Chroniques noires et partisanes

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LES AMAZONES de Jim Fergus / Le Cherche Midi.

Strongheart

Traduction: Jean-Luc Piningre

Lorsque les Mille femmes blanches ont débarqué en France, il y a maintenant vingt ans, impossible d’envisager une suite à ce roman qui a tant fasciné les lecteurs français : le personnage principal meurt à la fin du récit. Et pourtant, en 2016, après avoir écrit d’autres romans, Jim Fergus revient en territoire Cheyenne en nous délivrant La Vengeance des Mères : le pas avait été franchi.

Ce qui au départ devait être un roman indépendant est devenu une trilogie bouclée cet automne par le dernier opus, Les Amazones.

Ce dernier ouvrage cache pas mal de surprises alors je ne vais pas rentrer dans les détails, il faudra que vous découvriez par vous-mêmes ! Ce que je peux faire en revanche, c’est vous dire pourquoi il faut lire, offrir, vous offrir les romans de Jim Fergus.

Son intérêt et la passion pour la culture des Indiens d’Amérique sont nés à l’époque de l’adolescence, lorsqu’il passe des mois à voyager avec son père à travers l’Amérique et découvre avec stupéfaction les réserves d’Indiens. La conquête des Blancs et ses conséquences sur les peuples autochtones n’étaient pas enseignées à l’école, aussi le jeune Fergus s’imaginait-il des tribus vivant toujours en liberté et chassant le bison. Que nenni. La réalité des choses le frappe et reste pour lui un sujet brûlant dont il finit par s’emparer en commençant à écrire.

Malgré les nombreuses légendes, l’échange des mille femmes blanches contre mille chevaux n’a jamais existé. Par contre cette intrigue permet à Fergus de faire un gros état des lieux sur la situation des femmes en cette fin de XIXe siècle aux Etats Unis : à certains égards la parole d’une femme valait autant que celle d’un Indien ou d’un Noir aux yeux de la « bonne société blanche ». Romans féministes, certes, les récits de Fergus parlent aussi d’esclavage – à travers le personnage de Phemie, « Black White Woman » – ou d’homosexualité (Hélèn et Lady Ann). Il n’y a aucun tabou et si son talent de conteur est capable d’embarquer même le lecteur le plus réfractaire, les valeurs humanistes que ses récits transportent font de lui l’une des voix les plus importantes de la littérature américaine.

Pas de tabou non plus quant à l’image des Indiens : loin de Fergus la volonté d’en parler comme d’un peuple uni, soudé et homogène. Cette vision idéaliste (et assez touristique) des choses ne correspond pas à la réalité historique. En évitant l’image d’Epinal du « bon sauvage », Jim Fergus montre qu’il a été journaliste avant d’être écrivain et prouve par la même que la fiction, aussi romanesque soit-elle, ne doit pas faire fi des faits – surtout lorsqu’il s’agit d’un contexte et un sujet aussi délicats.

Pour finir, avec Les Amazones la boucle est véritablement bouclée : le personnage de Molly Standing Bear est le prétexte pour faire un point sur la situation des Indiens d’Amérique aujourd’hui. Dramatique dites-vous ? A ce sujet l’article de Fergus paru dans l’avant-dernier numéro de la revue America est assez révélateur (comme par ailleurs ce numéro dans son intégralité).

Avec Les Amazones Jim Fergus prouve que les suites ne sont pas nécessairement « moins bonnes », en ce qui me concerne je crois, au contraire, que c’est mon préféré. A cause de Molly Standing Bear. Lisez, vous verrez !

Monica.

LA VENGEANCE DES MÈRES de Jim Fergus au Cherche midi

Traduction : Jean-Luc Piningre.

Jim Fergus, après plusieurs romans et des récits, écrit la suite de « mille femmes blanches », son premier roman qui a connu un grand succès. Il n’avait à l’époque pas envisagé d’en écrire une suite, mais après être revenu dans l’Ouest qui lui manquait, il a commencé à penser à ses trois survivantes… Pendant ses recherches, il a également été inspiré par la photo de la couverture, celle de Pretty Nose, un des personnages du roman qui a réellement existé et s’est battu à la bataille de Little Bighorn. Près de vingt ans plus tard, il revient donc en territoire cheyenne au XIXème siècle et son histoire commence où « mille femmes blanches » s’était arrêté. Et finalement, bonne nouvelle pour les amateurs, ce sera une trilogie !

« 1875. Dans le but de favoriser l’intégration, un chef cheyenne, Little Wolf, propose au président Grant d’échanger mille chevaux contre mille femmes blanches pour les marier à ses guerriers. Grant accepte et envoie dans les contrées reculées du Nebraska les premières femmes, pour la plupart « recrutées » de force dans les pénitenciers et les asiles du pays. En dépit de tous les traités, la tribu de Little Wolf ne tarde pas à être exterminée par l’armée américaine, et quelques femmes blanches seulement échappent à ce massacre.

Parmi elles, deux sœurs, Margaret et Susan Kelly, qui, traumatisées par la perte de leurs enfants et par le comportement sanguinaire de l’armée, refusent de rejoindre la « civilisation ». Après avoir trouvé refuge dans la tribu de Sitting Bull, elles vont prendre le parti du peuple indien et se lancer, avec quelques prisonnières des Sioux, dans une lutte désespérée pour leur survie. »

J’avais tellement aimé « mille femmes blanches » que j’appréhendais la lecture de cette suite et s’il n’y a plus la surprise de la découverte, le charme fonctionne encore et j’ai replongé dans ce monde pourtant bien noir avec bonheur. L’écriture de Jim Fergus n’y est pas pour rien, c’est un conteur hors pair ! Il a également su éviter l’écueil de la redite, il s’attarde moins sur l’adaptation des nouvelles femmes aux mœurs indiennes, facilitée par la présence de celles qui ont survécu et plus sur l’ambiance qui est différente : la guerre se prépare, une guerre totale dont les Indiens savent bien qu’ils ne peuvent sortir vainqueurs mais qu’ils ne peuvent refuser sans renoncer à leur liberté.

Le programme « femmes blanches pour les Indiens » a été interrompu. On a trouvé de l’or dans les environs et le gouvernement juge préférable d’expulser tous les Indiens de ce territoire pourtant promis, l’heure n’est plus à l’intégration mais à l’extermination. Néanmoins le deuxième convoi de femmes est parti par erreur de l’Est et les « nouvelles » sont arrivées dans leur tribu, vivantes pour la plupart malgré un massacre en route. Toutes arrivent avec des destins tragiques, il fallait forcément être au désespoir pour accepter de partir chez les sauvages !

Jim Fergus nous livre encore une fois de beaux portraits de femmes qui ont toutes une force extraordinaire. Toutes ont été victimes de la toute-puissance des hommes de ce XIXème siècle : exploitées, maltraitées, internées, sans droits, sans voix. Elles n’ont rien à retrouver dans leur ancien monde et se lancent dans la bataille juste pour une vie plus libre avec un peu de reconnaissance. Parmi les survivantes certaines ont tout perdu et ne pensent qu’à se venger : les jumelles, Phémie, Pretty Nose, d’autres, comme Martha ont été brisées pour de bon.

C’est à deux de ces femmes que Jim Fergus donne la parole par le biais de leur journal intime : Margaret Kelly, une des jumelles survivante du massacre du village ivre de vengeance et Molly McGill ancienne institutrice emprisonnée pour meurtre qui commençait juste à s’autoriser à vivre. C’est par leurs yeux qu’on découvre leur histoire à toutes. C’est leurs voix qui nous racontent la guerre, la cruauté des hommes, la cupidité, la folie du pouvoir, la douleur du deuil, la soif de vengeance…

Jim Fergus raconte le dernier sursaut victorieux des Indiens avant l’effondrement prévisible de leur civilisation, la bataille de Little Bighorn. Les Indiens, les femmes sont les perdants et les oubliés de l’histoire pourtant malgré la douleur et le désespoir, la force de ces femmes plus tournées vers la vie que vers la mort donne finalement à ce livre une lueur d’espoir.

Très beau !

Raccoon

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