Nyctalopes suit l’auteure belge Caroline de Mulder depuis dix ans maintenant: Bye bye Elvis puis ses deux romans noirs Calcaire montrant une Flandre bien glauque et Manger Bambi récompensé par le prix Sade en 2021. Dans deux entretiens datés de 2018 et 2021, elle nous avait expliqué, entre autres, ses méthodes et surtout son travail préalable minutieux de découverte, d’imprégnation, d’assimilation et de compréhension des univers contés parfois très éloignés du sien. Une vraie quête d’universitaire, fonction qu’elle occupe d’ailleurs.
“Heim Hochland, en Bavière, 1944. Dans la première maternité nazie, les rumeurs de la guerre arrivent à peine ; tout est fait pour offrir aux nouveau-nés de l’ordre SS et à leurs mères « de sang pur » un cadre harmonieux. La jeune Renée, une Française abandonnée des siens après s’être éprise d’un soldat allemand, trouve là un refuge dans l’attente d’une naissance non désirée. Helga, infirmière modèle chargée de veiller sur les femmes enceintes et les nourrissons, voit défiler des pensionnaires aux destins parfois tragiques et des enfants évincés lorsqu’ils ne correspondent pas aux critères exigés…”
Et même s’il faut, bien sûr, toujours retenir les leçons du passé pour bien comprendre le présent et parfois craindre l’avenir, d’aucuns et je les comprends bien seront peut-être un peu rebutés à l’idée de retourner à l’époque du nazisme et de la seconde guerre mondiale. J’y suis moi-même allé un peu à reculons et pourtant quel roman! Une fois entré, et je sais la médiocrité de l’expression, difficile d’en sortir et d’ailleurs, le roman ne provoque-t-il pas un choc durable, une émotion qui hante quelque temps et qui permet parfois, peut-être, de relativiser certains de nos petits problèmes ?
Si Caroline de Mulder s’éloigne un peu de ses derniers romans “Cette fois du blanc sur fond noir”, c’est de très loin son roman le plus sombre, un vrai crève cœur. L’atout majeur du roman, vraie réussite de l’auteure, tient dans ses trois personnages principaux, bien plus que dans la description du berceau de l’eugénisme nazi. Renée la toute jeune Française coupable d’être tombée amoureuse et enceinte d’un jeune nazi au moment où à la faveur du débarquement en Normandie, tous les Français devenaient résistants; Helga la jeune infirmière du Lebesborn qui s’occupe avec dévouement et amour de ces nourrissons, premiers éléments de la race pure de Germains nordiques et enfin un résistant polonais prisonnier qui tente de ne pas sombrer. L’empire de mille ans voulu par Hitler est en train de s’effondrer et on découvrira sa chute par la vie de ce petit “paradis” nazi factice. Petit à petit, à demi-mots, par sous entendus, par les événements, l’horreur sera dévoilée au grand jour par une auteure qui le fera avec beaucoup de tact, de pudeur, sans jugement et en employant avec beaucoup de justesse parfois le mode épistolaire:
“Il n’y a pas d’un côté le bien, de l’autre le mal, il y a de longues glissades dont on se relève pas, et des passages quelquefois imperceptibles de l’un à l’autre. Quand on s’en rend compte, il est déjà trop tard.”
Dans la plume de Caroline de Mulder on sent, beaucoup plus qu’à l’accoutumée, même si elle s’en défendra sans doute, l’émotion, la compassion, la communion avec ces femmes, ces mères qui finalement, au bout du compte, se retrouvent seules parce que les hommes de toute manière, comme elle l’écrit au moins deux fois, “Ils ne reviennent jamais”. La pouponnière d’Himmler est bien un roman historique sur un aspect moins connu de la barbarie nazie mais surtout un douloureux et bel hommage au combat des mères, une complainte bien plus universelle. Enfin, dans cette période très noire de notre époque, n’oublions pas aussi de lire ce roman très fort pour se rappeler et pour transmettre aux jeunes générations la réalité de la guerre qui, si elle touche bien sûr en premier tous celles et ceux qui meurent au combat, n’épargne personne à part ceux qui la provoquent.
Touchant et important.
Clete.
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