Chroniques noires et partisanes

Étiquette : Jakub Zulczyk

FEEDBACK de Jakub Zulczyk / Rivages

Traduction: Kamil Barbarski et Erik Veaux

“Marcin Kania, star du rock polonais tombée dans l’alcoolisme, est surtout connu pour avoir composé un tube rebelle et ironique, “Je t’aime comme la Russie”. A plus de cinquante ans, père de deux enfants et marié à une femme qui ne supporte plus ses agressions et ses infidélités, il aurait sans doute complètement sombré sans ses droits d’auteur et sa réputation de légende. Mais lorsque son ancien producteur lui propose d’investir dans une affaire juteuse, Marcin est bien loin de se douter de l’enfer qui l’attend. Son fils disparaît, et c’est le début d’une plongée dans le monde mafieux de l’immobilier post-communiste.”

On avait découvert Jakub Zulczyk en 2021 avec Éblouis par la nuit, plongée terrible dans le Varsovie de la nuit, un monde gothique et psychédélique noir sous le signe des addictions les plus diverses et les plus mortifères. Le roman était douloureux, ressemblant aux pires histoires de Brett Easton Ellis. Les mafieux polonais étaient déjà de la partie et en apparence, on se dit que l’on a affaire ici à une sorte de bis repetita

En fait, c’est bien pire, plus dégueulasse, plus glauque, dans les sales effluves de l’alcool. On suit Marcin Kania à la recherche de son fils. On est dans sa tête pendant plus de cinq cents pages parsemées de sang, de vomi, de sperme et de larmes, beaucoup de larmes. C’est un roman très éprouvant, rien à se raccrocher surtout pas à Marcin Kania, lamentable clown au cerveau crâmé par la gnole et semant le malheur et la désolation autour de lui.

On n’est pas dans un polar même si on y croise plusieurs fois un flic, lui aussi très imbibé. On découvre les pratiques mafieuses, mais avec la perte de son entendement et noyé dans des litres de vodka, Marcin n’est pas de taille à lutter D’ailleurs, peut-on croire les délires d’un mec bourré ? Peut-on faire confiance à un mec qui picole? Peut-on croire à ses promesses? Peut-on supporter longtemps son auto apitoiement et ses pleurnicheries? Jusqu’ où peut-on aller dans la compassion ? Toutes celles et tous ceux qui ont vécu le drame de l’alcoolisme de manière directe ou indirecte retrouveront dans ce cloaque des moments douloureux de leur vie. Jackub Zulczyk montre cet enfer sans fard, salement mais aussi très, très justement. Le cauchemar de l’alcoolique mais surtout celui des proches…

A la fin du roman, on se sent crade, souillé, bousillé par tant d’outrances. On aura trouvé pas mal de redites, les mêmes causes et invariablement  toujours les mêmes effets, mais c’est aussi ça, la réalité d’une vie dégueulasse que certains choisissent et qu’ils imposent à ceux qu’ils disent aimer. On quitte les banlieues blafardes de Varsovie avec un sale goût et le sentiment que Jakub Zulcyzk a visé très juste, trop juste, on suppute quelque chose. Et puis on lit ses remerciements et on comprend : “Je remercie Marysia et Mariusz, mes thérapeutes, qui m’ont amené sur la voie de la sobriété. Je ne veux pas penser à ce qu’il en serait aujourd’hui sans vous”. 

Clete

PS: série Netflix à l’automne.

Bilan 2021 / Clete Purcell

Bon, quand on fait l’inventaire, 2021, dans la vie comme en littérature, c’était loin d’être génial même si le pire est peut-être encore à venir. Bref, au niveau polars et littérature noire de manière plus générale, de la quantité pour rattraper 2020, première année de gouvernance du COVID, mais du coup quelques foutages de gueule et certainement beaucoup de bouquins restés dans l’ombre, noyés dans la masse.

Néanmoins la qualité était parfois au rendez-vous et ces dix romans en provenance de Belgique, Irlande, Pologne, Espagne, USA, Australie et France, ces dix coups de cœur, ces bons coups de latte le démontrent haut la main. Chronologiquement…

MANGER BAMBI de Caroline De Mulder / La Noire Gallimard

 « Et petit à petit, à l’effarement et à l’irritation provoqués par les agissements barges des gamines succède une autre lecture, celle du mal être, de l’abandon, de la difficulté de la création de la personnalité quand on n’a aucun modèle autre que ceux proposés par les réseaux sociaux ou MTV, les affres et le drame des gamins abandonnés à leurs peurs. »

TRAVERSER LA NUIT de Hervé Le Corre / Rivages

“TRAVERSER LA NUIT est l’exemple du roman noir parfait ».

UNE GUERRE SANS FIN de Jean-Pierre Perrin / Rivages/ Noir

« Rejoignant parfois “Pukhtu” de DOA dans sa réflexion sur la guerre et sur les hommes et les femmes qui la vivent et la subissent, “ Une guerre sans fin” est un putain de grand roman.« 

NE ME CHERCHE PAS DEMAIN de Adrian McKinty / Actes noirs

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« Sean Duffy, un peu intello, un peu alcoolo, un peu toxico et néanmoins peu chargé des poncifs traditionnels et finalement assez irritants des policiers de papier est un personnage en tous points réussi et c’est bien volontiers qu’on le suit dans cette nouvelle enquête. »

ÉBLOUIS PAR LA NUIT de Jakub Zulczyk / Rivages

“ Éblouis par la nuit” est un roman magnifique. Du grand noir écrit intelligemment, du très lourd. Gros, gros coup de cœur.« 

TERRA ALTA de Javier Cercas / Actes Sud.

« Les habitués de Cercas seront en terrain connu avec la continuité des thèmes majeurs de son œuvre: la justice, la vengeance, le pardon, la guerre d’Espagne. On retrouve tout cela au service d’un roman noir et le résultat est très emballant. »

LE SYSTÈME de Ryan Gattis / Fayard.

« Ryan Gattis, sans aucun doute, le meilleur du polar américain actuellement. »

LA CITÉ DES MARGES de William Boyle / Gallmeister

 « William Boyle a écrit un bien beau roman, tout en empathie, respect et délicatesse. »

SARAH JANE de James Sallis / Rivages

« Toute l’oeuvre de Sallis explore le grand thème de la solitude des êtres, leur cruelle confrontation solitaire à des situations qui les dépassent. Si le propos est lourdement triste,  méchamment mélancolique, on voit néanmoins le malin plaisir que prend Sallis à nous égarer, à nous aveugler, à nous renseigner, à nous interroger, à nous faire hésiter. « 

MURMURER LE NOM DES DISPARUS de Rohan Wilson / Albin Michel

« On peut décemment évoquer Cormac McCarthy par la puissance de la plume et la description de l’inhumanité. »

Enfin hors concours, The Big Boss.

UNE CATHÉDRALE À SOI de James Lee Burke / Rivages

“Une cathédrale à soi”, tout en étant très classique des polars de Burke, ouvre vers un univers hanté, habité et montre que l’auteur peut encore beaucoup surprendre. »  

Clete.

Et puis le retour inespéré d’Arab Strap avec « As Days Get Dark », parfait reflet de l’époque.

ÉBLOUIS PAR LA NUIT de Jakub Zulczyk / Rivages.

Stepnqc od swiatel

Traduction: Kamil Barbarski.

“Or nous sommes en Pologne, un pays où chacun veut arnaquer son voisin, un pays où, pour chaque billet de banque, il y a trois personnes prêtes à le chourer, un pays où, il n’y a pas si longtemps, les gens bouffaient de la terre, des oignons dénichés au marché noir et des saucisses de gencives bovines. Des phénomènes tels que l’amitié sont foutrement rares, ici, et la simple camaraderie peut s’évanouir pour quelques billets.”

Bienvenue en Pologne et plus particulièrement à Varsovie dont Jakub Zulczyk nous fait découvrir les nuits. Comme partout ailleurs, de la thune, de la came et du sexe. Et surtout en arrière-plan, ce monde de la pègre local que nous allons découvrir ébahis avec Jacek, prince de la blanche, plus gros dealer de cocaïne de la ville, Hermès de la jet set locale. Un long monologue de six jours et six nuits, un cauchemar d’une semaine avant qu’il n’embarque pour des vacances en Argentine en espérant la submersion de la ville en son absence.

Alors, je dois avouer que la Pologne en général et sa littérature noire en particulier, je n’y suis pas vraiment sensible. Mais Rivages cartonne tellement en 2021 et il y a encore Burke, Mullen et Sallis à venir qu’une couverture encore une fois magnifique, un gentil oxymore dans le titre et un ton résolument agressif dès les premières lignes, ont eu raison rapidement de ma frilosité malgré 500 lourdes pages.

Au départ, on peut envisager Jacek comme un personnage assez similaire au héros de “Drive” de James Sallis. Froid, organisé, méthodique, il reste autant que se peut à la périphérie de la violence du groupe de truands auquel il appartient, contraint, semble-t-il. Et puis, l’arrivée d’un nouveau caïd va mettre le bordel dans ce petit monde de la dope aux mécanismes pourtant bien huilés et Jacek va y laisser des plumes, beaucoup. Peu à peu, il replonge dans la coke pour tenir, pour comprendre, et il se rapproche de plus en plus du héros paranoïaque de “Glamorama” de Brett Easton Ellis par son comportement délirant, ses hallucinations, ses pensées et ses agissements de plus en plus dégueulasses. Il vomit dans la soupe, montre la belle enflure qu’il est en fait. Le personnage est exécrable et on pourrait trouver juste qu’il morfle, souhaiter sa fin. En fait, ses ennemis sont tellement des salopards que ce semblant d’humanité chez Jacek notamment vis à vis des lolitas qui viennent se perdre dans cet enfer incite à le suivre. Le roman devient hallucinant par sa violence visible ou larvée et par les comportements imprévisibles de Jacek traqué, piégé, en proie à des délires de plus en plus monstrueux.

“ Éblouis par la nuit” est un roman magnifique. Du grand noir écrit intelligemment, du très lourd. Gros, gros coup de cœur.

Clete.

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