Traduction: France-Marie Watkins, révisée, complétée et préfacée par Benoît Tadié
On connait bien sûr Horace McCoy pour son premier roman paru en 1935 et traduit ici en 1946, On achève bien les chevaux .
Comme beaucoup d’auteurs américains de cette époque pionnière du roman noir et du polar, il a également publié un certain nombre de fictions courtes, notamment dans la revue Black Mask . Dont celles qui nous intéressent dans ce beau volume.
Ce que l’on sait moins, c’est que McCoy a été dans l’aviation de chasse durant la Première Guerre mondiale. Cette période de sa vie est une partie du matériau de départ de ces pages.
Quelqu’un a un jour écrit qu’une enquête criminelle bien faite est composée d’un tiers de chance, d’un tiers de travail ardu et d’un tiers d’intuition. Les plus grands détectives mettent à égalité l’intuition et la chance, considérant l’une aussi importante que l’autre.
Jerry Frost n’était pas un savant, ni un criminologue, et, au sens technique du terme, il n’était pas du tout un détective. Mais jusque-là il avait eu pas mal de chance, il était tout à fait disposé à travailler dur et il savait que son intuition l’avait tiré de plus d’un mauvais pas.
Et il allait pouvoir s’en servir cette fois. Il s’en redit compte une heure après avoir quitté le chef de la police de Jamestown.
Il vit quelque chose qui fit tilt dans son esprit ― sans doute possible. C’était le côté incroyable de l’idée qui l’avait convaincu.
Le premier texte, paru en 1929, est l’occasion de rencontrer Jerry Frost, capitaine des Air Rangers texans, ex-aviateur dans le ciel français de la première guerre au sein de l’escadrille La Fayette, puis présent sur d’autres ciels de guerre. Il se retrouve sur un aérodrome à enquêter au sujet de deux affaires de braquages spectaculaires. À cette enquête se mêlent ses souvenirs : une brusque possibilité de vengeance point au même moment. D’intuitions en rebondissements, de cascades en rafales de mitrailleuse, les criminels se retrouvent menottes au poignet, dans le meilleur des cas, le tout en une quarantaine de pages.
Dès la deuxième, s’ajoutent Les Fils de l’Enfer, quatre pilotes (américains, anglais et allemand) vétérans eux aussi, cascadeurs pour Hollywood. Ils s’engagent dans la Patrouille du Sud des Air Rangers de Jerry Frost afin de surveiller la frontière avec le Mexique et pour combattre le puissant et tentaculaire gang des avions noirs qui sévit de chaque côté du Rio Grande.
Dans ces histoires, pas de poursuites en bagnoles en plein Chicago ou de duels de cowboys dans une ville désertée, mais plutôt des loopings, des descentes en piqués, de véritables chasses dans le grand ciel texan. McCoy sait y faire pour rendre vivants, concrets, ces combats aériens, jusqu’à nous donner le vertige ou nous effrayer quand la toile des ailes se déchire, quand les mitrailleuses crépitent de tous côtés. Quelques incontournables de l’Ouest américain ne manquent pas à l’appel : attaque de train, braquage de poste, trafic de bétail, etc.
Plus on avance, plus l’ambiance générale s’assombrit, comme dans cette quatrième histoire, Le petit carnet noir , dans laquelle Frost et sa troupe font le coup de poing et de flingue avec la pègre de Jamestown et des flics locaux bien corrompus. Histoire qui démarre par une bagarre dans un boîte de nuit pour se terminer par un atterrissage forcé en hydravion.
La cinquième histoire, Frost chevauche seul , marque un pas dans l’évolution du livre. D’une part Frost est mis à mal et se retrouve dans une posture fâcheuse, et d’autre part apparaissent les premières femmes des « Rangers du ciel ». Dont une certaine Helen Stevens, journaliste, qui disparaît alors qu’elle se trouve avec Frost dans un bistrot mexicain. Cette aventure fait basculer dans le polar ces histoires qui pour le moment relataient surtout les exploits des Fils de l’Enfer et de Jerry Frost. Les héros au grand cœur descendent subitement de leur piédestal et le récit prend une épaisseur jusqu’alors inédite, au plus grand bonheur de ma lecture.
― Ce soir, Eddie, on va faire une descente chez Singleton, dit Jerry. L’heure de la fermeture a sonné pour eux. Je leur ai dit, et ils n’ont même pas dit peut-être. Ils ont carrément dit non. Donc on va le faire pour eux.
Ce soir-là, à dix heures et demie, les cinq hommes bouclèrent leur ceinture de pistolet, cinq hommes dont le maître était la loi ― au-dessus de la terre et sur terre.
― On n’y va pas pour rigoler, dit Frost. Si ça tourne mal, visez entre les deux yeux. Et restez ensemble. Andale !
Le style d’écriture de Horace McCoy est offensif, comme ses confrères de l’époque il laisse la psychologie des personnages au vestiaire. De l’action à fond en permanence, rythmée par des dialogues dynamiques, dans un décor planté en deux phrases et pourtant d’une précision horlogère, voilà ce qu’on lit dans cette suite de quatorze histoires d’une cinquantaine de pages, pas vraiment des nouvelles ni un roman, plutôt des feuilletons relativement longs qui s’inscrivent dans la tradition de la littérature populaire américaine publiée dans les pulps magazines.
Contrairement à ses contemporains, je pense à W.R. Burnett par exemple, H. McCoy conçoit ses personnages de façon très manichéenne. Jerry Frost et ses Fils de l’Enfer sont des héros sympathiques, très positifs, presque exemplaires, du genre qui s’arrêtent au passage clouté ou montent aux arbres pour redescendre le petit chat de mamie ; alors qu’il n’y a vraiment rien à récupérer des membres du gang des avions noirs.
On peut aussi trouver quelques incongruités à ces personnages et grincer un peu des dents. La quasi absence des femmes bien que les clichés soient bien présents, l’inexistence des Afro-américains et le mépris avec lequel sont traités les Mexicains sont typiques de l’époque. Il faut bien garder en tête que ces textes ont été publiés il y a 90 ans et qu’on y trouve toute la matière nécessaire pour construire de bonnes aventures : crime organisé et fausse monnaie, contrebande et corruption, et bien sûr assassinats, avec enquêtes, indices, arrestations et condamnations.
Les Rangers du ciel n’est pas un chef-d’oeuvre, et telle n’était probablement pas l’ambition de l’auteur, par contre ce volumineux recueil se révèle être une lecture bien plus que plaisante, les histoires sont solides et on s’attache rapidement à certains personnages. C’est déjà beaucoup, et comme le dit la devise The Rangers always get their man !
NicoTag
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