Lullaby Road

Traduction : Clément Baude

Il y a deux ans et demi, les Nyctalopes chroniquaient le premier roman publié chez Belfond du même James Anderson, Desert Home, et en disaient le bien qu’ils en pensaient. La Route 117 se révèle être une sequel puisque James Anderson introduit à nouveau son personnage principal, Ben Jones, routier à la vie agitée, dans le décor qu’il affectionne, le désert et les mesas de l’Utah, traversé encore une fois par la Route 117. S’il existe bien une Route 117 dans l’Etat des Mormons, James Anderson a décalé la sienne dans la fiction plus à l’est pour la faire se croiser avec l’Interstate 191, grand axe routier qui s’enfonce depuis Salt Lake City, la capitale, vers le sud-est. On peut supposer ainsi qu’il cherchait à ancrer son histoire dans un des endroits les plus reculés de l’Utah pour mieux évoquer des communautés dont l’isolement, la marginalité et le secret sont des traits caractéristiques. 

« La neige et la glace ont envahi la route 117. Au milieu de ce décor lunaire, Ben, chauffeur routier, s’accroche à son volant comme à une planche de salut, pour oublier la disparition brutale, quelques semaines plus tôt, de la femme qu’il aimait.

Mais un matin, à la station-service, un étrange colis l’attend… Un gamin et son chien, laissés là avec ce mot : « S’IL TE PLAÎT, BEN. GROSSE GALÈRE. MON FILS. EMMÈNE-LE AUJOURD’HUI. CONFIANCE À TOI SEULEMENT. PEDRO. »

Pourquoi ce Pedro, un quasi-inconnu qu’il n’a pas revu depuis des mois, tient-il tant à lui confier son enfant mutique ?

Tandis que Ben reprend la route en quête de réponses, accompagné de ses improbables passagers, un drame l’oblige à interrompre ses recherches : son ami John, prédicateur qui arpente la 117 avec une croix sur le dos, vient d’être laissé pour mort sur le bord de la chaussée.

Dans ce coin perdu de l’Utah, les mystères et les dangers collent à l’asphalte. Pour Ben, c’est le début d’une enquête ahurissante, aux troublantes ramifications… »

James Anderson confirme sa poésie brute pour évoquer le désert, ses étendues désolées, ses formations rocheuses, ses lumières et les événements météorologiques brutaux qui le frappent pendant la saison d’hiver. Malgré ses aspects hostiles, la contrée abrite une communauté éparpillée dont les membres ont pour point commun de vouloir mettre une distance avec une vie antérieure que l’on devine aisément riche en accidents, en faux pas ou en dégueulasserie. Rockmuse, au bout de la Route 117, a l’air du rejeton bâtard de Slab City et d’une ghost town. James Anderson y distribue une humanité bancroche et bigarée, attachante ou bien inquiétante. Ben Jones est le trait d’union entre Rockmuse et Price où il réside. Il connaît parfaitement ce coin de désert et les habitudes des misfits qui s’y sont retirés. Raccordé aussi à la vie moderne, il peut compter sur un flic amical et les services médicaux d’urgence. Et Dieu sait si les péripéties du roman nécessitent leurs interventions. Ben Jones reste ce personnage pour lequel le lecteur éprouve une sympathie immédiate : il a ses blessures, il n’est pas lui-même irréprochable, il sait que le mieux, dans les services qu’il assure en solitaire, est de ne pas poser de questions. Malgré tout, son tempérament ne lui évite pas les ennuis. Fataliste et ironique, il avance, vaille que vaille, bien que là, sa fibre paternelle et protectrice soit mise à rude épreuve. Pour résumer, c’est un brave type, qui parfois se comporte comme un connard ; avisé, puis l’instant d’après, victime du « syndrome de la mèche courte ». 

Sur le thème de l’enfance abusée, l’enquête ou poursuite motorisée de Ben Jones rappelle dans ses meilleurs moments Le Cherokee de Richard Morgiève, paru au tout début de l’année dernière. Au fil des kilomètres d’asphalte, le drame se noue, affrontements et accidents surgissent, amitiés et amours éclosent ou se meurent. La prose de James Anderson, efficace, sait parfois se hérisser d’un humour bien vu. Alors la suite idéale à Desert Home ? Peut-être pas. Les incessants aller-retours sur la 117, entre intrigue principale et échappées secondaires, désorientent parfois et le dénouement nous laisse avec un petit sentiment de confusion. C’est un peu dommage parce que c’est une histoire qui a le mérite d’appartenir à l’endroit exact où elle se déroule.

   Sans savoir ce que je découvrirais, j’ai poussé le quad sur le côté. Le corps de l’homme était en un morceau, il avait les yeux ouverts. Du sang coulait coulait d’une plaie sur son front. Ses deux jambes, brisées à hauteur des genoux, étaient repliées, quasiment à angle droit, comme dans un dessin animé. Merci la ceinture de sécurité – si tant est qu’il l’ait mise. Les airbags ne fonctionnent que si vous êtes là où vous êtes censé être. Avec les tonneaux, l’homme et son fils s’étaient retrouvés comme deux roulements à bille dans une boîte de conserve.

   Il a remué les lèvres. Je me suis baissé et, un genou, à terre, je me suis penché vers lui. C’étaient sans doute ses dernières paroles. Dans un murmure rauque, il a répété :

« Mon fils, mon fils.

_ Le sale gosse, vous voulez dire ?

   Il a cligné des paupières.

   « Je ne sais pas. Je ne l’ai pas encore retrouvé. Espérons que je n’aurai pas besoin de sacs-poubelle pour vous le ramener. » J’ai aussitôt regretté mes paroles. « Peut-être qu’il va bien », ai-je rectifié, même su je n’en croyais pas un mot. Frapper un homme à terre n’a jamais été mon style, mais à ce moment-là, je n’avais ni style ni indulgence.

Paotrsaout