Chroniques noires et partisanes

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LE CHÂTEAU DE BARBE BLEUE de Javier Cercas / Actes Sud

El Castillo de Barbazul

Traduction: Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon

“À la gare routière de Gandesa, Melchor Marin attend, fébrile, que sa fille descende du car en provenance de l’aéroport de Barcelone. Hanté par la mort de sa femme, il a quitté la police pour animer la bibliothèque du village de Terra Alta, où il a refait sa vie, et le bonheur de Cosette est son seul cap ; mais elle ne fait pas partie des passagers. Ayant découvert que c’est l’inflexible sens de la justice de Melchor qui a causé la mort de sa mère et non, comme on le lui a toujours dit, un chauffard anonyme, la jeune fille, rongée par la colère, entend couper les ponts, du moins provisoirement, et prolonger son séjour aux Baléares. Le lourd silence qui s’installe entre eux ne tarde pas à réactiver les antennes de l’ancien policier. Sa fille est en danger, il le pressent. Pour la sauver de ses prédateurs et d’elle- même, il faut investir l’antre du Château de Barbe-Bleue, l’exubérante villa qu’un multimillionnaire suédois a bâtie à Formentor pour régaler en « chair fraîche » la jet-set internationale et les notables de l’île. C’est là, dans une pièce mieux surveillée qu’un réacteur à fusion nucléaire, que reposent toutes les preuves pour faire tomber le réseau.”

Le château de Barbe Bleue est le dernier volet d’une trilogie policière de l’auteur espagnol Javier Cercas. Brillamment initiée par Terra Alta qui donne son nom à l’ensemble et poursuivie par l’excellent Indépendance, l’histoire se termine par ce dernier opus, très loin de cette fameuse Terra Alta dont est originaire Melchior le héros qui quitte sa retraite paisible pour les sulfureuses Baléares.

Javier Cercas consacre une grande part de la première partie à conter les événements précédents de la geste de Melchior pour les nouveaux lecteurs mais ces derniers seraient bien avisés de prendre cette trilogie dans l’ordre. D’une part pour une meilleure compréhension de l’œuvre et mieux cerner son héros Melchior mais aussi parce que les deux premiers tomes étaient, à mon avis, bien plus inspirés et prenants, voire parfois poétiques.

Il est évident que si on a apprécié les deux premiers volets, il sera difficile de faire l’impasse sur cette fin. L’écriture reste impeccable bien sûr mais les retours sur le passé de Melchior assez inutiles plombent un peu le rythme du roman dans sa première partie. On a fait un long saut dans le temps puisque le roman se déroule en 2035 mais uniquement pour que Cosette ait l’âge de se faire emmerder par des vieux dégueulasses… Effet “Me Too” dans l’esprit de Cercas qui a eu envie de se rapprocher d’une actualité contemporaine sale genre Jeffrey Epstein ? La deuxième partie est beaucoup plus dynamique mais il semble que l’on perde un peu le Melchior qu’on a connu et aimé, reconverti en une espèce de James Bond… On comprend la colère paternelle, la rage mais tout cela donne au final l’impression de lire un thriller un peu opportuniste, de très grande consommation comme il y en a tant et ce n’est pas le final, certes étourdissant, qui fera changer d’avis.

Fin de cycle.

Clete.

INDÉPENDANCE de Javier Cercas / Actes Sud

Independencia

Traduction: Aleksandar GRUJICIC et Karine LOUESDON

L’an dernier, Javier Cercas, l’auteur espagnol mondialement reconnu, s’était aventuré dans le polar avec Terra Alta, premier roman d’une trilogie éponyme. Si Terra Alta fut une belle réussite, l’auteur espagnol et son héros tourmenté le flic Melchor Marin, grand passionné de l’œuvre de Victor Hugo, reviennent beaucoup plus forts aujourd’hui.

“Melchor quitte provisoirement sa Terra Alta d’adoption pour venir prêter main-forte aux services de police de Barcelone dans une affaire de tentative d’extorsion de fonds basée sur l’existence présumée d’une sextape. L’enquête doit être menée avec célérité et discrétion car la victime est la maire de la ville.”

Alors, bien sûr, l’idéal est de commencer par le premier tome Terra Alta pour bien comprendre qui est Melchor, son passé tragique, ses errances et la délivrance offerte par la découverte de la lecture quand il était en prison. Mais, on peut très bien aborder l’histoire et l’homme avec Indépendance. Quand l’histoire criminelle va croiser les blessures non cicatrisées de Melchor, vous aurez suffisamment appréhendé l’homme pour comprendre parfaitement ses agissements, licites et parfois illicites. Sachez-le, l’homme ne dédaigne pas régler ses affaires sans passer par la voie officielle. Melchor a des méthodes de persuasion que tous les maris violents qui croisent sa route et ses poings trouvent frappantes, pour ne citer qu’un exemple, vous aurez tout le plaisir de partager le reste à ses côtés dans les rues de Barcelone.

Indépendance, pour moi, dépasse un Terra Alta pourtant brillant juste ampoulé parfois par trop de pages sur les démons intérieurs du protagoniste. Terra Alta, au fin fond de la caillasse de Tarragonie ancrait une histoire criminelle dont les fils nous ramenaient au temps sombres de la guerre civile. Melchor prenait parfois trop de place par rapport à l’enquête. 

Situé à Barcelone introduisant Melchor en digne successeur du Pepe Carvalho de Manuel Vázquez Montalbán, Indépendance, est, lui, un vrai polar d’investigation doublé d’une critique acerbe des familles historiques qui dirigent la Catalogne et Barcelone depuis de nombreuses décennies et dont l’un des derniers faits d’armes fut la tentative d’indépendance de 2017. On suit cette caste par l’histoire de trois petites ordures, fils des nantis, se croyant au-dessus des lois il y a vingt ans et les établissant à leur profit aujourd’hui.

“-Mon père disait que la Catalogne a toujours été entre les mains d’une poignée de familles. Ce sont elles qui décidaient de tout avant le franquisme, qui ont décidé de tout pendant le franquisme, qui ont décidé de tout après le franquisme, et qui décideront de tout quand toi et moi on sera morts et enterrés… L’argent, c’est une chose magique, une chose immortelle et transcendante. L’argent, c’est dément. C’est quelque chose de bien plus fort que le pouvoir, parce que le pouvoir en dépend. En plus, l’argent survit à tout, y compris lorsque le pouvoir change de mains. Eh bien, mes trois amis font partie de cette poignée de familles catalanes.”

L’intrigue, une histoire de sextape, objet de chantage, mouais, navrant certainement pour la victime, maire de Barcelone mais il n’y a pas mort d’homme… On peut redouter que le propos criminel soit juste une excuse afin de permettre à Cercas de tirer tout son saoul  sur le pouvoir catalan, les élites et édiles barcelonais (enfin presque tous, pas un seul mot sur Manuel Valls !). Mais, très rapidement, par les relations qui lient certains acteurs de la sextortion, on passe dans une autre dimension. Vous comprendrez très vite le côté pervers de l’intrigue aidé par un procédé littéraire malin qui permet au lecteur d’en savoir presque autant voire plus parfois que les enquêteurs. Ainsi, on se confronte, on se frotte aux hypothèses de Melchor, de ses collègues, les comparant aux nôtres pour finir dans le même hébétement qu’eux quand survient un coup méchamment tordu dans la dernière partie.

Une belle maîtrise pour un grand polar.

Clete

Bilan 2021 / Clete Purcell

Bon, quand on fait l’inventaire, 2021, dans la vie comme en littérature, c’était loin d’être génial même si le pire est peut-être encore à venir. Bref, au niveau polars et littérature noire de manière plus générale, de la quantité pour rattraper 2020, première année de gouvernance du COVID, mais du coup quelques foutages de gueule et certainement beaucoup de bouquins restés dans l’ombre, noyés dans la masse.

Néanmoins la qualité était parfois au rendez-vous et ces dix romans en provenance de Belgique, Irlande, Pologne, Espagne, USA, Australie et France, ces dix coups de cœur, ces bons coups de latte le démontrent haut la main. Chronologiquement…

MANGER BAMBI de Caroline De Mulder / La Noire Gallimard

 « Et petit à petit, à l’effarement et à l’irritation provoqués par les agissements barges des gamines succède une autre lecture, celle du mal être, de l’abandon, de la difficulté de la création de la personnalité quand on n’a aucun modèle autre que ceux proposés par les réseaux sociaux ou MTV, les affres et le drame des gamins abandonnés à leurs peurs. »

TRAVERSER LA NUIT de Hervé Le Corre / Rivages

“TRAVERSER LA NUIT est l’exemple du roman noir parfait ».

UNE GUERRE SANS FIN de Jean-Pierre Perrin / Rivages/ Noir

« Rejoignant parfois “Pukhtu” de DOA dans sa réflexion sur la guerre et sur les hommes et les femmes qui la vivent et la subissent, “ Une guerre sans fin” est un putain de grand roman.« 

NE ME CHERCHE PAS DEMAIN de Adrian McKinty / Actes noirs

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« Sean Duffy, un peu intello, un peu alcoolo, un peu toxico et néanmoins peu chargé des poncifs traditionnels et finalement assez irritants des policiers de papier est un personnage en tous points réussi et c’est bien volontiers qu’on le suit dans cette nouvelle enquête. »

ÉBLOUIS PAR LA NUIT de Jakub Zulczyk / Rivages

“ Éblouis par la nuit” est un roman magnifique. Du grand noir écrit intelligemment, du très lourd. Gros, gros coup de cœur.« 

TERRA ALTA de Javier Cercas / Actes Sud.

« Les habitués de Cercas seront en terrain connu avec la continuité des thèmes majeurs de son œuvre: la justice, la vengeance, le pardon, la guerre d’Espagne. On retrouve tout cela au service d’un roman noir et le résultat est très emballant. »

LE SYSTÈME de Ryan Gattis / Fayard.

« Ryan Gattis, sans aucun doute, le meilleur du polar américain actuellement. »

LA CITÉ DES MARGES de William Boyle / Gallmeister

 « William Boyle a écrit un bien beau roman, tout en empathie, respect et délicatesse. »

SARAH JANE de James Sallis / Rivages

« Toute l’oeuvre de Sallis explore le grand thème de la solitude des êtres, leur cruelle confrontation solitaire à des situations qui les dépassent. Si le propos est lourdement triste,  méchamment mélancolique, on voit néanmoins le malin plaisir que prend Sallis à nous égarer, à nous aveugler, à nous renseigner, à nous interroger, à nous faire hésiter. « 

MURMURER LE NOM DES DISPARUS de Rohan Wilson / Albin Michel

« On peut décemment évoquer Cormac McCarthy par la puissance de la plume et la description de l’inhumanité. »

Enfin hors concours, The Big Boss.

UNE CATHÉDRALE À SOI de James Lee Burke / Rivages

“Une cathédrale à soi”, tout en étant très classique des polars de Burke, ouvre vers un univers hanté, habité et montre que l’auteur peut encore beaucoup surprendre. »  

Clete.

Et puis le retour inespéré d’Arab Strap avec « As Days Get Dark », parfait reflet de l’époque.

TERRA ALTA de Javier Cercas / Actes Sud.

Traduction: Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon.

Javier cercas est un écrivain reconnu en Espagne et dont les romans sont édités en France par Actes Sud. L’auteur de “Les Soldats de Salamine” adapté au cinéma par le cinéaste David Trueba en 2003 est également traducteur et éditorialiste à la version catalane d’El Pais. “Terra Alta” est le premier volume d’une trilogie portant sur ce coin de Catalogne  isolé et déshérité dans la région de Tarragone. Au départ, il n’en avait aucunement l’intention mais son portrait d’un homme avide de justice a fait que Cercas a fait, involontairement, sa première incursion dans le polar. En Espagne, le roman a obtenu le prestigieux et bien doté prix Planeta en 2019.

“Sur des terres catalanes qui portent encore les stigmates de la bataille de l’Èbre, Terra Alta est secouée par un affreux fait divers : on a retrouvé, sans vie et déchiquetés, les corps des époux Adell, riches nonagénaires qui emploient la plupart des habitants du coin. La petite commune abrite sans le savoir un policier qui s’est montré héroïque lors des attentats islamistes de Barcelone et Cambrils, et c’est lui, Melchor, qui va diriger l’enquête. Laquelle promet d’être ardue, sans traces d’effraction, sans indices probants. Or l’énigme première – qui est l’assassin ? – va se doubler d’une question plus profonde : qui est le policier ?

Car avant d’être un mari et père comblé, coulant des jours heureux dans cette paisible bourgade, le policier converti en justicier obsessionnel fut un ancien repris de justice, élevé par une prostituée dans les bas-fonds de Barcelone. Alors qu’il se pensait perdu par la rage et par la haine du monde, la lecture fortuite des Misérables de Victor Hugo est venue exorciser ses démons et bouleverser son destin.”

Jean Valjean comme modèle pour Melchor bien sûr mais très vite, c’est Javert et son sens de la justice maladif, son respect scrupuleux de la loi, sa propension à harceler qui vont marquer et mettre en marche un Melchor démoli par la vie. Les habitués de Cercas seront en terrain connu avec la continuité des thèmes majeurs de son œuvre: la justice, la vengeance, le pardon, la guerre d’Espagne. On retrouve tout cela au service d’un roman noir et le résultat est très emballant.

Le décor choisi, haut lieu de la bataille de l’Elbe pendant la guerre civile, laisse à penser d’emblée que le meurtre de ces deux nonagénaires, principaux employeurs de la population de la comarque, leur massacre méthodique est le résultat d’une haine personnelle qu’on imagine prendre naissance dans cette période de désolation de la fin des années 30. 

Néanmoins, l’enquête va d’abord fouiller dans l’entourage des suppliciés, dans une société qui est auscultée avec beaucoup de patience et d’intelligence. Dès le départ, on est pris et Cercas ne nous lâchera qu’à la dernière page… pour nous donner rendez-vous prochainement pour une suite. En effet, si plusieurs chapitres sont consacrés à la vie du héros, Melchor, flic atypique et certainement en fait très dangereux, tous les secrets de l’homme, ses hantises, ses regrets, ses convictions, ses plaies ne sont pas encore tous visibles malgré un portrait à la psychologie très profonde. Melchor n’a pas encore révélé tous les aspects de sa personnalité complexe et la douleur extrême qu’il vivra en fin d’enquête par son obstination à rechercher la justice n’aidera pas à apaiser cet homme déjà bien meurtri. 

On a parfois un peu peur quand des écrivains reconnus quittent leur zone de confort pour s’aventurer dans le polar. Parfois tout bon mais aussi parfois très con. Ici, c’est impeccable, riche, passionnant, franchement bien écrit et assurément ouvert à un lectorat très diversifié.

Clete

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