Il est étrange de lire les mémoires d’une personne qui a participé à mon éducation musicale. J’ai lu les Inrockuptibles pendant une dizaine d’années (du numéro trois jusqu’à la fin des années 90), après plus sporadiquement puis quasiment plus du tout. J’y ai fait de nombreuses découvertes, j’y ai forgé ma culture musicale, grâce à lui, JD Beauvallet et à quelques autres, Christian Fevret, Emmanuel Tellier, etc.
J’ai découvert, grâce aux tirs croisés de Bernard Lenoir à la radio et des Inrockuptibles, des tas de groupes, dont, au premier rang les Pixies et les Breeders, Dinosaur jr, Massive Attack, PJ Harvey, Björk et bien sûr Wedding Present, Miossec et Dominique A, sans oublier les vétérans du Velvet Underground et des Byrds pour les ancêtres ; et tant d’autres que j’oublie ou que j’ai remisé bien loin dans ma mémoire. Quand d’autres magazines hautains et sentencieux comme &#$*’n F{<|| s’extasiaient sur les derniers Genesis ou Supertramp, eux parlaient de gens qui me ressemblaient, et la solitude était d’un coup plus ensoleillée.
Je ne compte pas le nombre de disques achetés souvent sur la foi de quelques lignes imprimées, aussi justes qu’abstraites, de quoi nourrir une insatiable curiosité.
“Les premières années aux Inrocks, nous sommes si fiers d’avoir des bureaux que nous y passons notre vie. S’y jouent d’interminables blind-tests. Chacun vient avec ses disques cultes et les fait découvrir aux autres. Je me souviens du choc en entendant pour la première fois Tim Hardin ou The Zombies. Nous sommes des éponges. Chacun enrichit l’autre jusqu’à ce que le dernier ferme la porte. Et la discussion reprend, enragée, sur le trottoir, avant que nos chemins ne se séparent enfin sur un joyeux « à demain ». Car demain serait pareil : entièrement dédié à la musique, à la découverte, à l’échange.”
Les premiers chapitres de « Passeur » sont ceux de l’enfance, de l’adolescence et des grandes découvertes, parfois drôles ou touchants. Dès qu’arrive la musique, l’écriture se fait plus pétillante, pressée de raconter. Chaque chapitre démarre sur un sujet, une ville, un artiste puis dévie, comme une conversation entre potes. Chaque page est l’occasion de ressortir au moins un album, et d’en découvrir deux autres !
Son enthousiasme n’est en rien émoussé par le temps. Il suffit de lire les passages sur les Smiths et les Stone Roses par exemple, ou sur le hip-hop, pour se rendre compte qu’il est un amoureux fervent du rock, de la musique. Ces phrases sont les plus belles du livre.
JD Beauvallet est aussi un homme sans qui. Quand « Boire » sort en 1995, il en a déjà fait la promo dix fois avec la cassette de démos envoyée par un Miossec sans maison de disques. Ces pages restent malgré tout modestes, il est, comme Miossec, là par accident, s’excusant presque.
Il n’y a jamais de nostalgie dans tout ça, ni dans son écriture, ni dans ma lecture. Le temps qui passe suffit. Et le plaisir de lire, probablement d’écrire aussi.
Beauvallet est l’anti-Manœuvre, ce Lester Bangs de pacotille, et c’est très bien comme ça. « Passeur » est donc à poser sur l’étagère à côté des « Coins Coupés » de Philippe Garnier et du « Sur Le Rock » de François Gorin.
NicoTag
Avec un tel livre il est difficile de choisir un groupe ou un titre, une playlist de cent morceaux ne serait même pas exhaustive. Alors en voici un choisi chez Sarah Records.
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