Cloud Cuckoo Land

Traduction: Marina Boraso

Quand Anthony Doerr était venu à Etonnants Voyageurs, il y a maintenant sûrement plus d’ une décennie, charmé par la cité malouine et son histoire, il avait promis à son éditeur français Francis Geffard de revenir un jour à Saint Malo avec un roman parlant de la ville. C’était une belle et bonne idée en plus d’une promesse puisque en 2015, il obtenait le Pulitzer avec “Toute la lumière qui est en nous, fantastique roman qui se déroulait en grande partie à Saint Malo sous les bombes pendant la seconde guerre mondiale.

Les bandeaux qui fleurissent sur les romans doivent bien avoir un effet autre que répulsif puisque la mode ne faiblissant pas La cité des nuages et des oiseaux se trouve affublé d’un vilain rectangle rouge de papier annonçant “chef d’oeuvre”. Les lecteurs passionnés de Doerr doivent vraiment se demander ce qui pourrait justifier -maintenant- un tel qualificatif que méritait déjà amplement Toute la lumière qui est en nous. Néanmoins, une source particulièrement autorisée, m’a innocemment glissé que Doerr avait encore franchi un palier

Et après lecture c’est l’évidence, son propos, ses histoires, ses ambiances, son humanité, sa bienveillance, son message, son écriture et son intelligence, découverts dans ses premiers romans, sont ici à leur apogée, illuminant de mille feux un roman qui fera date, intemporel, indémodable, d’une beauté et d’une délicatesse rarement égalés.

“Un manuscrit ancien traverse le temps, unissant le passé, le présent et l’avenir de l’humanité.

Avez-vous jamais lu un livre capable de vous transporter dans d’autres mondes et à d’autres époques, si fascinant que la seule chose qui compte est de continuer à en tourner les pages ?

Le roman d’Anthony Doerr nous entraîne de la Constantinople du XVe siècle jusqu’à un futur lointain où l’humanité joue sa survie à bord d’un étrange vaisseau spatial en passant par l’Amérique des années 1950 à nos jours. Tous ses personnages ont vu leur destin bouleversé par La Cité des nuages et des oiseaux, un mystérieux texte de la Grèce antique qui célèbre le pouvoir de de l’écrit et de l’imaginaire.”

Et si un livre pouvait vous sauver la vie ? C’est tout simplement la question que pose Anthony Doerr à ses lecteurs qui savent déjà cette évidence parce qu’ils peuvent l’avoir vécu pour beaucoup d’entre eux ou avoir ressenti l’onde, le choc, le cataclysme provoqué par un texte, une histoire, une plume. et qui attendent une démonstration littéraire de haut vol de la part du magicien américain.

Cinq personnages dont quatre enfants, trois histoires une dans le passé à Constantinople juste avant la chute de la cité, aujourd’hui de la guerre de Corée à nous jours et dans le futur dans un vaisseau spatial en route pour une nouvelle Terre et un roman daté du premier siècle de notre ère: … qui les unit et les réunit par moments pour certains.

Trois époques, toutes les trois très troublées, et des enfants au bord du précipice, qui risquent de tomber parce que la guerre, les virus, l’éco-terrorisme mais un livre…” Il se rappelle le conte d’Anna au sujet de cet homme transformé en âne, en poisson puis en corbeau, qui voyageait à travers la terre, l’océan et les étoiles en quête d’un pays à l’abri de la souffrance, pour décider finalement de rentrer chez lui et de passer ses dernières années auprès de ses bêtes”.

Alors, comme souvent avec les grandes œuvres, il faut d’abord apprivoiser le roman, laisser passer un peu pour que cela se décante. Les cent premières pages pourront troubler puisqu’on passe d’une époque à l’autre et d’un personnage à l’autre dans une même époque très rapidement et très souvent. Mais une fois que vous êtes bien ancrés, c’est le plaisir pur de lecteur qui remplace ce trouble, cet embarras, cette sensation d’être perdu dans un roman, de s’y noyer. Il faut privilégier des grands espaces de lecture, sinon ces changements incessants et parfois perturbants comme frustrants et qui sont la musique du roman, vont vous perdre. Les histoires contées sont belles mais s’avèrent aussi très rudes et il faut souligner la belle pudeur de l’auteur qui nous suggère uniquement mais ne veut pas nous blesser en nous racontant par le menu les fins tragiques qui peuplent le roman.

On peut rapprocher La cité des nuages et des oiseaux de Cartographie des nuages de David Mitchell ou de L’Arbre-Monde mais également de Sidérations les deux derniers romans de Richard Powers. Mais c’est avant tout du Anthony Doerr, brillant, généreux, humain, tendre et inclassable comme tous les grands.

Lisez La cité des nuages et des oiseaux, il vous fera un bien fou. Sa petite mélodie vous accompagnera longtemps et vous en sortirez grandi certainement.

Clete.