Chroniques noires et partisanes

Étiquette : larry McMurtry

ADIEU CHEYENNE de Larry McMurtry / Gallmeister

Leaving Cheyenne

Traduction: Christophe Cuq

Après la disparition l’année dernière de Larry McMurtry, les éditions Gallmeister poursuivent la mise en lumière d’œuvres inédites du grand auteur de l’Ouest américain comme Cavalier, passe ton chemin (son tout premier roman chronologiquement, datant de 1961). Adieu Cheyenne, publié en 1963, s’inscrit dans cette logique et dans cette trilogie dite de Thalia, petite ville du West Texas qui sert de cadre aux trois premiers romans de l’auteur.

« Bons copains, Gid et Johnny mènent une existence de jeunes cow-boys dans le Texas d’avant-guerre, entre travail harassant, bagarres et cuites en ville. Gid est réservé et cérébral, Johnny est spontané et insouciant. Amoureux de la même fille, Molly, tous deux rivalisent d’attention à son égard. Cependant, Molly se révèle un esprit fort et une femme libre. Si elle apprécie Gid et Johnny, jusqu’à leur accorder ses faveurs, pas question de se laisser passer la bague au doigt. Du moins par eux, car elle finit par épouser un troisième homme, qu’elle trompera allègrement au fil des années avec ses deux amours de jeunesse. Une situation scandaleuse pour le Texas de cette époque, mais surtout une étrange histoire d’amour et d’amitié qui perdurera leur vie durant.

Larry McMurtry dresse un portrait sensible de l’Ouest américain et donne naissance à une héroïne étonnante, mélange de force et de fragilité, indifférente aux apparences.« 

Roman à trois voix qui s’étale sur plusieurs décennies, avant et après la Seconde guerre mondiale, Adieu Cheyenne nous invite à nous immerger dans un singulier ménage à trois que les crispés pourraient qualifier d’immoral. La plume de Larry McMurtry restitue avec une authenticité sans faille un paysage et un mode de vie, dont le déclin peut se mesurer au travers des soixante années traversées par le récit. L’amour, la perte, les regrets, les secrets sont les grands thèmes de cette tragi comédie western, abordés avec simplicité. Ou bien platitude ? Parce que c’est le reproche que je ferai à ce roman qui ne m’a jamais emporté avec lui et m’a laissé en attente d’un tournant dramatique. Dès son premier roman et dans de nombreux autres par la suite, Larry McMurtry a su magistralement partager son amour pour l’Ouest épique. Malheureusement, celui-ci m’a plongé dans la perplexité : Adieu Cheyenne, certes, mais pour aller où ?

Pour les inconditionnels de Larry McMurtry ou les inconsolables de sa disparition.

Paotrsaout

CAVALIER, PASSE TON CHEMIN de Larry McMurtry / Gallmeister

Horseman, Pass By

Traduction : Josette Chicheportiche

Le colosse de l’Ouest s’est éteint en mars 2021. Et quand on dit colosse… Six de ses best sellers adaptés au cinéma dont La dernière séance et Tendres passions. Prix Pulitzer 1986 pour Lonesome dove. Oscar du meilleur scénario pour Le secret de Brokeback Mountain en 2006. On pourrait penser qu’il était venu le temps de traduire les œuvres mineures d’un immense écrivain sur la fin de son parcours terrestre. Car Cavalier, passe ton chemin est le tout premier roman de Larry McMurtry, paru il y a soixante ans et adapté à l’écran en 1963 par Martin Ritt, sous le titre commercial français Le plus sauvage d’entre tous, avec Paul Newman dans le rôle principal. On aurait tort de croire que, parce que le premier, le roman ne ferait que l’esquisse d’un talent.

Lonnie grandit dans le ranch de son grand-père, un éleveur texan à l’ancienne, et dans l’ombre de cow-boys qui perpétuent une certaine tradition. Nous sommes dans les années 1950, et le souvenir de l’Ouest héroïque n’est pas si loin. Sauf qu’on s’ennuie ferme dans cette prairie désormais “civilisée”, qui n’offre guère de distractions à un garçon de dix-sept ans. Alors Lonnie rêve. Mais voilà que Hud, fils d’un premier lit de sa grand-mère et redouté des autres hommes, s’en prend à Halmea, une employée noire. Dans ce monde macho, encore ségrégationniste, la violence des rapports humains s’impose brutalement à Lonnie, alors qu’une terrible menace pour le ranch se précise peu à peu.

Bien sûr, il serait aisé, parmi l’abondance contemporaine d’étiquettes de genres, de classer Cavalier, passe ton chemin, dans la catégorie « romans d’initiation », vu que le petit gars Lonnie, orphelin vivant sur le ranch de pépé Brandon, va apprendre une amère leçon de la vie, étalée sur moins de 300 pages. Ce serait faire fi de l’efficacité redoutable de la plume de Larry McMurtry ou de sa pointe Rotring®, pour être plus exact. Avec une magistrale économie de mots, Larry McMurtry plante un décor, un cadre familial recomposé dans une violence sourde, un quotidien et un provincialisme laborieux et mornes. Quelques détails et c’est le tout qui vous est donné si vous savez le voir. Le fil banal des jours se dévide et pourtant, la certitude est là, le drame couve et il est inexorable.

Il y a une sécheresse identique pour poser les personnages, une efficacité identique aussi. Ils acquièrent une stature totémique en quelques pages.  Le déclin, incarné par Homer Brandon. L’ambition mauvaise, par Hud. La nécessité et la peur de grandir, par Lonnie. Il y a surtout une originalité dans ce drame cow-boy, sensible, d’une formidable justesse. On savait la poussière avalée, les bottes tachées de merde, les os meurtris au corral ou au rodéo, la brutalité des moeurs. On découvre la concupiscence chez les garçons vachers. Ils ne sont après tout que des hommes.

Larry McMurtry éleveur de champions depuis 1961. La classe à (quelques centaines de miles au nord-ouest) Dallas.

Paotrsaout

LES RUES DE LAREDO de Larry McMurtry/ Gallmeister.

Streets of Laredo.

Traduction: Christophe Cuq.

“Les rues de Laredo” est l’apothéose, la fin, la suite de “Lonesome Dove”, le roman culte de Larry McMurtry qui lui avait valu le prix Pulitzer en 1986. Il avait écrit cette suite en 1995 mais très bizarrement, elle était restée inédite en France alors que dans le même temps, on avait pu lire deux prequels racontant l’enfance des deux héros Texas Rangers “La marche du mort” et « Lune comanche”. Certains pourront penser que ce vide éditorial est dû à une qualité moindre du roman. Ce n’est pas du tout le cas et les fans de Lonesome Dove peuvent l’acheter les yeux fermés et le savourer avec une lumière dans l’œil. Les heureux veinards qui n’ont jamais lu McMurtry pourront commencer par les premiers écrits mais on peut aussi se gaver directement des 700 pages terminant cette fabuleuse saga. Larry McMurtry a beaucoup écrit, c’est un très grand, et pas uniquement des westerns et a même obtenu l’Oscar du meilleur scénario adapté pour Le Secret de Brokeback Mountain en 2006. 

« La plupart des voleurs de trains sont pas malins, et c’est une chance pour les compagnies de chemins de fer. À eux seuls, cinq bandits pas trop idiots pourraient braquer tous les trains de ce pays. » Ainsi parle Woodrow Call, ancien capitaine des Texas Rangers désormais reconverti en chasseur de primes. Engagé pour éliminer Joey Garza, un dangereux criminel mexicain plus futé que les autres, il sillonne les étendues arides du Texas en compagnie d’une équipe hétéroclite. Mais le monde du vieil Ouest héroïque a changé ; la Frontière a été refermée, le pays est sillonné de lignes de chemin de fer, les cow-boys, Indiens et hors-la-loi ne sont plus ce qu’ils étaient. Une chose est sûre : Call, vieillissant, ne comprend guère la civilisation qui arrive. Mais Joey Garza est un adversaire à sa mesure.

Woodrow Call, à plus de soixante-dix ans retourne faire la loi au Texas parce qu’il le fait bien et ne sait faire que cela de toute façon, mais ses compagnons d’autrefois sont morts, ont pris leur retraite ou ne veulent plus retourner au combat. Et c’est donc avec une équipe de bras cassés très pittoresques qu’il va affronter Koey Garza, jeune bandit de grande envergure, symbole d’une nouvelle génération d’outlaws dont il ne comprend pas trop le fonctionnement. Il y a donc bien le bruit et la fureur mais aussi beaucoup d’humour comme d’horreurs et d’émotion dans cet énorme pavé de plus de sept cents pages. Roman crépusculaire par excellence, “Les rues de Laredo” contient à grande échelle, beaucoup du désenchantement, de la nostalgie et de la tendresse qu’on trouvait dans le merveilleux “ Le Saloon des derniers mots doux” paru en 2015.

Larry McMurtry est un grand écrivain, un des derniers monstres sacrés ricains, chacun de ses romans me charme, m’enchante mais conseillons néanmoins aux lecteurs d’entrer dans cette magnifique saga en période de vacances parce que l’immersion dans le Texas de la fin du XIXème siècle risque de les éloigner durablement de tous les autres centres d’intérêt de leur vie.

Magnifique.

Clete.

LUNE COMANCHE de Larry McMurtry chez Gallmeister

Traduction : Laura Derajinski.

Gallmeister nous offre enfin ce livre du grand Larry McMurtry inédit en France depuis 1997 ! Dernier tome dans l’ordre de l’écriture, mais deuxième dans l’ordre chronologique des aventures de Gus McCrae et Woodrow Call qu’on retrouve avec un immense plaisir, ainsi que l’écriture magnifique de Larry McMurtry.

« À la frontière du Mexique, au cœur d’un Texas désertique où quelques colons tentent d’importer la civilisation, de grands guerriers se font face. Le puissant chef comanche Buffalo Hump prouve que son peuple est loin d’être asservi tandis que plus au sud, le mystérieux Ahumado sème la terreur. Face à eux, Gus McCrae et Woodrow Call, Texas Rangers mal équipés et sous-payés, officient sous les ordres du fantasque capitaine Inish Scull. Dans cette partie des États-Unis, l’Histoire est en marche, laissant ces combattants blancs et indiens vivre les ultimes aventures d’un Ouest encore sauvage. »

N’ayant pas lu Lonesome Dove, j’avais décidé de lire la série dans l’ordre chronologique, et c’est double plaisir pour moi vu que je vais maintenant pouvoir attaquer Lonesome Dove qui me faisait de l’œil depuis un moment ! Avec cet ordre de lecture, on voit évoluer les personnages, Gus et Call ne sont plus des jeunots, ils grandissent et évoluent tout en restant eux-mêmes : Call toujours sérieux, Gus toujours bavard et irrévérencieux, poursuivant chacun à sa manière leur vie amoureuse… Et ça fonctionne, Larry McMurtry réussit avec un grand talent à créer des personnages humains, vivants, vraiment attachants. Le plaisir de lecture doit être différent si on lit dans l’ordre de parution car on découvre alors progressivement l’histoire de personnages dont on connaît un peu le destin, mais il ne doit pas être moindre tellement ces personnages sont profonds,  sonnent juste et fort : Larry McMurtry n’est pas un débutant !

Lune Comanche commence une dizaine d’années  après « la marche des morts », et couvre une grande période : avant, pendant et après la guerre de sécession,  élément essentiel de l’histoire des Etats-Unis. Cette guerre civile va déchirer le Texas et diviser les habitants d’Austin, ville nouvelle où tous viennent d’arriver. Fidèles à leurs origines, certains se battront pour le Sud d’autres pour le Nord, même chez les Texas Rangers. Gus et Call évitent le dilemme en restant au Texas car les forts sont dépeuplés, la frontière est dégarnie les Indiens en profitent mais il n’y a pas qu’eux et les bandits de tout poil prolifèrent : il y a du boulot pour les Texas rangers.

C’est un grand western : poursuites, attaques, traques… l’action ne manque pas dans des paysages magnifiques et dangereux du Texas où les éléments peuvent se déchainer où l’on peut aussi bien mourir de soif que mourir gelé. Larry McMurtry suit beaucoup de personnages : Buffalo Hamp grand chef comanche, Kicking Wolf Comanche voleur de chevaux génial, Ahumado dit Black Vaquero, le bandit le plus terrible des contrées sud, Inish Scull capitaine cherchant l’aventure… Il les rend si vivants qu’on les comprend tous même les plus cruels, même les plus fêlés. Ils sont magnifiques, sauvages, épris de liberté. Leurs histoires se coupent, se rencontrent et Larry McMurtry crée ainsi une grande fresque de cette époque violente, époque de guerre où la torture et l’esclavage étaient monnaie courante.

Dans ce monde de brutes, les femmes n’ont pas un sort très enviable : butin de guerres, monnaie d’échange, elles sont enlevées, vendues, violées, répudiées si elles sont récupérées. Il y a néanmoins quelques beaux personnages de femmes : Clara et Maggie dont les histoires mouvementées avec Gus et Call continuent et Ines la femme du capitaine Scull, flamboyante rebelle.

Ceux qui partaient à la conquête de l’ouest n’étaient pas tous très évolués, beaucoup de rustres, de miséreux, de maudits : les rejetés de l’ancien monde. Ils sont là eux aussi avec leurs superstitions, leurs croyances archaïques (forcément c’est pas les élites qui débroussaillaient le terrain !). D’une plume dure teintée de tendresse, Larry McMurtry nous offre toute une galerie de personnages drôles ou tragiques, ridicules mais toujours humains.

On traverse une grande période de l’histoire au cours de cette épopée. La fin des Indiens se profile, il n’y a plus de bisons, les colons sont de plus en plus nombreux et propagent des maladies. C’est la fin d’un monde sauvage. Larry McMurtry raconte un monde au crépuscule.

Un western sublime.

Raccoon

 

LA MARCHE DU MORT Lonesome Dove : les origines, de Larry McMurtry chez Gallmeister

Traduction : Laura Derajinski.

 

Originaire du Texas où il vit actuellement, Larry McMurtry est un grand écrivain américain qui a écrit plus de 40 livres, romans et essais. Il participe également à la rédaction de scénarii pour le cinéma et a obtenu un oscar pour celui de « Le secret de Brokeback mountain ». Il a obtenu le prix Pulitzer en 1986 pour « Lonesome Dove » et en a écrit deux prequels ensuite.  « La marche du mort » est le premier des deux, celui où on assiste à la rencontre entre les deux héros, Woodrow Call et Augustus McCrae, à peine sortis de l’adolescence. Le deuxième « Comanche moon » ainsi que la suite « Streets of Laredo » sont encore inédits en France. Espérons que leurs traductions soient dans les projets de Gallmeister…

« Aux confins d’un Texas encore sauvage, les jeunes Augustus McCrae et Woodrow Call viennent de s’engager pour faire régner un semblant d’ordre dans ce pays en devenir. Sous-équipés, piètrement entraînés et mal dirigés, ils s’apprêtent à traverser une série d’expéditions et d’aventures plus dangereuses les unes que les autres. Tour à tour poursuivis par des Indiens, l’armée mexicaine ou des ours, ils devront se battre au milieu d’une nature hostile. Heureusement que les femmes sont là pour les laisser rêver à des jours meilleurs. »

Augustus McCrae et Woodrow Call donc : ils sont tout jeunes, dix-huit ans à peine et s’ils sont carrément différents l’un de l’autre, Gus écervelé, ne pensant qu’aux putains, Call plus sérieux, plus rigide mais pouvant exploser gravement si on lui cherche des noises, leur amitié va devenir leur point d’ancrage. Ils cherchent tous deux l’aventure avec une solde à la clé et s’engagent dans les Texas rangers, pleins de rêves de bravoure et de gloire. Ce roman est celui de leur initiation à la dure vie de cow-boys.

C’est donc un western en bonne et due forme : les paysages grandioses de l’Ouest américain, les Indiens, les poursuites, les batailles…  Les Texas rangers partent d’abord pour établir une route sûre pour les diligences en territoire indien puis pour conquérir Santa Fe. Cette deuxième expédition représente la majeure partie du bouquin et s’inspire d’une expédition réelle qui eut lieu en 1841 et se termina par un désastre, elle s’en inspire seulement car c’est bien d’un roman qu’il s’agit ici.

Chariot retrouvé au fond d’un lac desséché.

Un roman bien noir, on est loin des clichés des westerns classiques avec de vaillants héros sans peur et sans reproche. Ces rangers sont de pauvres types qui n’ont rien, ni ici ni ailleurs, plus ou moins sympathiques, abrutis, cruels…. Ils sont recrutés en trois secondes, équipés à la va vite et pas formés du tout. La troupe des Texas rangers se compose de toute une série de personnages hétéroclites hauts en couleurs que Larry McMurtry nous décrit avec humour parfois car certains sont vraiment gratinés, mais toujours avec humanité. Loin d’être héroïques, ils tremblent  de peur, de froid, de faim, pètent les plombs, affrontent le danger parce qu’ils n’ont pas le choix et y survivent rarement.  Ce groupe est accompagné par Matilda, personnage magnifique de putain au grand cœur qui finit par prendre sous son aile les deux « jeunes chiots » Gus et Call.

Larry McMurtry s’intéresse à beaucoup de personnages, certains meurent au bout de quelques pages, d’autres tiennent un peu plus longtemps, mais il fait ainsi ressentir au lecteur les pertes, les deuils et l’angoisse de cette troupe qui va s’amenuisant. Car les expéditions sont des catastrophes prévisibles, menées par des chefs auto-proclamés, incompétents mais assez brutaux pour s’imposer comme chefs (plus chefs de gangs que chefs militaires). Et bien sûr ils sont en territoire inconnu, contrairement aux Indiens qui savent survivre dans ces déserts et tendent des pièges dans lesquels nos pauvres rangers pas trop futés se précipitent. Larry McMurtry, lui, connaît bien le Texas et il décrit magnifiquement ces terres sauvages et les dangers rencontrés : les éléments qui se déchainent, les animaux féroces…

Un western violent et sanglant et il n’y a pas que pour la troupe que la violence règne !  Larry McMurtry nous raconte une épopée peu glorieuse de la conquête de l’Ouest, un assaut par une bande de bras cassés qui nous rappelle que ces pionniers étaient des misérables, affamés et crasseux.

Un grand roman !

Raccoon

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