a le pouvoir de réveiller les morts, et son acolyte Théodore, un musicien en fauteuil roulant, vont de ville en ville, fuyant la loi et leur passé. »
Ce roman rural se fonde dans une description, sans fard ni cotillons, de personnages guidés, dans leur vie, par l’imbrication indissociable d’une culture, d’une éducation et soutenu par leur propre récit familial. Tous ont tatoué dans leur âme la parabole du rite. Arvin par la figure tutélaire de son père marque sa destinée et ancre ses choix, son parcours dans l’absence de renoncement, le choix du moment opportun.
Carl et Sandy guidés eux par des déviances psychopathologiques sont aussi soumis aux rituels. Créant les atmosphères propices à leurs bassesses, leurs méfaits, ils cristallisent les rancœurs et le dédain. Leur soif de liberté couplée à cet inflexible désir de réaliser leurs pulsions enfante, malgré nous, une empathie distordue.
Au même titre, le duo formé par cet handicapé et ce prêcheur pensant être investi d’une volonté divine nous montre le versant pervers et amoral de cette culture voûtée sous le poids de la religion comme pilier de la nation. Leurs rituels, disparates, sont mués par leur croyance semblant sincère mais qui rapidement s’infléchira sur un projet pervers et dépourvu d’honnêteté, de partage concret avec autrui.
La cohérence de l’ensemble ne verse pas, à mon sens, dans la caricature mais bien dans une peinture froide, crue, sombre d’une société gouvernée par la perte de bon sens, de libre arbitre, de réflexion individuelle au sein de la communauté. Le tableau affiné nous inflige une vision de celle-ci, réservant peu de couleurs et de nuances, à l’échiquier de tracés existentielles semblant déboucher inexorablement vers une voie sans issue. Le réalisme brut peut être leste à concéder mais il est bien le reflet sans concessions d’une Amérique aux prises avec ses démons.
Objet littéraire percutant et intransigeant.
Sensationnel !
Chouchou.
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