Traduction : Alexandre Guégan.
Sarai Walker a écrit des articles pour The New York Times et The Guardian mais aussi pour des magazines. Elle a également enseigné la littérature dans plusieurs universités américaines. (In)visible est son premier roman paru en 2015 et elle travaille actuellement à son adaptation pour une série télévisée.
« Prune Kettle fait de son mieux pour éviter les regards, parce que quand vous êtes grosse, se faire remarquer c’est se faire juger. En attendant l’heure de la chirurgie miracle, elle répond aux e-mails de fans d’un magazine pour ados. Mais lorsqu’une jeune femme mystérieuse, avec des collants colorés et des bottes de combat, se met à la suivre, Prune est projetée dans le monde de la Fondation Calliope – une communauté clandestine de femmes rejetant les diktats de la société – où elle va connaître le prix à payer pour devenir «belle». Parallèlement, une guérilla terrorise ceux qui maltraitent les femmes, et Prune se retrouve mêlée à une intrigue sinistre, dont les conséquences seront explosives. »
Sarai Walker nous plonge dans la tête de Prune Kettel, grosse depuis qu’elle est toute petite. Elle évoque sa vie avec justesse : la solitude, les moqueries, les humiliations quotidiennes, pas facile d’incarner depuis toujours le pire cauchemar des autres… Le regard qu’elle se porte est, comme celui des autres, plein de dégoût et de détestation. Elle ne peut pas être Prune, elle est Alicia, une fille mince et sûre d’elle. Alors elle suit des régimes depuis l’adolescence, adhère aux discours culpabilisants et moralisateurs et met sa vie entre parenthèses en attendant de devenir Alicia. Une vie triste et glauque : seule, sous antidépresseurs, elle végète au niveau professionnel en répondant au courrier d’adolescentes au nom d’une star et son seul plaisir est de constituer la future garde-robe d’Alicia. Mais le ton de Prune lui est vif, cru, lucide et drôle et l’empathie fonctionne très vite avec ce personnage.
Prune va découvrir la fondation Calliope et les activistes féministes qui y vivent. Sarai Walker nous offre une galerie de personnages vivants et attachants : Marlowe, ex-actrice filiforme, Sana au visage défiguré par une brûlure, Julia qui travaille au département maquillage d’un magazine de mode, agent double des activistes qui n’en peut plus de s’affamer, Serena, fille d’une femme gourou qui a construit sa fortune en escroquant des femmes en leur vendant régime et plats diététiques… Elles se battent toutes pour pouvoir être libres, tout simplement.
La critique est sévère sur le monde de la mode, de la beauté et plus généralement sur toutes ces injonctions faites aux femmes qui doivent être belles, minces, sexy… prêtes à consommer et être consommées. Prune ne va pas acquérir la liberté sans douleur, elle va devoir apprendre à encaisser, à se battre. Sarai Walker a été inspirée par « Fight club » de Chuck Palahniuk et on retrouve la même rage, la même colère dans ce livre.
Dans le même temps, des crimes horribles et tapageurs sont commis et Sarai Walker interrompt alors le récit de Prune pour les raconter. Les victimes sont toutes des responsables de violences faites aux femmes et les meurtriers sèment la terreur dans les milieux de la pornographie, de la mode et de la presse féminine avec des conséquences énormes et drôles. Prune va y être mêlée et c’est là que Sarai Walker réussit à créer le suspense, car on se demande où la colère pourtant salvatrice de Prune va la mener.
Un roman féministe, noir, drôle et vivant où se mêlent des vérités dérangeantes et une critique violente de notre société de consommation où les femmes ne sont que des objets.
Subversif et salutaire.
Raccoon.
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