Traduction: Pierre-Paul Durastanti.

 

Ken Liu, lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire 2016 avec « La Ménagerie de papier », revient nous faire un petit clin d’œil dans l’excellente collection Une Heure-Lumière du Bélial’. Revient, car il s’était déjà distingué dans ce « nouveau » catalogue dédié aux romans courts avec, rappelons-le, « l’Homme qui mit fin à l’histoire », confirmant par là-même son très grand talent d’écrivain et de conteur aux mille visages.

« Le Regard » s’annonce comme une nouvelle plongée en territoire hybride, sombre ainsi qu’un rien glaçant : le bouquin parfait pour la route ensoleillée des plages, ou pour celle plus titubante des afters hamac du Barbeuk’&Ricard.  On s’embarque sous des cocotiers bostoniens d’un futur proche auprès de Ruth Law, ex-flic devenue détective privée techno-boostée jusqu’à la moelle, maintenant lancée sur les traces cybernétiques du meurtrier d’une call-girl, Mona, métisse asiatique aussi belle que mystérieuse. On flaire la piste des gangs de Chinatown, la mère éplorée de la victime s’annonçant prête à cracher un maximum de dollars pour sauver l’honneur de sa fille abandonnée par les circuits policiers traditionnels…

Bon ok, je vous vois arriver gros comme une pelleteuse un soir de fest-noz sur le dancefloor : « Mec, j’ai déjà lu ça quelques part, peut-être 475 fois. Ton truc, c’est frelaté jusqu’au trognon : tu veux nous revendre un réchauffé de Philip Marlowe sauce à l’huitre transgénique du futur». Alors détendez-vous les choupinous et reprenez un peu de Moscatel. Je vous l’accorde, question pitch, Ken Liu ne gagne pas ici les oscars de l’originalité. Là où ça devient intéressant, c’est justement que c’est du Ken Liu et qu’on surf sur un truc cyberpunk old school mâtiné polar existentialiste comme j’en avais pas vu depuis… « Strange days » ? (référence audacieuse j’en conviens) voir Robocop.

C’est rythmé, intense, intelligent, bouillonnant de trouvailles… et beaucoup trop court ! La part laissée à la psychologie et au background des personnages ne s’en trouve pourtant pas massacrée, bien au contraire. Elle forme finalement l’épine dorsale du récit. C’est plutôt le côté « hard-boiled cyber » qui fait les frais de l’amputation. L’introduction du fameux « Régulateur », dispositif électronique cérébro-implanté dont cette novella tire son titre originel, se montre cependant assez novateur et amène une touche d’étrangeté et de malaise tout à fait jouissif. Si certaines ficelles paraissent un peu éculées, cela n’entache en rien le plaisir d’une lecture d’où se dégage une quasi impression d’avoir dans les mains quelque chose qui, porté sur 200 pages de plus, aurait pu être une nouvelle bombe transgenre à mettre au crédit du boss of Boston. Alors, roman court trop ambitieux ou chroniqueur trop gourmand ? Je vous laisse seul juge…

Wangobi.