Chroniques noires et partisanes

Étiquette : Karl Ove Knausgaard

COMME IL PLEUT SUR LA VILLE de Karl Ove Knausgaard / Denoël.

Traduction: Marie-Pierre Fiquet

Exercice délicat que celui de chroniquer le 5e tome de l’entreprise littéraire et autofictionnelle du norvégien Karl Ove Knausgaard (le 4e ayant été salué dans les pages du blog Nyctalopes en août 2017 par un autre contributeur).


Entreprise, c’est le terme qui convient pour décrire le travail de Knausgaard, né en 1968 : raconter sa vie, en faire le matériau de cette saga contemporaine et nordique, divisé en six tomes publiés entre 2009 et 2011, un énorme succès de librairie en Norvège, intitulé Min Kamp / « Mon combat ».

Le présent récit court sur la période 1988- 2002. Karl Ove a vingt à peine quand il s’installe à Bergen, ville universitaire sur la côte de la Norvège, pour entamer un cursus à l’Académie d’écriture. Il arrive débordant d’enthousiasme et d’ambition littéraire. Mais rapidement ses illusions volent en éclats. Il désire tant, sait si peu et ne réalise rien. Ses efforts de socialisation se soldent par des échecs cuisants. Maladroit avec les femmes et très timide en société, il noie son humiliation dans l’alcool et le rock tandis qu’il se dit que peut-être il est plus doué pour la critique que l’écriture. Sans raison apparente de se sentir optimiste, Karl Ove continue d’explorer avec amour les livres et la lecture. Petit à petit son rapport au monde change et le monde autour de lui change aussi. Il tombe amoureux, renonce à l’écriture pour se consacrer à la critique littéraire, plus immédiatement gratifiante, et les premières pierres de sa vie d’adulte sont posées. Le roman devient celui d’amitiés fortes et d’une relation amoureuse sérieuse. Quand son père meurt, tout se désintègre pour celui qui vient de publier son premier roman. Il fuit en Suède pour éviter sa famille et ses amis.

Pour qui n’est pas familier de la société norvégienne, de sa culture et de la géographie du pays des fjords, le texte de Knausgaard, avec son réalisme exhaustif, apporte de multiples détails. Ce talent pour l’inventaire peut ramener quiconque a connu une jeunesse universitaire vers les années d’enthousiasme, d’orgueil et de déception noyés (un temps seulement) dans les passions littéraires, musicales, sexuelles ou sentimentales. Mais c’est le revers de ce choix stylistique énumératif également : la capacité à lasser, surtout si le narrateur paraît peu sympathique, grincheux, et sa vie somme toute assez flat. Qu’y a-t-il d’étonnant ou de scandaleux dans le fait de ne pas savoir écrire un grand roman à 20 ans, de se prendre des râteaux avec les filles, de se torcher à s’en rendre crétin et de caler assez régulièrement sur la platine un disque de New Wave ?

C’est en cela que la présente chronique s’avère délicate : un même auteur qui poursuit une saga autofictionnelle reconnue et appréciée, un autre regard qui ne se laisse pourtant pas impressionner. Mais que cela n’échaude point. J’avoue simplement ne pas pouvoir être l’ambassadeur de ce texte.

Les amateurs de romans au long cours, fourmillant de mille petits détails, sur les obsessions de la jeunesse dans des villes littorales norvégiennes soumises à la pluie y trouveront, eux, leur compte.

Paotrsaout


AUX CONFINS DU MONDE de Karl Ove Knausgaard / Denoël.

Traduction : Marie Pierre Fiquet.


On sait très rapidement, et instinctivement, que l’on va s’engouffrer dans un ouvrage littéraire avec un grand L. Très rapidement car le ton est donné, car la plume marque de son empreinte dès la première page un journal d’une page de l’existence du géniteur. Tant dans la précocité de son entrée dans le monde des adultes que par les responsabilités lui incombant s’installent, alors, de profondes ambivalences jumelées à de légitimes questions d’une réflexion personnelle mal dégrossie. D’une trace directe, sans faux-semblant, sans verser dans la digression excessive, la patte nordique affiche ses atours et cette musique épurée.

« À dix-huit ans, fraîchement sorti du lycée, Karl Ove Knausgaard part vivre dans un petit village de pêcheurs au nord du cercle arctique, où il sera enseignant. Il n’a aucune passion pour ce métier, ni d’ailleurs pour aucun autre : ce qu’il veut, c’est mettre de côté assez d’argent pour voyager et se consacrer à l’écriture. Tout se passe bien dans un premier temps : il écrit quelques nouvelles, s’intègre à la communauté locale et attire même l’attention de plusieurs jolies jeunes femmes du village. S’installe peu à peu la nuit polaire, plongeant dans l’obscurité les somptueux paysages de la région et jetant un voile noir sur la vie de Karl Ove. L’inspiration vient à manquer, sa consommation d’alcool de plus en plus excessive lui vaut des trous de mémoire préoccupants, ses nombreuses tentatives pour perdre sa virginité se soldent par des échecs humiliants, et pour son plus grand malheur il commence à éprouver des sentiments pour l’une de ses élèves. 
Entrecoupé de flash-back où l’on découvre l’adolescence de Karl Ove, et grâce auxquels on distingue l’ombre omniprésente de son père, Aux confins du monde capture d’une main de maître le mélange enivrant d’euphorie et de confusion que chacun traverse à la fin de l’adolescence. »

L’auteur norvégien, né en 1968 vivant actuellement en Suède avec ses trois enfants, est considéré, par l’entremise de son incroyable autobiographie divisée en six volumes, comme un littérateur « nobellisable » en renouvelant le genre de l’autofiction.

Karl Ove mène sa barque dans le but de s’émanciper mais aussi dans l’ambition de concrétiser son doux songe de devenir écrivain.

Son détachement de « l’écrin familial » prendra forme en cette mission de professeur principal jouxtant la fin de ses études secondaires. L’indépendance et la survenue de concrètes responsabilités ne sont, bien entendu, pas sans écueils. Mais au sortir de l’adolescence et à l’orée de l’âge adulte résident des inflexions, des magnétismes où l’humoral est sur un piédestal. La sève est un moteur, elle est un leitmotiv. Tout comme l’impériosité socialisante festive qui scelle les amitiés, renforce son empreinte dans ce coin et cette communauté inconnus. On ressent inéluctablement le malaise dans la difficulté à s’affirmer, dans la difficulté à afficher des certitudes d’homme et de littérateur. Comme bien souvent la pente est abrupte, les accotements instables et la direction floue…Le trajet est fatalement semé d’embûches. Et c’est cette fragilité, cette profonde humanité, l’expression d’angoisses universelles qui rend le projet littéraire sincère et marquant.

L’écrit est beau car il est empreint d’une véracité sans nuances. La langue est touchante car elle n’est pas cérébrale mais cardiaque. Le verbe est fort, hypnotique car vécu et non choisi. S’y retrouver c’est s’y égarer, sans dissimuler ni les émotions, ni les poils qui s’hérissent, sans renoncer à l’idée que le passé reste constitutif de notre présent bien souvent dans son intégralité. L’empirisme est ainsi fait d’erreurs, d’hésitations, de tâtonnements tout en portant les stigmates de notre histoire incluse dans notre éducation, notre culture. Les confins du monde c’est une cellule forgée notre être singulier qui se veut paradoxal afin de nous ouvrir à autrui pour nous affirmer à nous même.

Dans cette période d’une vie où se côtoie une multitude d’ambivalents sentiments, les états extrêmes et brutaux se succèdent avec célérité. Sous couvert, donc, d’un récit de la rupture où vide et plein s’alternent, l’auteur scandinave nous gratifie d’un tour de force d’écriture sans détours ni ambages.

Réalisme vécu d’un littérateur exigeant un vital dynamisme !

Chouchou.

 

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