Laurent Gaudé, lauréat du Goncourt 2004 avec Le soleil des Scorta en 2004, est un auteur reconnu depuis longtemps. Son incursion dans les domaines de la SF et du polar fait que c’est sûrement le bon moment pour s’intéresser à son œuvre. Découvrant Gaudé avec ce nouveau roman, je me garderai bien de juger de la pertinence de son incursion dans la dystopie, méchamment à la mode, chez de nombreux auteurs.

“Désormais expatrié, Zem n’est plus qu’un vulgaire “chien”, un policier déclassé fouillant la zone 3 de Magnapole sous les pluies acides et la chaleur écrasante. Un matin, dans ce quartier abandonné à sa misère, un corps retrouvé ouvert le long du sternum va rompre le renoncement dans lequel Zem s’est depuis longtemps retranché. Placé sous la tutelle d’une ambitieuse inspectrice de la zone 2, il se lance dans une longue investi­gation. Quelque part, il le sait, une vérité subsiste. Mais partout, chez GoldTex, puissant consortium qui assujettit les pays en faillite, règnent le cynisme et la violence. Pourtant, bien avant que tout ne meure, Zem a connu en Grèce l’urgence de la révolte et l’espérance d’un avenir sans compromis. Il a aimé. Et trahi.”

Roman beaucoup plus complexe et complet qu’on pourrait l’imaginer, Chien 51 nous immerge tout d’abord dans un monde assez proche du nôtre, Gaudé aura juste été un peu plus loin dans nos frayeurs actuelles, glissant un peu plus profondément dans les dérives économiques, politiques, climatiques, humaines qui sont les nôtres. Ce “nouveau monde” est parfaitement décrit par l’auteur, par petites touches plus précises que le décor simplifié du départ qui ressemble, avant d’être expliqué, enrichi et développé avec bonheur tout au long du roman, à celui de Boris Quercia dans Les rêves qui nous restent. Ces dérives qui mènent à la triste réalité de la vie de Zem sont plausibles, dans un avenir plus ou moins proche si on envisage un futur très noir. Et c’est cette proximité avec le monde que nous vivons qui donne un rendu général bien flippant, inquiétant, palpable que vous aurez sûrement beaucoup de plaisir et d’effroi à découvrir par vous-mêmes donc chut…gardons votre surprise intacte.

Si le paysage SF est particulièrement étouffant, angoissant, le choix d’une intrigue policière est pertinent tant les déambulations, les investigations de Zem permettent de découvrir les dessous de cette société. Alors, bien sûr, on ne peut pas demander à l’auteur de tout reconstruire dans le polar et ces personnages de flics ne sont pas indemnes de certains clichés du genre mais rien de pesant, de rédhibitoire. Au contraire, on est vite gagné par une intrigue qui fonctionne à merveille jusqu’à la résolution très, très douloureuse de l’enquête.

“ A partir de là, tout doit être violent. Il le décide au fond de lui-même: les heures ne compteront plus. Il ne fera plus attention à ce qu’il va briser ou insulter. Il n’entendra plus les suppliques. Il sera dur parce qu’il a appris à l’être il y a longtemps de cela.”

Le final policier est particulièrement bien monté mais ne laisse rien présager d’une fin de roman qu’on lit avec la même stupéfaction que le héros confronté à ses fantômes du passé tout en étant aussi contaminé par son chagrin. Les blessures anciennes s’ouvrent à nouveau, les trahisons, les peines, les amours, tout converge vers un constat bien réel bien déprimant et concourt à faire de Chien 51, un impeccable polar, un absolu “must read” de la rentrée.

Clete.