Chroniques noires et partisanes

Étiquette : joachim b. schmidt

KALMANN ET LA MONTAGNE ENDORMIE de Joachim B. Schmidt / La Noire/ Gallimard.

Kalmann under der schlafende berg

Traduction: Barbara Fontaine

« Pour la première fois de sa vie, Kalmann Óðinsson a raté le feu d’artifice du Nouvel An à Raufarhöfn, petit port islandais tout proche du cercle polaire arctique. Car son père biologique l’a invité chez lui, aux États-Unis, pour qu’il rencontre son autre famille. Mais Kalmann, shérif d’honneur et cœur simple de son village qu’il n’avait jamais quitté, se laisse embarquer par son oncle américain et quelques-uns de ses copains chasseurs dans une drôle d’histoire, le 6 janvier 2021, à Washington…
Et le voilà maintenant dans une salle d’interrogatoire du FBI, ignorant encore que l’aventure américaine jouera les prolongations quand, de retour au pays, il sera appelé à enquêter sur le passé de son cher grand-père, notoirement communiste et vraisemblablement assassiné… »

Quelle joie de retrouver Kalmann Óðinsson, dont les premières aventures extraordinaires nous avaient tant enchantés en 2023, dans une première épopée située dans le trou du cul de l’Islande à Raufarhöfn, village fantôme sinistré comme tant d’autres par une sale affaire islandaise de brevets de pêche.

Souvent, grâce au talent des auteurs, on peut prendre le train en marche dans une suite romancière mais là, à mon avis, ce serait catastrophique. D’une part parce que vous rateriez un roman exceptionnel et fort drôle (juste sorti chez Folio) entre tradition et modernité, étoilé d’une certaine magie, et d’autre part parce que vous n’auriez jamais ce rare de moment de stupéfaction qui s’empare du lecteur quand il apprend, en tout début de roman, que notre gentil neuneu, un gaillard de 35 ans avec un cerveau même pas valide pour s’en sortir en CP, est à Washington pendant l’évènement le plus honteux de la démocratie aux USA au XXIème siècle. Kalmann impliqué et arrêté par la police, interrogé par le FBI ? Comment ce brave Kalmann peut-il se trouver là ? Et vous foncez vous isoler pour tenter de comprendre.

Voilà le talent de Joachim B. Schmidt, Suisse, ayant découvert l’Islande lors d’un voyage scolaire et qui est ensuite retourné très vite y vivre. On retrouve le décor local si populaire jusqu’à l’indigestion sur les étalages des librairies françaises, mais on découvre surtout une certaine folie et un humour ravageur totalement inconnus chez les autochtones. Peut-être que le climat n’incite pas trop à une certaine fantaisie, allez savoir. Pour notre plus grand bonheur, Kalmann reviendra sur ses terres assez rapidement après un épisode antiaméricaniste si primaire et de si mauvaise foi qu’il en devient très réjouissant. Il nous en resservira une seconde couche dans une enquête pour réhabiliter la mémoire de son grand-père que Kalmann entreprend avec ténacité tant la perte de celui qui l’a élevé lui est douloureuse. Et après Kalmann contre le FBI, nous découvrirons Kalmann contre la CIA… En fait nous lisons Kalmann contre l’Amérique, rien de moins !

Affinant son personnage si joliment esquissé dans le premier roman, Schmidt, fait apparaître d’autres aspects plus sombres de sa personnalité, de sa vie. Si le ton général est toujours à la comédie, à des quêtes du Graal dérisoires mais précieuses, la gravité est également plus présente, les misères sociales plus évidentes, les plaies du cœur plus visibles. Mais Kalmann, l’homme qui a tué un ours polaire, qui met une volée à tous les services secrets US qui l’approchent, n’est pas à un exploit près.

Le précieux rayon de soleil au cœur de l’hiver viendra d’Islande cette année.

Clete.

KALMANN de Joachim B. Schmidt / La Noire Gallimard

Kalmann

Traduction: Barbara Fontaine

“Raufarhöfn, petit port islandais tout proche du cercle polaire arctique, décline lentement mais sûrement depuis que les quotas de pêche ont été imposés. Dans ses rues désolées, Kalmann Óðinsson déambule, paré de son étoile et de son chapeau de shérif, portant fièrement à la ceinture le mauser légué par un père américain jamais vu. Kalmann est le cœur simple du village, pêcheur de requin émérite apprécié de tous. Un matin tout blanc, parti chasser le renard, il découvre une grande tache de sang qu’absorbent les flocons. Est-ce du sang humain ? Or l’homme le plus riche du village, Róbert McKenzie, a disparu depuis quelques jours. La police débarque et Kalmann, témoin vedette, se retrouve sur la sellette.”

Et comme dab, ce sont les romans dont on n’attend mais alors vraiment rien qui procurent souvent les plus grands plaisirs de lecture et nul doute que Kalmann est une sublime surprise.

Vous je ne sais pas mais en ce qui me concerne l’Islande à toutes les sauces comme ça l’est depuis quelques années, ça commence à me donner des boutons. Pour un Indridasson combien de -Son et de -Dottir à chier usant des mêmes ficelles d’un soitdisant esprit Nordic Noir aussi crédible dans son unité que le rural noir ricain qu’on nous vante aussi parfois de manière bien exagérée. L’Islande, un pays de 300 000 âmes où on naît aujourd’hui avec un stylo à la main pour vendre des histoires bien glaciales aux Français qui les adorent. Paragraphe inutile j’en conviens mais néanmoins révélateur de mon envie d’aller errer une fois de plus sur ce caillou battu par les vents et maudit des dieux.

Le pays a peut-être  beaucoup de charme et il a beaucoup séduit Joachim B. Schmitt l’auteur suisse tombé amoureux de l’île et qui réussit ici un roman sincère, beau, tendre et dur, intelligent et complètement barré autour d’un personnage extrêmement attachant Kalmann qu’on prend au départ comme un ado un peu à l’ouest avant de comprendre qu’en fait il est, en gros, l’idiot du village et qu’il a une trentaine bien avancée. Protégé, souvent de manière un peu condescendante par sa communauté de 150 âmes qui tente de survivre aux quotas rendus nécessaires après des décennies de pêche sauvage. A ce propos, on ne saurait trop vous conseiller la série Arte sur le thème de la privatisation de la pêche en Islande dans les années 80, Blackport. Alors, sûr, en France aujourd’hui, on a d’autres priorités actuellement que les quotas islandais et je peux envisager votre manque d’engouement mais ce mélange de tragédie et de comédie burlesque est particulièrement jouissif et on y retrouve beaucoup de ce qui fait le bonheur du roman de Schmidt. Dans les deux œuvres, on sent une spécificité des communautés de pêcheurs en Islande que je n’avais pas perçue avant.

Kalmann navigue entre ethnologie et sociologie de ce petit village, Raufarhöfn, qui existe réellement tout au nord du pays et qui dans les années 40 et 50 était le principal port de pêche exportateur de l‘île. Existe aussi le Stone Heng  cet espèce de monument inachevé érigé pour attirer des touristes… où Kalmann, chassant un renard polaire qui s’approche trop près des habitations découvre cette mare de sang et cela au moment où on recherche l’homme le plus riche du village, Róbert McKenzie, qu’on soupçonne d’avoir vendu son quota de pêche à un autre port signifiant la mort du village. La dernière fois qu’on l’a vu un matin il errait, divaguait à moitié nu et complètement bourré. Beaucoup auraient de bonnes raisons de l’éventrer comme un cabillaud. Kalmann se retrouve bien malgré lui au cœur du mystère. L’enquête policière commence car ne l’oublions pas, nous sommes bien dans un polar ou peut-être plutôt dans un magistral conte noir embelli par la tendresse dégagée par ce Kalmann bien démuni depuis le départ en maison de retraite de son grand-père, son idole, sa seule référence paternelle.

La Noire veut promouvoir des écrits un peu différents des autres productions noires, à la périphérie du genre et s’il y a eu des crashs mémorables par le passé comme avec le très crypté Les larmes du cochontruffe qui peut-être délivre sa vérité ou un once de sens après une bonne absorption de champis, force est de reconnaître que la collection envoie maintenant, à chaque fois, du très lourd. 

On peut se demander ce qui séduit le plus dans ce roman. Est-ce ce récit entre tradition avec cette communauté de pêcheurs solidaire, la pêche ancestrale et des mets effroyables d’un autre monde avec le requin du Groenland, les ours polaires que certains pensent avoir aperçus et la modernité avec des immigrants lettons dont on se méfie, des quotas de pêche précieux, la perte des services publics, des tonneaux remplis de cannabis et de cachetons, un village en train de crever? Sont-ce les personnages attachants et tous un peu barrés avec une mentalité fière et indomptée qu’on attribue souvent aux îliens de toutes les mers ? Est-ce une résolution de l’enquête policière tout à fait originale et particulièrement terrible ?

Peut-être un peu de tout cela et également certainement la plume très juste de Joachim B. Schmidt mais surtout, surtout il y a Kalmann et je vous promets qu’il y a très, très longtemps que je n’avais pas rencontré un si beau personnage de roman provoquant avec le même bonheur l’hilarité comme l’émotion et qui peut-être bien vous fera échapper une petite larmichette à la fin. Le genre de bouquins que vous quittez avec tant de regrets.

Du bonheur !

Clete.

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