Chroniques noires et partisanes

Étiquette : Hervé Le Corre

Bilan 2021 / Clete Purcell

Bon, quand on fait l’inventaire, 2021, dans la vie comme en littérature, c’était loin d’être génial même si le pire est peut-être encore à venir. Bref, au niveau polars et littérature noire de manière plus générale, de la quantité pour rattraper 2020, première année de gouvernance du COVID, mais du coup quelques foutages de gueule et certainement beaucoup de bouquins restés dans l’ombre, noyés dans la masse.

Néanmoins la qualité était parfois au rendez-vous et ces dix romans en provenance de Belgique, Irlande, Pologne, Espagne, USA, Australie et France, ces dix coups de cœur, ces bons coups de latte le démontrent haut la main. Chronologiquement…

MANGER BAMBI de Caroline De Mulder / La Noire Gallimard

 « Et petit à petit, à l’effarement et à l’irritation provoqués par les agissements barges des gamines succède une autre lecture, celle du mal être, de l’abandon, de la difficulté de la création de la personnalité quand on n’a aucun modèle autre que ceux proposés par les réseaux sociaux ou MTV, les affres et le drame des gamins abandonnés à leurs peurs. »

TRAVERSER LA NUIT de Hervé Le Corre / Rivages

“TRAVERSER LA NUIT est l’exemple du roman noir parfait ».

UNE GUERRE SANS FIN de Jean-Pierre Perrin / Rivages/ Noir

« Rejoignant parfois “Pukhtu” de DOA dans sa réflexion sur la guerre et sur les hommes et les femmes qui la vivent et la subissent, “ Une guerre sans fin” est un putain de grand roman.« 

NE ME CHERCHE PAS DEMAIN de Adrian McKinty / Actes noirs

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« Sean Duffy, un peu intello, un peu alcoolo, un peu toxico et néanmoins peu chargé des poncifs traditionnels et finalement assez irritants des policiers de papier est un personnage en tous points réussi et c’est bien volontiers qu’on le suit dans cette nouvelle enquête. »

ÉBLOUIS PAR LA NUIT de Jakub Zulczyk / Rivages

“ Éblouis par la nuit” est un roman magnifique. Du grand noir écrit intelligemment, du très lourd. Gros, gros coup de cœur.« 

TERRA ALTA de Javier Cercas / Actes Sud.

« Les habitués de Cercas seront en terrain connu avec la continuité des thèmes majeurs de son œuvre: la justice, la vengeance, le pardon, la guerre d’Espagne. On retrouve tout cela au service d’un roman noir et le résultat est très emballant. »

LE SYSTÈME de Ryan Gattis / Fayard.

« Ryan Gattis, sans aucun doute, le meilleur du polar américain actuellement. »

LA CITÉ DES MARGES de William Boyle / Gallmeister

 « William Boyle a écrit un bien beau roman, tout en empathie, respect et délicatesse. »

SARAH JANE de James Sallis / Rivages

« Toute l’oeuvre de Sallis explore le grand thème de la solitude des êtres, leur cruelle confrontation solitaire à des situations qui les dépassent. Si le propos est lourdement triste,  méchamment mélancolique, on voit néanmoins le malin plaisir que prend Sallis à nous égarer, à nous aveugler, à nous renseigner, à nous interroger, à nous faire hésiter. « 

MURMURER LE NOM DES DISPARUS de Rohan Wilson / Albin Michel

« On peut décemment évoquer Cormac McCarthy par la puissance de la plume et la description de l’inhumanité. »

Enfin hors concours, The Big Boss.

UNE CATHÉDRALE À SOI de James Lee Burke / Rivages

“Une cathédrale à soi”, tout en étant très classique des polars de Burke, ouvre vers un univers hanté, habité et montre que l’auteur peut encore beaucoup surprendre. »  

Clete.

Et puis le retour inespéré d’Arab Strap avec « As Days Get Dark », parfait reflet de l’époque.

TRAVERSER LA NUIT de Hervé Le Corre / Rivages

Certains bouquins vous chopent dès les premières lignes et même parfois, plus rarement, rien que la couverture vous donne la chair de poule. Cette femme floue en couverture de “Traverser la nuit” attire immédiatement le regard et si on teintait de bleu ses lèvres, elle évoquerait irrésistiblement certaines amazones d’Enki Bilal. Évidemment, votre regard accroche ensuite la signature. Hervé Le Corre n’est plus à présenter et, s’il vous est inconnu, vous pouvez pénétrer son univers noir avec ce roman qui est, pour moi, le plus brillant de sa déjà très belle oeuvre. Enfin, ce titre vous paraîtra si juste une fois le livre lu.

Trois personnages, trois destins, trois vies cabossées… Louise aide-ménagère qui élève seul Sam, Jourdan un flic qui enquête sur un tueur de femmes à Bordeaux et Christian un employé qui regrette l’adrénaline ressentie autrefois avec l’opération Barkhane. Tous trois doivent affronter leur enfer nocturne, naviguer sur leur Styx intime, parvenir à “traverser la nuit”. Louise endure les coups ou les menaces de son ex. Jourdan sent sa femme s’éloigner de sa vie, remplacée dans ses nuits par les victimes de ses enquêtes. Christian, lui, quand les pulsions sont trop fortes, massacre des femmes dans la nuit bordelaise…

Le tueur, la victime et le flic… scenar simpliste, rebattu, léger, et donc avec une intrigue initiale à deux balles, Le Corre vous sort un extraordinaire roman noir, parfois très loin des standards et pourtant très classique dans cette volonté de montrer la saloperie du monde dans lequel nous vivons, l’inhumanité de certaines situations vécues par de gens non pas indigents mais tout simplement infiniment malheureux, malchanceux, largués. Le Corre, mieux que tout autre, écrit, décrit la souffrance avec toutefois cette pudeur préférant la grandeur du propos à la démonstration de la déchéance et de la bestialité. Pourtant ce roman est très dur, malgré une plume qui se préfère parfois très discrète, c’est noir, ça pue la peur, le désespoir, la folie et la mort. 

La lecture régulière de polars apporte, empiriquement, une connaissance de certains petits trucs, de petites aides pour entretenir un suspense ou relancer une intrigue chez les auteurs, actes réalisés avec plus ou moins de talent ou de réussite. Rien de ça ici. “Traverser la nuit “est l’exemple du roman noir parfait, s’imposant dès les premières lignes par une écriture juste, belle sans paraître empruntée, montrant compassion pour les femmes battues et colère contre les violences des salauds individuels ou institutionnels. La lecture ne souffre d’aucune baisse de tension. Le Corre vous emporte et s’il vous épargne bien des détails sordides il vous oblige néanmoins, malignement, à créer vos propres visions du cauchemar.  L’auteur va réussir à vous suggérer l’abjection sans jamais l’énoncer laissant ainsi volontairement des zones d’ombre, laissant des points de suspension assassins… qui interrogent et vous détournent de l’attaque qui va vous terrassera.

“Traverser la nuit”, c’est parfois très dur, toujours superbe !

Clete.

DANS L’OMBRE DU BRASIER de Hervé Le Corre / Editions Rivages, Rivages/Noir.

Que faire Après la guerre ? C’est sans doute la question que s’est posée Hervé Le Corre, suite au succès conséquent de l’un de ses précédents romans ainsi nommé (Plus de 60 000 exemplaires écoulés, format initial et poche confondus). Après la guerre ne parlait d’ailleurs pas de celle de celle de 14-18, vendue à toutes les sauces et jusqu’à l’overdose ces dernières années. Aux grands barnums sanglants, Hervé Le Corre préfère s’attacher à ces autres thèmes du pugilat noir ou insurrectionnel, à ces conflits qui n’osent afficher leur nom « de guerre », à ces boucheries fratricides où l’élémentaire besoin de liberté ne masque pas des intérêts plus économiques et libéraux que patriotiques…


« Avec une nation étrangère, on finit par conclure une paix, par signer des redditions ou des traités. Entre eux, princes et généraux, parfois bâtards de même sang, finissent toujours par se faire des politesses, se saluant de leurs chapeaux à plumes. Mais quand il s’agit de combattre le populo, pas de trêve, pas de quartier. Massacrer, tailler en pièces, pour qu’il ne reste que silence et terreur. »

Ainsi, après les prémices de la lutte algérienne, le voici de retour au cœur de la Commune, dans ce Paris du printemps 1871 qui servit déjà de toile à son magistral L’Homme aux lèvres de saphir. Nous étions nombreux à en attendre silencieusement une hypothétique suite. Elle est là, bien là, voire au-delà. Si la présence de l’effroyable Henri Pujols souligne ce retour aux années d’ébauche libertaire, Le Corre monte encore de quelques crans la jauge de son étourdissant talent. Nous savons que scander la virtuosité d’un auteur peu parfois le desservir, mais il convient dans le cas présent de ne pas négliger son apport à un ensemble limpide, à une parfaite adéquation entre érudition et fibre romanesque.

Si les pavés de Paris sont à l’époque mal équarris, il n’en est pas de même pour celui-ci. En près de 400 pages, écrites avec une précision absolue et une aisance magistrale, Le Corre nous captive, nous malmène, nous rattrape, nous conte l’Histoire au fil de celles plus anonymes de ses personnages. Nicolas, Caroline, Antoine et les autres, aussi dépassés par leurs destins qu’admirablement croqués par l’auteur, se débattent au sein du chaos, affrontent ou fuient l’ordre versaillais, s’entravent dans leurs propres barricades et démons, se perdent, se retrouvent, tombent, se noient ou se relèvent. On imagine aisément la somme de travail nécessaire à l’échafaudage du récit méticuleux de ces dix jours qui changèrent à jamais le monde ouvrier et ses rapports avec les hiérarchies politique et patronale. Bien-sûr, la Commune est un échec meurtrier et amer, comme le sera la majorité des révolutions, mais son souvenir reste une vigie au-dessus des têtes dirigeantes et leur appris à lâcher du lest avant que ne déborde la marmite en ébullition. Tout parallèle avec notre présent ne pouvant être bien entendu que fortuit…

1871 donc : la faucheuse rode et frappe à chaque coin de rue. Alors certains prédateurs en empruntent le masque en toute discrétion. Et, dans l’impunité de la tourmente et du bruit des obus, des jeunes femmes se volatilisent. Nadar rend les appareils photographiques transportables et Pujols en profite pour « immortaliser la mort ». Caroline disparaît à son tour. Ses chances de survie, comme celles de la Commune, s’amenuisent d’heure en heure. Nicolas, le sergent, et Antoine, le commissaire, tous deux gradés par défaut d’une armée novice et rêveuse, vont devoir affronter toutes les urgences, du front et de front. Le temps, déjà vacillant, accélère encore et le tourbillon de folie emporte tout sur son passage, vers le fond, là où tout est noir comme cette suie dont Hervé Le Corre tire le plus brillant des feux d’artifices.   

JLM

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