Unholy Land

Traduction: Julien Bétan

Au tout début du XXème siècle, le sixième congrès sioniste avait autorisé une expédition en Afrique orientale britannique pour déterminer de sa pertinence en tant que patrie juive. Le gouvernement britannique avait proposé d’installer les Juifs sur un haut-plateau en Ouganda à l’époque, au Kenya aujourd’hui. Le climat clément aurait convenu aux populations d’origine européenne. On sait que ce choix ne se fit pas, la grande majorité voulant s’installer sur la terre dite promise. Cet épisode “Ouganda” n’est plus qu’une amusante anecdote. Pourtant dans une autre chronologie, dans une autre Histoire, les Juifs sont réellement partis coloniser une petite partie de l’Afrique et c’est ce que Lavie Tidhar, auteur de SF né dans un kibboutz et vivant actuellement en Angleterre nous raconte dans cet extraordinaire “Aucune terre n’est promise”, roman qui décoiffe salement et interroge gravement.

Les plus grands chocs littéraires se produisent souvent quand on sort de sa zone de confort, de son petit univers douillet. Les uchronies, pas ma tasse de thé, une fois les curiosités initiales avalées , l’histoire ne tient pas souvent la route. La kabbale, pas mon shot de vodka, trop loin du Texas ou de l’Arizona. La question juive pas ma weed… Et pourtant quel bouquin !

“Berlin. Lior Tirosh, écrivain de seconde zone, embarque pour la Palestina, fuyant une existence minée d’échecs. Il espère retrouver à Ararat City la chaleur du foyer, mais rien ne se passe comme prévu : la ville est ceinturée par un mur immense, et sa nièce, Déborah, a disparu dans les camps de réfugiés africains. Traqué, soupçonné de meurtre, offert en pâture à un promoteur véreux, Lior est entraîné malgré lui dans les dédales d’une histoire qu’il contribue pourtant à écrire.”

Lavie Tidhar (double de Lior Tirosh?) a choisi le polar pour entrer dans ce roman. Et le parcours erratique et chaotique de Lior pour retrouver sa nièce va donner l’occasion à l’auteur de faire la leçon du sionisme, de la politique d’Israël en montrant qu’en Afrique aussi, les mêmes causes produisent les mêmes effets: haine des populations expulsées, relations diplomatiques très difficiles avec les pays voisins, un état guerrier ultranationaliste, un terrorisme aveugle… Le tableau est laid et salopé un peu plus par la création d’un mur de protection qui finalement emprisonne, prône le repli sur soi. Le style est impeccable et la lecture se révèle particulièrement addictive mais on se demande aussi s’il y avait vraiment besoin de créer tout un monde pour un polar si souvent déjà lu.

 Et puis tout d’un coup, ça fuse… on change de monde, de mondes… Il existe des mondes parallèles et Lior comme Bloom le flic qui le surveille, font partie d’une minorité qui peut “glisser” d’un monde à l’autre, et d’une époque à l’autre. Alors les plus cartésiens d’entre nous s’écrient déjà qu’ils ne partiront pas dans ce genre de délires et pourtant, une fois de plus, c’est très sensé, le plus souvent juste évoqué pour raconter certains moments de l’histoire juive et ce qu’il aurait pu advenir si certains choix avaient été faits ou non. Bien sûr, ceux qui connaissent la Kabbale apprécieront encore plus une lecture baignée parfois de poésie pour apaiser le vertige vécu. Par ailleurs, tout lecteur acceptant un petit effort pour s’adapter à la forme choisie, sera séduit par la pertinence du “montage”, par l’écriture techniquement virtuose, par le soin mis à éblouir, à enchanter, à déstabiliser.

Avant tout roman sur l’histoire des Juifs, ”Aucune terre n’est promise” interroge aussi sans bornes les néophytes, séduit par la force de l’écriture, l’imagination florissante et s’universalise par les questions qu’il pose, les interrogations qu’il impose. Un roman rare !

Clete

PS: Merci à ma bonne fée Aurélie de l’agence “Un livre à soi” pour son conseil et sa relance très justifiée.