Traduction : Chloé Royer.

Paul Murray est un auteur irlandais, il a étudié la littérature avant de devenir libraire. Ses deux premiers romans ont connu un grand succès outre-Manche et outre-Atlantique.  « La marque et le vide », son troisième roman, se situe au moment où le paradis financier qu’était devenu l’Irlande commence à se fissurer et les effets de la crise se font sentir.

« De l’action ! Du changement ! Une nouvelle vie ! C’est un peu tout ça que Claude, jeune trader ambitieux, est venu chercher en quittant sa morne banlieue parisienne pour Dublin, le nouvel eldorado bancaire du début des années 2000.

En réalité, Claude passe ses journées à étudier les fluctuations des cours et des taux, ne sort qu’en compagnie de ses collègues et s’autorise une seule fantaisie : desserrer sa cravate le vendredi.

Aussi, quand un écrivain prénommé Paul le contacte, entrevoit-il enfin l’excitation qui viendra briser sa routine. Longtemps en panne d’inspiration, Paul a pour projet d’écrire un livre sur la vie d’un monsieur Tout le monde. Et Claude en est un parfait spécimen.

Enfin une perspective intéressante ! Devenir un héros de roman ! Le début de la gloire !

Ou le début des ennuis… »

Claude, banquier d’investissement français travaille à l’IFSC (international financial services center) installé à Dublin pour accueillir les fonds d’investissements, banques et autres sièges sociaux d’entreprises qui brassent des milliards et préfèrent éviter de payer trop d’impôts. L’Irlande a construit son essor économique sur ce statut de paradis fiscal et financier. Ce centre regroupe des jeunes loups de la finance de tous les pays, les collègues de Claude sont anglais, allemands, australiens… et tous pataugent dans le fric avec joie et spéculent à qui mieux mieux. La plupart sont des pourris qui ne pensent qu’au fric et au pouvoir qu’il confère mais pas tous, certains ont juste remisé leurs rêves et se sont fait happer par cette vie trépidante mais vide de sens.

Claude, fils de soixante-huitard ne vient pas de ce milieu. Il a d’abord fait des études de philo avant de se tourner vers la banque. Poussé vers la réussite par un père qui lui en a ensuite voulu de trahir ses pairs, il a fui ces conflits en Irlande au moment où l’argent du tigre celtique coulait à flot. Il se noie depuis dans le travail, il se satisfait de cet abrutissement, du vide de sa vie et jongle avec des chiffres qu’il ne veut envisager que comme des abstractions sans être totalement dupe et inconscient des conséquences dans la réalité. La vacuité de sa vie le rend malheureux mais pas au point de tout envoyer bouler.

C’est pourquoi il va s’en remettre à Paul qui lui propose de le transformer en héros de roman, il voit là l’occasion de remplir son existence pour de bon. Paul, ruiné, croulant sous les crédits, est prêt à tout pour se refaire et se sert de son imagination créative sans aucun scrupule.

Le décalage entre les deux personnages : le banquier scrupuleux, intello, naïf et l’écrivain terre à terre, roi de l’esbroufe, crée des situations cocasses. Il y a toute une galerie de personnages secondaires soignés et drôles qui allègent par l’humour le ton du bouquin car le fond est vraiment sombre.

Paul Murray décrit ce monde qui décide de nos vies en brassant des millions, des milliards. On achète, on vend, on parie sur les succès ou les échecs avec un cynisme hallucinant. Toutes ces transactions sont coupées de la réalité, il n’y a pas un billet dans cette banque. C’est un jeu, avec bluff et triche, un jeu de massacre où quelques-uns s’amusent mais où bien des gens sont fauchés. Le produit ultime, inépuisable des profits, ce sont les pauvres. Le capitalisme sauvage en plein triomphe ! Les banquiers et les politiques, comme culs et chemises, font payer les pauvres pour les riches. Toute velléité de révolte est vite étouffée : on est trop pauvre et prêt à se vendre pour échapper à la misère, on veut aussi en croquer ou on se console dans une vie virtuelle plus intéressante. Ce système machiavélique s’impose partout, il gangrène jusqu’à l’art et la pensée, d’autres domaines vers où l’auteur pousse ses réflexions.

Heureusement, Paul Murray nous fait parfois sourire car le constat est réaliste et glaçant !

Un bon roman, vraiment intelligent.

Raccoon