On ressent une insensible brise serpentant la touffeur de la garrigue dans ce coin sudiste non défini de l’hexagone…les préambules à cet événement d’union entre deux êtres plantent le décor de ce roman où les fragrances se visualisent, où les images, souvent acides, se hument. Peut-on s’inviter alors que le passé gangrène le présent? Ce mariage sera l’occasion de se poser cette question et de tenter d’y répondre…
«C’est le matin de son mariage et la Petite se réveille avec en elle une colère sourde, une colère venue de passé et qui ne s’efface pas. Peu lui importe le compte à rebours des préparatifs, les fleurs, la robe… Ce qui a de l’importance pour elle, c’est sa famille rassemblée et surtout ce dernier invité, le cousin, qui réapparaît avec sa rancœur d’un héritage perdu. Mais même si l’on partage le même sang, il y a des choses qui ne se disent pas. Quoique l’on ait fait, quoique l’on ait dit, certaines vérités doivent rester ensevelies car l’ordre de la famille, ça se préserve. »
Ce village, carrousel de parfums pas toujours enivrants, est présenté par son auteur tel un exemple type du paysage de nos provinces actuelles. Soumis à son premier édile, reclus sur des principes dictés par le rejet d’autrui, les administrés subissent donc un repli culturel et un « quant à soi » inflexible, intangible. Ce cadre communal, idéologique, s’oppose à l’esprit libre, frondeur de la Petite. Elle se marie et ce mariage ravive des souvenirs, réveille des terreurs, exhume des souffrances par ce dernier invité « d’outre-tombe ». Anne Bourrel propose souvent dans ses écrits des allégories. De cet effort, le terme papier impose une symbolique dans le traumatisme subi par la Petite. Il supporte d’autant plus un état abstrait lié à cet événement douloureux et déchirant.
On retrouve bien là la prose et la profonde sensibilité de cette auteure qui nous mène par ses mots à une farandole de sentiments, de ressentis, de sensualités contradictoires. Son écriture sensitive récite paradoxalement une épreuve de vie qui fixe à jamais la destinée d’une jeune femme pensant que cette boule viscérale était enfouie dans ses tréfonds. La morale que je me fais de son roman prouve que chaque afflictions nécessite l’impériosité de son expression et son expulsion. J’aime à croire que le lieu de conception de cet écrit a infléchi de manière forte la qualité de celui-ci, car j’y ai ressenti, par instant, les nuances chromatiques de Gracq.
La question initiale qui se pose permet la réflexion mais ne donne pas de réponses évidentes. C’est aussi dans cette dimension qu’Anne Bourrel affiche ses qualités intrinsèques. Elle libère des sens pour en porter d’autres en conjuguant l’esthétique avec le laid, l’ égrillard avec l’introverti.
Roman sépia, fort en sentiments viscéraux!
Chouchou.
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