Job’s Coffin

Traduction : François Happe

Il y a quatre ans, je chroniquais sur le même blog la parution du deuxième roman de Lance Weller (Les marches de l’Amérique, éditions Gallmeister) et tentais de partager mon admiration pour son texte, son style et la puissance narrative qui s’en dégageait. Son retour ne pouvait donc qu’être accueilli par un vif intérêt. Le cercueil de Job paraît d’ailleurs en avant-première dans les librairies françaises, signe que depuis Wilderness (éditions Gallmeister, 2013), cet auteur américain a su se faire apprécier par un public national.

« Alors que la Guerre de Sécession fait rage, Bell Hood, jeune esclave noire en fuite, espère gagner le Nord en s’orientant grâce aux étoiles. Le périple vers la liberté est dangereux, entre chasseurs d’esclaves, combattants des deux armées et autres fugitifs affamés qui croisent sa route. Jeremiah Hoke, quant à lui, participe à l’horrible bataille de Shiloh dans les rangs confédérés, plus par hasard que par conviction. Il en sort mutilé et entame un parcours d’errance, à la recherche d’une improbable rédemption pour les crimes dont il a été le témoin. Deux destinées qui se révèlent liées par un drame originel commun, emblématique d’une Amérique en tumulte. « 

Lance Weller pétrit à nouveau l’argile qu’il affectionne, l’histoire des Etats-Unis dans la seconde partie du XIXe siècle, et notamment la Guerre de Sécession qui semble le fasciner. Deux affrontements armés historiques du conflit bornent son récit : la bataille de Shiloh (avril 1862) et la prise de Fort Pillow (avril 1864), événement militaire de faible envergure mais qui a laissé des traces polémiques : les Confédérés sous le commandement de Nathan Forrest auraient délibérément massacré une bonne partie des soldats noirs qui défendaient la position, qui servait aussi d’aimant à une population d’esclaves en fuite. 

Une fois encore, Lance Weller s’intéresse à la violence congénitale de l’histoire américaine, au travers de destins individuels. Il semblerait que celui de Jeremiah Hoke fût d’errer : jeune après avoir fui le foyer et son père, violent, haineux et raciste ; adulte après la bataille de Shiloh qui fait de lui un mutilé désabusé. L’homme est en fait rongé par ses secrets, dans son crâne des actes et images terribles dont il a été le témoin actif, qui le lient à un épisode de la vie de Bell Hood, jeune esclave traumatisée en fuite. L’adolescente fait de son évasion l’ultime geste pour s’élever et dépasser le rang de bétail humain qu’on lui a assigné depuis sa naissance. Une force morale lui fait espérer qu’elle pourra toucher la liberté. Mais c’est un chemin difficile, dangereux. Les compagnons masculins (Dexter, puis January June) qui marchent à ses côtés semblent physiquement plus aptes à résister aux embûches et agressions mais doivent reconnaître la supériorité de la volonté, parfois naïve, de Bell Hood. Le point culminant dramatique du roman, autour de Fort Pillow, est un rendez-vous manqué, en tout cas boîteux, avec la réparation. Particulièrement mises en exergue dans Le Cercueil de Job sont la folie et l’horreur racistes dont, hélas, l’Amérique n’a pas encore totalement soldé l’héritage.

Se plonger dans le texte de Lance Weller (et le travail de son traducteur, ne l’oublions pas), c’est encore se confronter à une puissance sémantique rare. Elle ne fait pas que des adeptes, notamment quand elle s’attarde à la description, mais elle donne une énergie unique à des scènes de mouvement, même ténu. Des soldats qui s’éveillent avant l’assaut, des combats, une chaîne d’esclaves fugitifs capturés ou raptés… Ma seule réserve sur le roman, au final, concernera sa construction. Il y a un choix d’analepses et d’inserts divers qui pourrait affaiblir l’inexorabilité du récit. Cela ne dérangera peut-être que moi.

Discrètement, Lance Weller développe son art en nous proposant une histoire à la fois cruelle et émouvante.

Paotrsaout