A shout in the ruins.

Traduction: Carole d’Yvoire.

« Nurse donna naissance à George dans une tente d’amputation de l’hôpital de Chimborazo au deuxième jour d’avril 1863. Elle se tordait de douleur depuis la veille au soir et les chirurgiens l’avaient laissée gémir sur le sol couvert de sang, tandis qu’ils poursuivaient leurs opérations. Le crissement de la scie sur les os. Une sonde, un doigt ou une paire de pinces fouillant dans les chairs déchirées du bras ou de la jambe d’un jeune homme, à la recherche d’une balle Minié, la plaie aussi béante que l’entrée d’une mine. Les voix calmes mais fermes des médecins et soignants échangeant instructions et confirmations. Un membre jeté sur le plancher avec un bruit sourd et une petite éclaboussure de sang. Et Nurse, dans un coin de la tente, ignorée alors qu’elle se balançait, pliée en deux, d’avant en arrière, à intervalles de plus en plus rapprochés, tel un métronome déréglé. »

Son premier roman, Yellow Birds révélait déjà un véritable talent d’écriture : il conquiert le public américain ainsi que le public français. Vétéran de la guerre d’Irak, à l’instar d’un Phil Klay ou, plus récemment, de l’ovni Nico Walker, Kevin Powers s’emploie à revivre les horreurs du conflit armé en les restituant à l’écrit. Acte cathartique ? peut-être un peu mais pas uniquement puisque le titre publié par les éditions Delcourt cet automne, L’écho du temps, revient sur le sujet de la violence humaine, à une autre époque, lors d’une autre guerre.

Deux temporalités se font face : le passé, deuxième moitié du XIXe siècle et son écho en plein milieu des années 50 : nous sommes en Virginie et assistons d’un côté à une naissance, de l’autre à un départ.

Kevin Powers se fout du suspense : sa structure narrative n’en dépend pas, elle est, au contraire, semblable à un chemin – deux en l’occurrence, le passé et le présent – sur lequel il vous accompagne en vous faisant signe de temps en temps pour vous éviter de vous prendre les pieds dans une branche.

La Virginie, terre sudiste, est toujours marquée par la ségrégation lorsque George, « dans les quantre-vingt-dix ans environ » prend la décision de quitter Richmond et le quartier où il vit depuis des années, quartier voué à la démolition pour laisser la place à la Route Une. Il sait que la fin est proche et aimerait savoir d’où il vient ; tout ce qu’il en sait se résume à un petit mot écrit à la hâte : « Prenez soin de moi. Je vous appartiens maintenant. » accroché à ses vêtements lorsqu’il avait été retrouvé, en Caroline du Nord, petit garçon de trois ans.

Powers joue avec les flashbacks et les digressions sans que jamais cela ne nuise à l’homogénéité du récit : bien au contraire, la force du texte s’amplifie au fur et à mesure que les pièces du puzzle se mettent en place. Les personnages aussi prennent de plus en plus d’épaisseur, jusqu’à déborder des pages du livre : le sens du détail de Powers, les descriptions approfondies – qu’il s’agisse de paysages ou d’état d’âmes – son incroyable sensibilité font mouche.

Les racines de l’histoire, en pleine guerre de Sécession dont la Virginie refuse d’admettre la défaite se trouvent sur la plantation d’un français, Levallois. Homme d’affaires, homme de pouvoir, il tire les ficelles de plusieurs destins, des Noirs, des Blancs. Parmi les Noirs, un couple, Nurse et Rawls, parmi les Blancs, le propriétaire voisin, Bob Reid et sa fille, Emily. La guerre et ses conséquences en face.

L’écho du temps raisonnera dans votre tête longtemps après l’avoir refermé. Il raconte avec beaucoup de douceur l’horreur humaine. Traversé de temps à autre par un éclair de lumière (grâce surtout à des personnages secondaires dont le poids est aussi important que celui des personnages principaux), par des moments de grâce (comme celui où George rencontre les parents de son ancien collègue tué dans un accident de travail ou l’histoire d’amour de Lottie et Billy), le roman de Kevin Powers questionne la nature humaine.

Puissant, dérangeant parfois, extrêmement beau.

Monica.