Chroniques noires et partisanes

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ENTRETIEN AVEC PATRICK PECHEROT / HEVEL / Série Noire.

Véritablement épaté par « Une plaie ouverte » en 2015 puis par « Hevel » cette année, modestement, j’ai voulu en savoir en peu plus sur cet auteur au sommet de son art et trop peu visible dans les médias. Cet entretien réalisé avant le passage de Patrick Pécherot à « la grande librairie » n’a évidemment pas le même impact mais répond à une envie de rencontre avec un écrivain aux romans magistraux comme en parle si justement Télérama.

« Il préfère les ruelles aux avenues, les hommes seuls aux grandes causes nationales, le crépuscule au plein soleil. Patrick Pécherot s’est souvent promené sous les brouillards de la Butte, a traversé la guerre de 1914-18 et les années 30 du côté des anonymes et des révoltés…Et puis il y a l’écriture, comme un air mélancolique qu’on écoute entre chien et loup, à l’heure où surgissent les fantômes du passé, l’heure des brûlures d’estomac et des hommes qui s’essuient les yeux et écrasent leur dernier mégot avant de pousser la porte dans le froid cinglant. » Christine Ferniot, 

Vous écrivez maintenant depuis de nombreuses années, quel moment, quel événement ont fait que vous êtes passé à l’acte. Était-ce la mise en œuvre d’une envie lointaine? 

Mon premier roman est né de la reprise des essais nucléaires en Polynésie, en 1995 . J’avais témoigné, des années avant, au procès en appel de détenus de droit commun qui s’étaient mutinés à la prison de Papeete pour demander l’arrêt des tirs à Moruroa. Mutinerie violente qui avait entraîné la mort de deux hommes (un gardien et un détenu) et avait donné lieu à une répression brutale. Témoigner aux assises est en soi une expérience très forte, elle s’est poursuivie pendant plusieurs années puisque j’ai suivi un des mutins dans les différentes centrales où il a été incarcéré en métropole. Lors de la reprise des essais nucléaires, ces souvenirs sont remontés et ont donné lieu à Tiuraï. Le livre est dédié à la mémoire de Jean Meckert Amila car il a été écrit l’année de sa mort alors que je devais le rencontrer.

Ce passage à l’acte  semble donc mû plus par un besoin d’écrire, de témoigner que par un désir. Votre expérience de journaliste vous a-t-elle été utile dans l’écriture de ce premier roman « Tiuraï » ?  

Besoin de témoigner. Non. Je n’ai pas écrit un livre  » à message « , je les déteste. Disons que cette expérience a été un déclic. Cela m’a permis de concrétiser une envie que j’avais depuis longtemps sans me mettre à la tâche. Quant à mon activité journalistique, elle est postérieure aux débuts de mon écriture romanesque. Ce sont de toute façon deux écritures très différentes.

Avez- vous connu le parcours du combattant de l’auteur cherchant un éditeur?

Parcours du combattant ? Non pas vraiment. Mon manuscrit achevé, je l’ai envoyé par la poste à plusieurs maisons d’édition, petites et grandes. Certaines l’ont refusé et un après midi, mon téléphone a sonné. C’était Patrick Raynal qui dirigeait la Série noire à l’époque. Il m’a dit :  » Ne placez pas votre roman ailleurs, je le prends ». J’ai cru à une plaisanterie et j’ai raccroché…. Heureusement pour moi, il a rappelé.

Vous êtes donc entré à la Série Noire dès votre premier roman et vous n’avez jamais quitté la collection mythique de Gallimard. A quoi est dû cet attachement, cette fidélité ?

Pourquoi aurais-je quitté une maison qui m’a donné ma chance, n’érige pas de murs entre ses collections et suit ses auteurs ? J’y ai eu, en 23 ans, trois éditeurs aux personnalités bien différentes mais tous amoureux de l’écriture et de leur métier. Je ne peins pas le tableau en rose, je me sens simplement plutôt bien dans la « grande maison ». Rien d’autre.

Vos polars évoluent à différentes époques et beaucoup s’accordent à dire que vous avez un talent pour nous couler dans un environnement historique qui nous est inconnu. Quels sont les éléments d’une époque qui font le plus sens, qui vont intégrer le lecteur dans le décor ? S’agit-il d’ailleurs de recréer un environnement historique ou de faire baigner le lecteur dans un espace constitué d’éléments issus de la mémoire collective et identifiables par le plus grand nombre?

Bigre ! Le travail d’un auteur est toujours une re-création. Avec la liberté que cela implique. S’il vaut mieux ne pas en prendre avec la vérité historique – ce qui n’exclut pas l’existence de lectures historiques différentes -, place à l’imaginaire. En ce qui me concerne, l’évocation est mon terreau . En tant que lecteur, un climat me touchera cent fois plus qu’un développement dont l’extrême précision, pour être historiquement au quart de poil, me laissera sur la touche. Ce qui m’importe, lecteur, c’est une petite musique des mots et ces détails  presque invisibles que d’autres négligeront. Je ne lis pas un roman pour « apprendre des choses ». Ecoute-t-on un morceau de musique pour apprendre quoi que ce soit ? Je transpose mes goûts de lecteur dans mon écriture en essayant de faire en sorte d’aborder, même dans des récits « historiques » des thèmes intemporels.

Quelle est la genèse d’un roman chez vous, l’histoire que vous voulez raconter ou l’époque que vous voulez montrer avec ses destinées tragiques et ses drames ordinaires ?

Sans doute un peu des deux. Ou peut-être rien de tout ça.

En suivant un peu vos derniers romans, on pouvait croire que vous remontiez l’histoire de la France, la première guerre mondiale avec « Tranchecaille », la Commune dans « Une plaie ouverte » et puis non, retour à la fin des années 50 avec « Hevel », pourquoi ce choix de traiter la guerre d’Algérie depuis le Jura ?

Comme j’avais traité la guerre d’Espagne sans quitter Belleville ou au contraire la Commune via les Etats Unis. Le décalage est intéressant. Il force à changer de regard, ou de focale. A prendre de la distance, du recul. A se rappeler, peut-être, que les conflits se vivent au-delà des frontières à l’intérieur desquelles ils font rage.

Les français ont vécu la guerre d’Algérie de manière différente selon qu’ils l’ont faite ou qu’un de leur proche y a participé. Elle a marqué de nombreuses familles. Que pouvait penser une sœur, un frère, un père, une mère, une amoureuse en voyant partir un jeune appelé vers une guerre dont on lui disait qu’elle n’en était pas une ? Que pouvait-t-on ressentir à la lecture ou à l’écoute d’une information surveillée, censurée, formatée ? Quel rapport cela induisait-il avec la population immigrée ? Voilà ce qui me semblait important à travailler. Par ailleurs, l’opposition du climat Jura neige et Algérie soleil me paraissait renforcer la description des  fossés qui ne cessaient de se creuser.

Vos derniers romans sont toujours situés en période de guerre, l’histoire de la France ne vaut-elle d’être racontée que pendant les conflits qui l’agitent ? Quelles sont les périodes qui vous fascinent le plus?

La question de la guerre a fait partie de mon parcours. Dans ma famille, je suis le premier, depuis 1870, à  ne pas avoir vécu une guerre. Par ailleurs, j’ai milité, plus jeune, dans des mouvements pacifistes et non violents. Cela explique peut-être en partie cela. Mais, contrairement à ce que vous dites, je ne vise pas à raconter l’histoire de la France. Simplement celle de personnages placés dans des situations paroxystiques et qui peuvent basculer à chaque instant. La guerre, pour horrible qu’elle soit, est un révélateur de l’humain et de son extraordinaire complexité.

Vous avez été journaliste et donc un observateur averti de vos contemporains. Si on vous téléportait dans 100 ans, quel événement, quelle situation, quelle période française actuelle aimeriez-vous raconter ?

J’ai été un journaliste un peu particulier puisque j’exerçais dans le monde syndical. A ce titre, j’aimerais sans doute raconter un de ces faits « mineurs’ qu’accomplissent au quotidien celles et ceux qui mouillent leur chemise pour changer un peu la vie.

Pour vous, qui fait l’Histoire, la grandeur d’une nation? les peuples ou les gouvernants?

A dire vrai, je me moque un peu de la grandeur, elle est souvent mesurée à l’aune de la place qu’une nation entend occuper dans le monde. Et cela passe trop souvent par la guerre, classique ou économique, et un certain mépris pour les autres cultures. Mais gandeur et histoire (qui ne sont en rien synonyme)  sont issues à la fois des peuples et des gouvernants. Je n’oppose pas les uns aux autres, de façon tranchée. Ils peuvent en outre interagir même lorsqu’ils sont en opposition frontale. De plus, le discours simplificateur répandu ici et là, traçant une ligne de front entre « les gens » et « ceux d’en haut », ne sent pas très bon.

Qui considérez-vous comme vos maîtres en littérature ?

Giono, Céline, Maupassant, Meckert, Simenon, Modiano, Duras, Camus, Ramuz, Brautigan … Et bien d’autres. J’ai beaucoup de maîtres. Vous en voulez un seul ? Giono

Un roman récent qui vous a séduit?

« La nature exposée » d’Erri de Luca.

Enfin, où comptez-vous nous emmener dans votre prochain roman ?

Aucune idée. Mais dans un texte qui vient juste de paraître aux éditions du Petit Ecart, je vous invite à Brest sur les pas de la Barbara de Jacques Prévert.

 

 

Entretien réalisé par mail en mai et juin 2018. Merci à Patrick pour sa patience et sa disponibilité.

Wollanup.

 

HEVEL de Patrick Pécherot / Série Noire.

Ayant découvert Patrick Pécherot tardivement avec Tranchecaille plaisant mais sans plus tandis que “ Une plaie ouverte” restera pour moi comme un incontournable, je dois reconnaître avoir eu une certaine impatience à découvrir “HEVEL”. Peu connaisseur donc de son oeuvre, je ne pense pas trop me hasarder néanmoins en disant qu’il est un grand spécialiste des polars historiques, l’ayant déjà lu sur la première guerre mondiale, sur la Commune et en le retrouvant à la fin des années 50, trois conflits meurtriers de l’histoire de France.

“Janvier 1958. À bord d’un camion fatigué, Gus et André parcourent le Jura à la recherche de frets hypothétiques. Alors que la guerre d’Algérie fait rage, les incidents se multiplient sur leur parcours. Tensions intercommunautaires, omniprésence policière exacerbent haines et rancœurs dans un climat que la présence d’un étrange routard rend encore plus inquiétant…2018. Gus se confie à un écrivain venu l’interroger sur un meurtre oublié depuis soixante ans. Il se complaît à brouiller les cartes et à se jouer de son interlocuteur. Quelles vérités se cachent derrière les apparences?…”

Et ces apparences, ces faux-semblants, ces voiles comme les brumes du final sont toujours au coeur d’un roman qui les lie dans son titre sous le nom de Hevel tiré de l’Ecclésiaste hébraïque et signifiant le souffle, la buée, la fumée… Envahi par ces souvenirs réels ou inventés ou trafiqués, le lecteur va devoir prendre son mal en patience tant le récit du narrateur semble parfois sonner faux ou s’éloigner par des digressions au milieu du récit du vieil homme parlant d’un meurtre dont il a été le témoin soixante ans plus tôt.

Nombreuses sont les digressions, aucune n’est inutile ou sans grand intérêt, poétique quand le narrateur s’enthousiasme sur le mot escarmouche, particulièrement piquante quand il s’attaque aux recettes utilisées par les auteurs du genre littéraire qui est le sien, amusé quand il pousse une véhémente diatribe sur le monde numérique. La poésie est toujours présente chez Pécherot mais l’humour, c’est pour moi une nouveauté.

Quelques réflexions de Gus:

« J’ essaie de causer odeurs, couleurs changeantes, arbres, brouillards et murs des villes.Si je pouvais, je vous dirais aussi les en-cas et les menus, pain et service compris. L’essentiel, quoi. L’entre-les-lignes, les mots dans un regard, un geste, un port de tête. La parole est là autant qu’ailleurs. On la recueille ou on reste sourd. »

Alors bien sûr, HEVEL n’est pas un thriller survitaminé même si les révélations finales sont assez surprenantes. Pécherot brille par son talent à montrer une époque. En quelques phrases, agrémentées de détails pertinents sur les habitudes alimentaires, sociales et culturelles de l’époque, sans alourdir son texte, il nous fait entrer dans l’Histoire, pénétrer dans son histoire, dans le décor et on est très rapidement aux côtés des personnages dans une époque qui jusque là nous était inconnue. Par des brèves de journaux, des discussions de comptoir, des réflexions en apparence anodines, il nous renseigne sur l’opinion publique en France en cette fin des années 50.

Mais surtout, et c’est aussi original que remarquable, Pécherot nous raconte la guerre d’Algérie depuis le Jura, à des centaines de kilomètres du danger. On sent l’inquiétude des familles dont un enfant est parti, les remous créés par la présence de travailleurs algériens dans la région, les mentalités colonialistes bien ancrées, le racisme ordinaire, le travail souterrain du FLN, les porteurs de valises de l’impôt révolutionnaire… et au milieu quatre hommes dont le destin, par malchance, par profit, par amitié, par conviction, par cynisme, va être complètement transformé quand ils croiseront incidemment la guerre pourtant si lointaine mais dont certains flashs montrent bien toute l’horreur voilée par des médias sous contrôle.

Attachant photographe de la France populaire, Patrick Pécherot nous offre une nouvelle fois le beau portrait de quatre hommes ordinaires balayés, malmenés par le grand vent de l’ Histoire avec une plume … un vrai bonheur pour conter les heurs et malheurs des classes populaires.

Brillant!

Wollanup.

 

 

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