Chroniques noires et partisanes

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ENTRETIEN JACQUES-OLIVIER BOSCO pour « Laisse le monde tomber ».

Merci à JOB de m’avoir accordé un peu de son temps pour répondre à mes questions, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a joué le jeu !!

Vos livres se lisent souvent comme on regarde un bon film, avec des découpages, une chronologie très photographique, c’est voulu, ou c’est naturel et lié davantage à votre culture cinématographique ?

C’est vrai, j’emprunte beaucoup au cinéma, et particulièrement sur cet ouvrage dont l’envie était de se rapprocher autant des romans noirs des années cinquante à soixante-dix, que des films noirs de la même époque jusqu’à aujourd’hui, entre « Tchao pantin » et « Rue Barbare » jusqu’à « Rambo ». En fait, j’essaie de mélanger la langue et le visuel mais, comme tu l’as remarqué ; cinématographique. L’émotion de la prose et l’envie de faire vivre et voir la scène. C’est évidemment culturel, beaucoup de bande-dessinées en premières lectures et génération cinéma de quartier mais surtout télévision ; « Les dossiers de l’écran » (imaginez, « L’armée des ombres » diffusée sur le poste en noir et blanc dans le calme spectral du salon éteint avec, flottant devant l’écran, la volute de cigarette de mon père). Oui, culturel, intime et générationnel. On peut même dire aujourd’hui qu’une grande majorité d’auteurs de « polars » utilise cette écriture « cinématographique » qui devient un style en soi, tout en pouvant symboliser quelque chose de péjoratif et presque vexant pour les vrais amoureux de ce mélange des genres, lorsqu’à propos d’un bouquin, des chroniqueurs parlent d’une écriture très visuelle, à défaut de ! C’est pour cela que j’insiste sur le côté cinématographique où, dans ce cas, l’auteur s’attache à créer une lumière, une atmosphère sonore et même sensorielle et pour cela, il y a travail d’écriture. Pour ma part, je l’avoue, je joue (d’où l’apport culturel) sur les réminiscences – les clichés – liées à des séquences de film. Lorsque, par exemple, je veux parler d’un coin d’immeubles de cité en pleine nuit, je vais me fier à mes souvenirs et ressentis personnels (parce qu’évidemment j’ai vécu dans ce genre de cités), mais aussi, pour mieux décrire ce ressenti, à un univers du type « Sleepy Hollow », ou « Le loup garou de Londres », ou bien à « Alien » pour les passages dans les caves. Quant à « Rambo », que j’ai déjà cité, la référence est assez claire dans la dernière partie du livre.


Vous situez votre roman « Laisse le monde tomber », et ce n’est pas la première fois, dans une banlieue difficile. Au vue du contexte actuel vous n’avez pas peur d’accentuer ou de donner du crédit à certains discours ?

La banlieue c’est le sujet du roman, non parce que je voulais faire un livre sur les cités ou leurs habitants mais parce que je voulais faire un vrai roman noir. Et par tradition, la ville, ici la banlieue, est une des matières premières. J’ai été baigné de romans noirs américains mais aussi français des dernières décennies et je rêvais d’écrire quelque chose dans cette atmosphère particulière où la violence ne vient pas seulement des individus mais aussi de l’univers dans lequel ils vivent et respirent (une des autres caractéristiques de ces romans noirs est liée à la violence). Il y a bien sûr des raisons plus intimes, puisque comme tu le remarques ce n’est pas la première fois, et je tentais d’introduire cet élément au premier plan depuis assez longtemps. C’est un exercice très difficile, parce que les romans sur la banlieue font tout de suite penser à des racailles, des flics brutaux et des populations bigarrées, un univers trop connu et exaspérant pour nombre d’entre nous qui vivons non loin, pouvant donner un côté rebutant à l’envie de lire ce genre d’histoire, mais (j’espère rassurer les éventuels lecteurs) je ne voulais surtout pas aller sur ce terrain. Mon terrain, c’était de faire un polar urbain et gothique principalement axé sur les personnages. Pour mon histoire, la banlieue, plus exactement ces grandes cités en déliquescence, cela devait être un paysage, un environnement angoissant et violent, déprimant et inhumain, cela devait être ce que l’imaginaire d’un enfant suggère lorsque le train longe ces grandes tours et barres aux murs gris où, chacun doit le reconnaître, l’on n’a pas envie de se retrouver. De vivre. Cela devait être ce que c’est vraiment pour un être humain normalement constitué, qu’il soit blanc, noir, flic ou dealer. Le difficile était de ne pas stigmatiser (sans m’en rendre compte), et, aussi, de ne pas prendre parti pour les uns ou pour les autres. Le fait de choisir de jeunes policiers, mais de jeunes policiers imbibés de cette banlieue et tellement rongés par leur propre situation, en tant qu’institution et en tant que personne ayant traversé des orages, de les prendre comme reflet de cet univers permettait d’avoir un œil désabusé et cru, mais honnête, et je l’espère, empreint d’une vérité, sinon, de leur propre vérité. Pour finir sur ce sujet, s’il y a un message sur les banlieues dans ce roman, il est édicté par les quelques pensées des personnages ; à la fois univers sauvage (d’injustice, de violence haineuse et gratuite, de bêtise criminelle) et vivifiant, empli de jeunesse, d’espoir, de colère et de rage, du combat des institutions (d’hommes et de femmes), mais aussi, comme à la nuit tombée – d’où la métaphore avec la Bête des mondes gothiques -, une entité qui peut vous dévorer et vous briser, que vous y soyez né, ou que l’on vous y ait envoyé pour « protéger et servir ».

Pas de gentils, pas de méchants Mais des personnages qui ont tous des failles, même les plus horribles voient leurs crimes plus ou moins justifiés, le mal en soi n’existe pas ?

Il s’agit là aussi d’une règle du polar et du roman noir, ne pas être manichéen. En vérité, le monde d’aujourd’hui tourne si vite, et d’après, au bout d’un moment, mon expérience, les hommes et les femmes finissent par avoir des regrets, et parfois même, des remords, si l’on parle des méchants. Il y a aussi le fait que l’on ne naît pas « méchant », je ne pars pas dans une étude sociologique, mais dans le cas de ce roman, le méchant, justement, c’est la Banlieue, les guerres, l’ennui, la peur d’un avenir moche, quand aux gentils, de vrais gentils, je n’en ai jamais rencontré (smiley). Non, cela serait aussi catégorique de dire cela, mais évidemment que dans ce contexte particulier de cités, je ne pouvais pas mettre des policiers « supermen » et sûrs d’eux, seule la folie d’une jeunesse, ou le parcours d’une vie cahoteuse pouvait justifier leur foi et l’aspect religieux de leur mission. 

Pour finir, j’ai rajouté ces personnages de braqueurs « tueurs de flics » en hommage au néo-polar (Fajardie) et pour contrer le côté classique du policier héros et bandit méchant. Certes, ils sont condamnables, mais le revendiquent. C’est leur côté nihiliste qui me plaisait, qu’on retrouve aussi dans pas mal de polars noirs américains. J’avais aussi (au niveau de la trame) l’idée de reprendre le sujet du film « M le Maudit », où la pègre s’allie à la Police pour combattre un monstre (M) qui hante leurs rues (et met à mal leur bisness).

Quant à la question si le mal en soi existe, je voulais montrer dans cette fiction, et c’est aussi vrai dans la vie, que le mal se manifeste surtout au travers des victimes, de leurs ressentis, c’est peut-être une façon naïve (de ma part) de vouloir le combattre en disant ; imaginez que cela vous arrive ? On peut se trouver empli de haine et de douleur pour très peu, à la vue d’une rayure sur sa voiture, parce qu’on ne comprend pas, parce qu’on aimerait retrouver la personne et faire aussi quelque chose d’irrationnel et d’idiot. C’est le plus difficile à admettre, pourquoi s’en prendre aux faibles, aux démunis, aux innocents ? Mais plus que le mal, je parle de violence, autant intime que sociétale. Et le sujet de la banlieue revient encore ici, il y a le mal quotidien que peut créer l’architecture brutale et les conditions d’isolement, mais, en contrepartie, certains jeunes développent une violence démesurée et irrationnelle. En période de guerre (j’en parle dans le roman) la violence crée une aspiration où même les plus protégés peuvent basculer, la fameuse folie humaine dans Apocalypse Now, mais nous ne sommes pas en guerre et pourtant ce sentiment, cette envie de partir « en guerre » existe en chacun des adolescents touchés par la misérabilité et l’injustice de son monde (intime ou social), et donc, attention à l’aspiration quand « certains » se transforme en « beaucoup ». Il y a une deuxième cause malheureusement banale, l’absence de valeur, d’estime de soi, et la bêtise qui ouvrent la porte à une violence malsaine et complaisante, jusqu’à la désinhibition, il n’y a plus de volonté politique, de réaction primale ou vengeresse, il y a une autre sorte de « mal », cette fois liée à la facilité de s’en prendre au plus faible, du sadisme, de la perversion, celle d’un abruti mal dans sa peau. Ce n’est pas si simple, je ne suis ni un intellectuel ni un véritable écrivain, simplement un auteur de polar. Dans « Laisse le monde tomber », on peut dire que, s’il y a violence, il y a souffrance, frustration et peur (de l’avenir, de la situation, pour sa peau, ses proches – violence politique – cela peut s’appliquer aux forces de l’ordre dans certaines conditions) et donc il y a peut-être un moyen d’endiguer le fléau, ou de passer la serpillère derrière, mais comme dans le cas des sérial killers aux EU, il peut y avoir une violence malsaine et crade habitant des individus dérangés, ou simplement (très) trop cons, au point d’y prendre du plaisir, d’avoir la satisfaction de posséder un certain pouvoir, celui d’écraser plus faible que  soi.

Dans la même veine, il s’agit souvent de justification liée à une vengeance, JOB serait-il rancunier ?? Croyez-vous davantage en la vengeance qu’en la justice ?

La vengeance est abordée dans presque tous mes livres, tout simplement parce que j’aime que mes personnages soient au départ des personnes lambda qui basculent subitement dans l’irrationnel et le désir de faire du mal, parce qu’on leur a fait du mal (on en parlait justement), il s’agit en fait d’une primo réaction à la douleur et à l’injustice qui généralement se canalise, sauf dans le cas de personnages de romans noirs. Mais cette fois j’ai voulu décortiquer, montrer que ce n’est pas aussi simple, pour le soldat ; « qui m’a vraiment fait du mal ? », « à quoi cela sert, finalement, de se venger ?», et dans le cas de Jef « Est-ce que j’en suis capable ? », et le pire, c’est que cette idée torture le personnage. Il y a aussi Tracy, qui fonce tête baissée dans l’horreur, alors que ce n’est pas son monde, est-ce par peur, par manque, par vengeance contre autrui, ou pour se venger d’elle-même ? J’insiste aussi sur les divers degrés de ressentiments, quand par exemple Hélène se demande si ce qu’elle a vécu n’est pas bénin, finalement, comparé à ce que d’autres subissent, c’est une sorte d’automutilation, mais cela démontre à quel point la souffrance peut-être terrible quand on a été victime d’un outrage, et jusqu’à quelle aberration, et même, sentiments contradictoires elle peut mener. Cela revient au sujet du roman sur la violence, au-delà de la violence de la vie, de la ville (la société), la propre violence intime des personnages, par rapport à leur vécu et expériences douloureuses, interagit dans le roman, et bien sûr, au-delà de l’intrigue, jusqu’à la modifier.

Dans beaucoup de vos romans les femmes ont une place importante, elles sont fortes, voire dures. C’est comme ça que vous les voyez dans notre société ? Ou bien elles  doivent être ainsi pour se faire une place ?

Les femmes sont à présent du niveau de l’homme sur le plan professionnel ou des aptitudes, mais humainement, je pense, elles gardent leurs propres caractéristiques. D’ailleurs ne parle-t-on pas de la part de féminité d’un homme, ce n’est pas à cause de ses cheveux longs ou de son déhanché, mais d’une certaine sensibilité et clairvoyance (l’instinct j’y crois moins, sinon maternel). Je voulais leur faire une place dans le roman noir, à commencer par “Laisse le monde tomber”, et c’était vraiment intéressant et émouvant de jouer avec leur fragilité et leur côté bravache, alors je ne suis pas mieux placé qu’une femme pour en parler, mais c’est le rendu d’un observateur père de deux filles, dont une ado et l’autre de 27 ans. Cependant, j’écris un polar de divertissement, et donc je fabrique des personnages, des héroïnes, des femmes flics qui n’existent pas, alors je ne les vois pas « comme ça » dans la société, mais dans mes livres oui (smiley). Non franchement, je ne pense pas qu’elles doivent se faire une place, je travaille à Air France, nous avons presque autant de jeune femmes co-pilotes que d’hommes, quant aux cadres sup, c’est plus, en revanche, cela doit être dans le milieu politique où c’est plus difficile. 

Doit-on s’attendre à recroiser certains personnages, Vère, Rimbe, Tracy ?

Oui pourquoi pas ☺ Je commence à avoir une bonne bande de gangsters comme je les aime à disposition, je pourrais les mettre dans une histoire avec Le Cramé et Le Maudit, ou bien faire revenir Brutale pour les combattre (sans oublier Linda son double maléfique). Mais j’avoue que j’aime bien passer d’un univers à un autre, et le plaisir d’écrire et beaucoup dans la création de personnage (si j’avoue qu’ils accumulent les stéréotypes et ressemblances). Pour être franc, j’aimerai les voir revivre, mais sur un écran de cinéma, ou dans une BD.

Entretien réalisé par échange de mails, novembre et décembre 2019.

Marie-Laure.








BRUTALE de Jacques-Olivier Bosco / Robert Laffont, La Bête noire.

« Des jeunes vierges vidées de leur sang sont retrouvées abandonnées dans des lieux déserts, comme dans les films d’horreur. Les responsables ? Des cinglés opérant entre la Tchétchénie, la Belgique et la France. Les mêmes qui, un soir, mitraillent à l’arme lourde un peloton de gendarmerie au sud de Paris.
Que veulent-ils ? Qui est cet « Ultime » qui les terrorise et à qui ils obéissent ?
Face à cette barbarie, il faut un monstre. Lise Lartéguy en est un. Le jour, elle est flic au Bastion, aux Batignolles, le nouveau QG de la PJ parisienne. La nuit, un terrible secret la transforme en bête sauvage. Lise, qui peut être si douce et aimante, sait que seul le Mal peut combattre le Mal, quitte à en souffrir, et à faire souffrir sa famille. »

Le bouquin le plus difficile à chroniquer, et de loin, est celui écrit par un ami et JOB est un pote, épistolaire, mais un pote dans le sens où on partage certaines idées, certaines passions et colères. J’ai eu l’occasion de « bosser » un peu avec lui sur un bouquin qui n’est pas encore édité et j’ai pu voir en partie comment il fonctionne. Et en lisant ce « Brutale » j’ai bien retrouvé l’auteur de ses années Jigal avec ses qualités et parfois ses emportements ainsi que l’ apparition d’une certaine maturité dans ses choix plus affermis. Continue reading

QUAND LES ANGES TOMBENT de Jacques – Olivier Bosco / Jigal.

C’est le dernier roman en date de Jacques Olivier Bosco qui nous fait l’honneur et l’amitié d’écrire quelques chroniques chez Nyctalopes. Il a déjà de deux ans mais je crois savoir que nous allons bientôt pouvoir lire sa prose à nouveau.

Ne faites aucun rapprochement avec le court métrage de Polanski racontant les souvenirs d’une dame pipi dans le titre du nouveau roman de JOB. Les références cinématographiques sont les mêmes que d’habitude : Giovanni et les films noirs des années 70 interprétés par Delon et Belmondo.

Et même si Jacques Olivier commence par faire très fort dès le départ… mieux qu’un Concorde rempli de retraités allemands voulant s’envoyer en l’air et se gaufrant dans les abords d’un hôtel souvent utilisé pour des 5 à 7 peu glorieux, il nous offre le crash d’un Airbus A340 sur un centre pénitentiaire alsacien. Suite à ce coup d’éclat digne d’un adepte des films « testotéronés » passés de Bruce Willis, l’auteur revient vers un théâtre plus en rapport avec ces écrits antérieurs.

Moi, ce bouquin, je l’aurais bien appelé « la fête des pères » tant certains vont morfler dans leur rôle de géniteur pour des fautes qu’ils ont commises en temps qu’ hommes publics ou aussi, pourquoi pas, pour lui donner des lettres de noblesse « les péchés des pères » comme le premier roman de Lawrence Block .

« Cinq enfants kidnappés… Un truand impitoyable, Vigo, dit le Noir, condamné à perpét’ pour le meurtre de gamins qu’il nie farouchement avoir commis… Un avion en provenance de Russie qui par malheur s’écrase sur une prison… Un procès truqué, une vengeance… Un préfet assoiffé de pouvoir qui brouille les cartes, un flic déboussolé au fond du trou, un malfrat corse en rupture de ban, un cheminot alcoolo, un juge en fin de parcours, une avocate opiniâtre, des parents bouleversés mais combatifs… Et leurs cinq mômes bien décidés à survivre et prêts à tout pour s’en sortir tout seuls ! »

Alors, c’est un bon JOB même si, tant pis, cela sonne comme un pléonasme. Cent pour cent adrénaline, ce nouveau bouquin ravira les convaincus et drainera d’autres nouveaux adeptes tant la formule action, sentiments à fleur de peau, amitiés criminelles, flingues, bagnoles est une nouvelle fois bien mixée pour offrir un cocktail très addictif, très tassé provoquant une dépendance immédiate, heureusement pas trop longue, parce qu’elle implique un isolement et limite la vie sociale le temps qu’il faut pour lire les 321 pages.

Job est un passionné, un grand gosse qui veut et réussit à nous faire entrer dans son univers bizarre et obsolète si cinématographique. Et derrière cette apparence de thriller, se dressent toujours les thèmes qui lui sont chers comme l’amitié, la vraie, la paternité (il doit être un papa attentionné ou un papa qui craint de ne pas l’être assez) et une rage contre l’injustice qui font que les romans de JOB sont plus que des bons petits polars malgré l’apparence derrière laquelle ils se cachent. J’attends juste le jour où il va écrire le roman où l’action sera en retrait par rapport à une grande évocation de la paternité, par exemple.

Et puis il y a aussi les clins d’œil pour « happy few » que vous reconnaîtrez si vous traînez un peu sur les blogs de polar : les juges Maugendre, Le Nocher, Jégouzo et Lahérrère , l’hôtel de Faverolle et peut être aussi deux tueurs corses au destin tragique les frères Dominique et Christian Franzoni.

Du JOB explosif et plus cérébral malgré les apparences.

Wollanup.

MORPHINE MONOJET de Thierry Marignac/Editions du Rocher

Légende urbaine!

Déguster, je m’attendais à déguster en attaquant le roman de Thierry Marignac et je ne fus pas déçu. Dès la première phrase, l’écrivain français envoie l’encre ; « Trois mousquetaires en imper, cinq heures d’hiver, dans le jour de ces années-là, qui tombait comme un suaire. »

Toute l’histoire du livre, une jeunesse d’hiver, la mort qui rôde, mais toujours les impers, la fleur à la boutonnière.

Trois mousquetaires donc, trois petits bourgeois, fils (« perdus ») de « bonne » famille, mais aussi d’une génération dont les proches parents ont connu guerre, exode ou massacre, nous sommes en 1979, dix ans après les petits minets du Drugstore et une décennie avant la chute du mur de Berlin, les tubes de Madonna et la rage de Noir Désir. Eux c’est l’époque de « Crache ton venin » et de « London calling », même si ces jeunes-là écoutent les Stooges d’Iggy Pop, et se représentent la fin de Sid Vicious de manière philosophique, reflets de leur « obsession punk » adolescente.

On est dans le ventre de Paris, des bouges de Belleville, aux rues de la Bastille, on va à « Répu », on traine devant le Palace qui vient d’ouvrir, la boite proche du Faubourg Montmartre, chez Chartier juste en face, et au salon de thé du dernier étage des Galeries Lafayette où les grand-mères de nos trois garnements devaient les emmener goûter le mercredi. Ils ont maintenant dans les vingt ans et vivent la nuit, croisent des Tunisiens, des noirs, des blancs-becs et des braqueurs à la matraque, pas de ségrégation raciale ni même sociale, une langue commune, un objectif ; la dope.

le palace 2

Le brown sugar a supplanté la Blanche depuis quelques années, il déferle à bas-prix sur l’Europe, ce sont les années « Christiane F » (1976), la mort par overdose de Janis Joplin (1980) ou du batteur des Taxi-girl (1981). Qui traînaient sa jeunesse la nuit dans l’eau marron (teintée d’une pointe de citron) de ces années-là, ne découvraient pas le jazz ou les rythmes yéyé, mais la chaude extase et le transport d’un shoot dans le sang. Malheureusement, que l’on soit black, banlieusard, ou de Neuilly, l’héroïne, on y tombe accro, mais pour autant, il ne s’agit pas d’un roman sur la déchéance, les remords, la honte, ni même sur la joie de la défonce.

C’est un roman sur la recherche d’un combat, à en crever.

Marignac parle d’une jeunesse en ces années, trois origines différentes, arménienne, française, juive, trois caractères, mais trois mals de vivre générationnels dont j’ai parlé plus haut, traduits à une sorte de dandysme décadent, de romantisme bourgeois, et même d’un spleen que Baudelaire n’aurait pas renié. Nos parents sont riches, mais les ponts sont coupés, il n’y a pas d’études à suivre, de travail à trouver, juste des pavés à fouler. Dans la nuit. Des choses à voir, à vivre, au coin de la rue, pourtant. On se drogue, on se shoote, on veut l’extase et la chaleur de l’insouciance mais aussi l’aventure, le risque et « l’omniprésence du danger », non seulement à travers les rencontres nocturnes, les échanges lors desquels il faut ferrailler, tels des mousquetaires et chacun à leur caractère, mais aussi lors de la prise de drogue où l’on frôle l’exploit de vivre à chaque injection.

Il y a ce rapport à la mort, que tout toxico connaît (que cela soit d’alcool, de clopes ou de médocs), ce besoin intrinsèque de se détruire, une sorte de punition de vivre, de suicide latent, alors que tant d’autres sont morts, en combattant, en fuyant, en essayant de sauver leur proches. Tant d’autres qui avaient un but, même désespéré.

Personnages nihilistes à leur niveau – on retrouve le nom de Loutrel (déjà cité dans une nouvelle du même auteur), le fameux Pierrot le fou qui, plein de haine, traversa la guerre et les balles, avant de s’en planter une, comme un grand, dans l’aine.

On va suivre Al qui a piqué (non pas du nez, mais) chez une frangine des beaux quartiers une seringue emplie de morphine datant de la guerre. Dès lors, notre héros n’aura qu’une envie, s’envoyer la totale ! Sachant la poudre de cette seringue peut-être empoisonnée par le temps, ou bien, d’une pureté cadavérique.

Le shoot ultime !

La vague de Point break  (le film)!

«  Le coup de pied de mule d’une dose de légionnaire ».

La vie est un jeu, que l’on gagne ou que l‘on perde n’a guère d’importance, l’intérêt, est d’être de la partie.

Alors, il ne faudrait pas croire par ces mots que le récit est sinistre et sombre, bien on contraire, il s’agit d’un roman d’aventure, souvent d’un humour fin, avec des sentiments, de l’amour et de l’honneur, car contrairement à l’idée reçue, tous les drogués n’auraient pas tué père et mère pour un fix certains s’accrochaient à leur honneur comme un pied de nez à ce putain de manque, tant que faire se peut, il faut l’avouer, mais la volonté y était, et une belle amitié entre nos trois dandies en ressort. Car, alors qu’il n’y avait pas moyen de juger l’autre sur ses actes, la fourberie faisant partie du jeu, il fallait l’aimer pour ce qu’il était, son esprit (son humour fin, pour simplifier), et les limites qu’il s’était imposé, même si on les savait percées (tous comme ses veines) de longue date.

Les amis de Al, chacun avec leurs soucis et leurs besoins, vont quand même s’unir pour le retrouver et le sauver, ou le punir, cela dépendra du point de vue.

Thierry Marignac nous offre une belle leçon d’histoire, une saga de rue parisienne peuplée de rockers lourdauds, d’Antillais en manque, de beauté métis et de gentilshommes – ou face au flegme et à la brutalité britannique, s’impose la flemme et le cynisme français – mais aussi une réflexion sur ces sentiments qui brûlent nos jeunes années, propre à chacun, mais il y a trois, sinon plus, de personnages dans cette histoire et donc autant de ces sentiments.

Le tout avec une beauté dans le style (on reconnaît parfois l’école russe – le rire poitrinaire -), un rythme mené, un don du conte extraordinaire (la scène, et celles qui suivent, ou Al rencontre Phil est splendide), d’ailleurs, ce roman est parsemé de plusieurs de ces moments de bravoure (un mot qui plairait à Al).

Pour conclure, au delà du rythme et du suspens du récit, de l’empathie à la tendresse philosophique qui nous lie à ses personnages, Thierry Marignac manie la plume comme un fleuret, avec virtuosité, classe et raffinement, et même, souvent, avec panache. C’est un plaisir de le lire, de le suivre, tous comme nous suivons ces trois mousquetaires, qui eux, affrontent la vie à la pointe de leur aiguille.

Le roman peut paraître court, mais, tout comme Dumas pour ses mousquetaires, ces personnages, ou ces années parisiennes (vécues par l’auteur) pourraient revenir en d’autres tomes.

N’est-ce pas ?

JOB

Il y a un an, les barbares attaquaient Paris pour la première fois.

Le dimanche 15 novembre, j’ai reçu un mail de JOB expliquant notre rencontre manquée à Lamballe pour cause d’annulation de « Noir sur la ville » suite aux attentats. Etait joint un texte de colère et de chagrin.

« Je l’ai écrit en rentrant, le samedi soir, de mon périple dans les aéroports parisiens, d’avoir vu tous ces visages marqués, toutes cette sécurité subitement déployée, cela m’a fait repenser à ce qu’il m’était passé par la tête à l’époque de Cabu et des autres, et voila, je voulais le mettre sur le papier. »

« Ce qui me frappe, au delà de me rendre triste, c’est qu’ils se sont attaqués à la génération des 25/35, des jeunes, je me demande comment cela m’aurait marqué lorsque j’habitais à Paris et que j’avais le même âge, un âge où on ne vote pas, où on se moque d’être religieux, un âge où on vit, mais où on se bat, aussi. Bon, ça m’a mis la rage, et pour me calmer, j’ai lâché quelques mots. Ils lâchent leur balles ces connards, on lâche nos mots. Ce que je dis n’est que du commun, ce que tout le monde pense, mais cela m’a fait du bien. J’y pensais déjà, en janvier dernier, et je m’y suis mis. »

Il m’a autorisé à le mettre en ligne. JOB, c’est un ami épistolaire, un auteur qui ne se prend pas au sérieux mais capable aussi écrire des choses plus graves, plus profondes et je  suis personnellement solidaire de ce qu’il a écrit.

« Organisation Terroriste ou Organisation Maléfique ?

Il y a quelque chose de diabolique, de maléfique, du Mal, dans les actions de ces terroristes, et de DAESH en particulier. Ils tuent, assassinent, des adolescents, des femmes, des enfants, créent des orphelins, des mères et des pères éplorées, des frères, des sœurs meurtries, et ce, jusqu’à la fin de leur vie. Juste en appuyant sur une gâchette, alors qu’ils savent pertinemment que c’est la mort qu’ils sèment d’une manière horrible et brutale, ils l’ont déjà fait et déjà vu, sur leurs écrans et dans leurs jeux d’enfants, ils font tout ce mal, pourquoi ? Est-ce pour faire libérer des frères, des compatriotes ? Est-ce pour faire délivrer un pays, une région, une communauté ? Est-ce par vengeance après avoir été brimés, exploités ? Non, ils font cela au nom du Mal qui manipule un des plus grands Dieu, Allah, ainsi que ses prophètes qui doivent être furieux de se trouver ainsi utilisés, pour diffuser le Mal, la voix du Diable, des Mécréants !

Ce sont eux, les Mécréants !

Ils font cela parce qu’ils sont bêtes et perdus, mais bêtes et perdus au point d’avaler n’importe quoi, jusqu’à aller massacrer le jeune gars, la jeune fille, avec qui ils auraient pu boire un café quelques jours plus tôt sur cette même terrasse où le sang a formé comme un lac de douleur et d’incompréhension.

Il n’y a aucune raison à tout cela, et c’est ce qui est grave, il s’agit dès maintenant d’un combat du Mal contre le Bien.

Oui, il y a quelque chose du Mal, tuer au nom des retranscriptions et des interprétations des mots d’un Prophète mort il y a plus de deux mille ans, retranscriptions et interprétations faites par des psychopathes avides de pouvoir ! Tuer, parce que les autres ne croient pas aux mêmes choses que vous ? Si certains jeunes sont assez crétins pour sombrer à un tel niveau de connerie, qu’ils sont prêts à crever, à frapper, à insulter pour ça, ils ne méritent aucune pitié de la part du Bien. Car le Bien, c’est aussi des gens simples, des travailleurs, des immigrés, des chômeurs, des chrétiens, des juifs, des musulmans, des athées, qui donnent des leçons de vie à leurs enfants, parce qu’ils savent que la société (le « vivre ensemble » des démocraties) a été faite pour qu’ils soient protégés autant que possible, et puissent vivre convenablement.

Le Mal, le Bien, ce n’est pas une question de foi, d’éducation ou d’intelligence, c’est une question de méchanceté ou d’amour, de son frère, de sa sœur, de sa mère, son père, de ses congénères. D’une conscience humaine, normale, ou d’une déviance de petits merdeux mal-baisés et mal-aimés parce que trop peureux, pleutres et trouillards pour affronter la vraie vie, le monde qui les a fait naître, des moutons qui ont besoin d’être commandés, dirigés, qui sont contents quand quelqu’un leur donne l’ordre de manger ceci ou cela, de se laver comme-ci, d’aller chier ou pisser de telle ou telle manière, de baisser leur pantalon en baissant les yeux, de vivre dans la crainte de je-ne-sais-pas-quoi ( c’est quoi, franchement cette fameuse Crainte ?), parce que la vraie vie, c’est après, quand t’es mort !

Et d’aller tuer des adolescents parce qu’on leur a dit que quelqu’un a dit à quelqu’un qu’un Prophète avait discuté des heures et des heures avec un Dieu et qu’il s’était chargé de retransmettre son message sur le «  Pourquoi sommes-nous sur terre », parce que, petit mouton, tu es trop con pour le deviner tout seul ! Tu es trop con pour ouvrir le vrai Coran et lire les vrais mots mis par des Imams reconnus par les anciens, des scientifiques, des professeurs, des hommes de sagesse et de paix, le vrai Islam que pratiquent des centaines de millions de vrais musulmans, mais cela serait eux qui auraient tort et ta petite secte de tueurs qui aurait raison ? Ce sont eux qui ont compris qu’avoir la foi, c’est tuer des gens qui rient à la terrasse d’un café, assassiner des jeunes qui dansent, torturer des villageois qui veulent juste rester libres de leur choix, et abuser des femmes et des enfants ?

C’est ça, avoir la foi ?

Ce ne sont pas que des petits moutons, ce sont aussi des abrutis, et des charognards. Des charognards qui assassinent leur propre mère.

Qui assassinent leurs propres enfants !

Qui assassinent le monde dans lequel une grande majorité de gens tentent de vivre ensemble, en sachant pertinemment (mot dérivé de l’intelligence) qu’il y a des différences entre les uns et les autres. Et oui… et eux, c’est quoi leur solution ? On tue tout ce qui est différent ! Donc, là, si on n’a pas compris qu’il y a un vrai problème qui va au delà de la religion, et même, du terrorisme, que l’on se trouve face à des détraqués qui n’ont d’humain que l’apparence physique, c’est qu’on a le cerveau d’un mouton.

À présent, ce message s’adresse à tous les pays, les entreprises, les hommes et les femmes qui ont soutenu, et qui soutiennent, qui ont vendu des armes, des vivres, qui ont acheté du pétrole, échangé, commercé, avec ce soi-disant « état », qui est en fait une Secte du Mal inventée par des hommes avides de pouvoir et de jouissance sur autrui, avides de faire le Mal, une base de Mécréants, une organisation Maléfique. Il n’y a pas de géopolitique, d’enrichissement personnel ou étatique, de trafic ou de prise de position dans une soi-disant guerre, il n’y a que le Bien et le Mal, et il est maintenant temps, pour des tas de gens, de choisir leur camp.

Faites-vous partie des êtres humains qui espèrent un monde vivable pour leurs enfants et petits enfants, ou faites-vous partie des psychopathes ravis de trancher des têtes et de rabaisser les femmes, ravis de forcer des enfants à se tuer en tuant d’autres enfants ?

Quel monde voulez-vous ?

Vous croyez avoir du pouvoir en aidant le Mal ?

Vous enrichir ?

Vous croyez qu’ils ne vous manipulent pas ?

Le Mal se moque de l’argent.

Vous êtes, vous aussi, les petits moutons indirects du SDESI, le Soi Disant État Islamique.

Vous êtes, vous aussi, des charognards.

Il faut que le monde et les « élites » soient tombées bien bas pour qu’afin de gagner quelques millions de dollars de plus, elles soient à présent obliger de pactiser avec la chienlit, le Mal le plus absolu. D’ aller récupérer, « gagner », des dollars qui sentent la peur et la mort, qui sentent la merde ! Les costumes que vous vous achetez, le caviar que vous mangez, la femme que vous emmenez au restaurant, voilà à quoi cela ressemble ; à des corps décharnés, déchiquetés, ensanglantés, des boyaux troués, des viscères étalées sur le sol d’une salle de bal.

Des corps de jeunes filles et de jeunes garçons qui voulaient juste chanter, crier et danser, s’éclater, qui voulaient juste s’amuser.

Pour les charognards, il est interdit de s’amuser. Et pour nous, et bien… fini de s’amuser.

On est triste.

Tristes et furieux ! »

JOB, dans le ciel de France, le 14 novembre 2015.

 

 

 

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