Quelque part, un garçon survit dans la ville. Il n’a pas de famille, pas de foyer – que ses mots pour penser.
Ailleurs, trois individus s’organisent. Ils cherchent un homme que personne ne pleurera.
Quand je suis tombé sur l’annonce de la sortie de Tournevis, le septième roman de Oscar Coop-Phane, j’ai immédiatement été intrigué. Non pas que je connaisse l’oeuvre d’Oscar Coop-Phane, je n’ai jamais rien lu de lui, mais le titre du roman et le peu que l’on nous donne à connaître de son contenu, intriguent. On se demande à quoi s’attendre. Tout est fait pour que l’on ne puisse pas vraiment cerner dans quoi ce livre peut nous embarquer. Rien que le titre. Que penser à la lecture de celui-ci ?
Tournevis est apparemment tiré d’une histoire vraie, sans que l’on sache exactement laquelle. Un court roman qui nous raconte en parallèle deux trajectoires, dans une alternance de paragraphes, le premier est consacré à l’une, le suivant à l’autre, et ainsi de suite. On comprend immédiatement que ces deux trajectoires, celle d’un jeune homme paumé et celle d’un petit groupe à la solde d’une mystérieuse organisation, sont indubitablement vouées à se croiser. Le groupe recherche quelqu’un pour une mission que l’on ne connaît pas et le jeune homme, lui, n’a ni personne, ni but. L’intrigue, elle, demeure énigmatique. Dans l’idée, nous avons là de quoi garder les sens du lecteur en éveil. Dans les faits, c’est moins prenant qu’il n’y paraît.
Oscar Coop-Phane peine à convaincre avec son roman. L’écriture manque d’âme, de vérité, de vie. Ce n’est pas tant que c’est mauvais, c’est surtout assez peu inspiré. Parfois légèrement maladroit. Les personnages sont un peu caricaturaux, trop pour générer un affect quelconque chez le lecteur. Si la fin, supposée nous secouer un minimum, se veut brutale, elle n’aura pas eu sur moi l’effet escompté. Jamais vraiment embarqué par le récit, je suis resté au final, si je puis me permettre, sur ma fin.
Tournevis part d’une bonne idée. Le procédé narratif se veut original et l’histoire intrigante. Malheureusement, le résultat n’est pas aussi singulier et efficace qu’espéré. Si je ne peux certainement pas dire que Tournevis ne vaut pas trois clous, force est de constater que Oscar Coop-Phane n’est pas complètement dans l’écrou.
Si vous vous êtes penché sur le mouvement social des Gilets Jaunes, vous avez certainement entendu parler du travail de décompte charcutier mené par l’enquêteur indépendant David Dufresne, qui s’était chargé au fil des mois – « sidéré » selon ses propres mots – de documenter et recenser le maximum des blessés faits par les forces de maintien de l’ordre. Nous parlons-là d’énucléations, d’os et de crânes fracturés, de membres arrachés, de plaies ouvertes, comptabilisés et rapportés aux plus hautes autorités, sans que celles-ci ne s’émeuvent plus que ça en apparence de ce déchaînement de violences ni que les grands médias généralistes ne s’y intéressent autrement (ou alors pendant longtemps) que sous la catégorie d’inéluctables impacts dans la chair d’émeutiers et de factieux, un body count pour faire frémir les masses.
Avec Dernière sommation, David Dufresne choisit l’approche romanesque pour revenir sur ce travail et mener une investigation fictive dans les coulisses du pouvoir politique en pleine dérive autoritaire. Fictive ne veut pas dire totalement inventée. Né en 1968, nourri au biberon punk-rock, journaliste successivement à Actuel, Libération et Mediapart, auteur du documentaire filmé Prison Valley et de l’enquête Tarnac : Magasin général, David Dufresne n’est pas en délicatesse avec la rigueur que son métier d’enquêteur nécessite. Il sait donc de quoi il parle.
Ce livre très politique, qui se lit comme un polar – il en a la tension – à la bouffée finale dystopique mais pas improbable, donne un aperçu terrifiant des violences policières durant le mouvement des Gilets jaunes, violences amorcées depuis plusieurs années il faut bien le dire et qui ont récemment encore (mort de Steve Caniço, répression des manifestations de pompiers) montré leur ancrage dans la pratique policière. Quelque chose dans le maintien de l’ordre à la française, soi-disant fait de mesure et de proportionnalité, n’est plus de mise. « La police avait clairement changé de braquet et de doctrine. « La domination n’était plus seulement sociale, économique, la domination était policière« . « Le pays était devenu violent (…) parce que l’anti-terrorisme était devenu l’alpha et l’oméga de la vie politique.« Dernière sommation sonde les responsabilités, montre comment est entretenu le flou dans la chaîne de commandement (« La chasse était ouverte mais ça ne devait pas se savoir – ni consigne ni ordre, juste un climat« ), dénonce l’esprit « cow-boy » des flics, (instillé depuis un ancien Ministre de l’Intérieur à l’éréthisme inversement proportionnelle à la taille), la nervosité et la brutalité des forces de l’ordre entre les mains desquelles ont été mises de nouvelles armes de guerre, (LBD et grenades explosives GLI-F4 contenant du TNT, des sigles qui contiennent autant de suavité que LREM, La République d’Emmanuel Macron) mais qui n’hésitent pas à faire leurs propres emplettes dans les magasins d’armement. « Parce que les collègues, ils laissent les originaux au vestiaire, à la maison, c’est trop le merdier le saute-dessus dans les manifs et ils veulent pas de blâme en cas de perte. Sans parler de tous ceux qui veulent s’équiper en cascos, des matraques télescopiques pas toujours réglementaires, (…) des matraques officieuses pour des agents qui n’ont ni la formation ni l’habilitation ». Le MO/maintien de l’ordre en roue libre. Mais il existe un marionnettiste de cette dérive autoritaire : le pouvoir. Sans assise véritable, obnubilé par son agenda de déconstruction économique, sociale et légale, au service de grands intérêts, ce pouvoir doit gagner à tout prix au niveau médiatique et la brutalité policière le sert dans son dessein (« pour un de touché, mille qui désertent« , résume le préfet de police), de même que la négation, la surdité, l’insulte et les néologismes dont il fait un usage maladif, dans ce domaine comme dans les autres.
Les courtes séquences rythmées du roman s’enchaînent, titrées grâce à la collecte de slogans dégueulés sur les murs, pleins de la rage et de la sagacité d’un peuple en colère. Au milieu des protagonistes, bien sûr, Dardel, l’alter ego de Dufresne. Les autres sont des archétypes mais appuient la vérité du propos : Vicky la documentariste proche du Black bloc, mutilée dans une manifestation et sa mère Jacqueline, GJ de province, revenue des trahisons de la gauche pour embrasser le RN. Ce qui leur ouvre les yeux tandis que d’autres sont crevés fait froid dans le dos ou laisse un goût amer. Dhomme et Andras, les pros du maintien de l’ordre, soumis à la pression, en pleine rivalité et en pleine recherche d’ascension aussi. La République, oui peut-être, mais les temps sont en marche et il faut savoir plier ou s’adapter.
David Dufresne a dit sur son choix romanesque : « (…) la fiction permet de synthétiser, d’aller à l’essentiel, mais aussi d’en dire davantage que dans un essai ou un document avec lesquels on a des comptes à rendre. Et parce que de mon point de vue, la fiction permet d’aller beaucoup plus loin dans la vérité humaine.
L’actualité peut être brûlante mais la fiction peut être incandescente. Des lignes qui éclairent mieux que tout ce que pourraient raconter certains médias télévisés plus enclins à garnir leurs plateaux de consultants Police-Justice (sic), au détriment de journalistes enquêteurs.
Credo bien connu de tous maintenant en France et dans de nombreux pays occidentaux: libéralisme, mondialisation, délocalisation et bien profond dans le fion des populations sinistrées.Triste litanie qui n’empêche pas les gens de toujours voter pour les apôtres du libéralisme de droite comme hélas de gauche ou de toute autre coterie nouvelle perlimpinpinesque et malfaisante. C’est dans ce cadre nauséeux et pourtant si banal qu’ évolue le roman de Laurent Chalumeau.
Pour les vieux fondus de zik, le nom de Chalumeau doit éveiller les souvenirs de sa signature dans Rock n’ Folk où il était, tel qu’on les nommait à l’époque, un rock critique installé à NY. Evidemment, on est proches du Jurassique pour les mélomanes… Au début des années 80, pas de bornes d’écoute, de streaming, de piratage, de clips teasers, juste des vinyles, assez onéreux pour les budgets étudiants et on se devait de croire, de donner sa confiance à quelques plumes et les avis de Chalumeau décevaient très rarement. Par la suite, le nom de Chalumeau m’est apparu comme le signataire des textes d’ Antoine de Caunes sur Canal. Puis, son nom sur des romans, sur un biographie d’Elmore Leonard (ah ouais !) avec qui il partage le vœu honorable et pieux de ne garder dans le roman que ce qui est sûr de ne pas ennuyer le lecteur. Enfin dernièrement plusieurs avis sur le web comme le conseil d’une personne dont j’apprécie souvent les choix et je suis entré dans l’univers livresque de Laurent Chalumeau, pleinement parce que je me suis enfilé, dans la foulée, le précédent “ VIP”, encore un acronyme…
Sous la colère, on a tous un jour ou l’autre rêvé d’avoir la personne responsable de nos tourments ou malheurs devant soi ligotée, bâillonnée, à notre merci et Chalumeau l’a fait !!! L’époque est à la bienveillance dans le discours comme dans les attitudes et nul doute que les esprits un peu chagrins n’ apprécieront pas l’engin de destruction massive de Laurent Chalumeau haut de 200 pages où il prend un certain plaisir très communicatif à montrer son courroux, son indignation avec un ton explosivement réjouissant, parfaitement roboratif.
Alain est en “fin de droits” dans une région sinistrée par la délocalisation de la seule entreprise viable du coin (si le sujet vous intéresse, ne ratez pas l’important film “en guerre” de Stéphane Brizé sur le combat des représentants d’une classe ouvrière, butée dans son primitisme alors qu’ aujourd’hui en 2018, il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi). De plus et c’est bien plus terrible, Véro, son épouse, son amante effrontée, son phare et son trophée a demandé et obtenu le divorce. Alain serait ricain, il prendrait de bonnes bitures, se laisserait pousser cheveux et barbe, prendrait sa guitare et composerait une putain de chanson country à pleurer mais Alain est français, particulièrement remonté. Quinqua, il sait très bien que le bonheur de sa petite vie ne reviendra plus. Terminées les soirées avec les potes en famille, les virées coquines avec Véro, une petite mais finalement heureuse existence, les espoirs de gloire, de richesse enterrés depuis longtemps. Mais vaille que vaille la TV nous montre tous les jours le spectacle de vies qui nous dictent un peu de pudeur dans nos litanies larmoyantes. Mais là, Alain a vraiment morflé et il veut se venger sur les trois personnes toxiques responsable de son malheur. Et l’hallali peut commencer.
Alain décide d’enlever et de torturer jusqu’à la mort trois responsables, de les faire payer. En premier, un supérieur hiérarchique de Véro, harceleur, à l’origine de la crise de Véro et du divorce, ultime tragédie orchestrée par une psy qui a ouvert les yeux de la pauvre Véro concernant son gros macho de mari, en l’occurrence Alain. Hum, mauvais calcul, cette psy sera la troisième victime… Entre les deux, un ex ministre et chacun reconnaîtra le bellâtre précieux qui, il y a quelques années vantait les produits français en posant en marinière avec un robot Moulinex. Le bougre avait alors beaucoup promis et rien donné, s’était barré et revient là en campagne, chevalier blanc ingénu à la mémoire de poisson rouge.
Trois actes, trois thèmes, trois victimes. Trois fois bravo !
Utilisant un humour très corrosif, dans un monologue infernal de 200 pages, Alain se raconte, se veut pédagogue en expliquant à chacun de ses victimes les erreurs qu’il a commises, didactique,compréhensif mais très déterminé. Ainsi le féminisme, le harcèlement dans l’entreprise, les promotions canapé sont montrées, dénoncées. Chalumeau n’est néanmoins pas le chantre du féminisme et enchaînera avec des propos durs quand il « s’occupera »de la psy.
Profondément social, Chalumeau, comme son héros hallucinant halluciné, frappe, provoque, cogne, défonce, se défoule et cet exutoire révèle des tirades très pertinentes ou particulièrement agréables à l’oreille. Très remonté, il montre le libéralisme, la machine à engraisser les actionnaires et à broyer les masses inutiles. Et à nouveau, ça décoiffe, VNR est un vrai coup de gueule, loin d’être consensuel et particulièrement réussi au moyen d’un plume intelligemment adaptée au propos, au brûlot. On ne saurait oublier de mentionner que le roman de Laurent Chalumeau a le mérite, non négligeable de mettre en lumière une France qui n’existe pas vraiment, des Français qui n’intéressent plus grand monde, des combats qui ne font plus les unes et qui n’ont plus droit qu’à l’indifférence polie de l’Etat… anachronismes perturbants et persistants de la France obsolète du vingtième siècle.
Fable noire particulièrement réjouissante, au rythme infernal, aussi réjouissante qu’angoissante, “VNR” cogne, cogne très fort et fait un bien fou
J’ai découvert Glenn Taylor par hasard quand La Ballade de Gueule-Tranchée était sorti en poche. J’avais saisi ce bouquin dont le titre m’évoquait déjà un type avec un bec-de-lièvre ou la marque d’un vicieux coup de lame dans la face, persuadé qu’il allait me causer. Je l’avais acheté puis lu et n’avais pas été déçu. Sur ce blog qui publie régulièrement des papiers sous la titraille « Mon Amérique à moi », je conseille la lecture au préalable (ou bien alors vite après) de l’Amérique de Gueule-Tranchée, héros atypique, dont on suit les aventures sur ses 108 années d’existence dans son terroir de Virginie-Occidentale. Car ses aventures bien à lui nous racontent quelque chose de l’Amérique.
Niccolo Ammaniti est un écrivain italien reconnu, avec des livres traduits dans une quarantaine de langues, des adaptations cinématographiques pour plusieurs de ses romans et des prix pour « je n’ai pas peur » et « comme Dieu le veut ». Il livre ici un roman post-apocalyptique étonnant où seuls des enfants ont survécu, dont il a eu l’idée selon sa traductrice en regardant des enfants jouer, livrés à eux-mêmes sur une plage.
« Sicile, 2020. Un virus mortel, « la Rouge », a déferlé sur l’Europe quatre ans auparavant et décimé la population adulte ; les jeunes, eux, sont protégés jusqu’à l’âge de la puberté. Anna se retrouve seule avec Astor, son petit frère de quatre ans.
Elle doit affronter le monde extérieur avec ses cadavres, ses charognards, ses chiens errants et affamés, l’odeur pestilentielle, pour trouver, quand il en reste, des médicaments, des bougies, des piles, des boîtes de conserve, avec comme unique guide dans cette lutte pour la survie, le cahier d’instructions que lui a légué leur mère avant d’être emportée par la maladie.
Lorsqu’Astor disparaît, Anna part à sa recherche, prête à défier les bandes d’enfants sauvages qui errent à travers les rues désertes, les centres commerciaux et les bois. Mais l’ordre appartient au passé et les règles d’autrefois ont été oubliées. Pour réussir à sauver Astor, Anna va devoir en inventer de nouvelles, parcourant ce monde à l’abandon où la nature a repris ses droits, ne laissant que les vestiges d’une civilisation qui a couru à sa propre perte. »
Les adultes ont disparu et les enfants qui ont survécu sont contaminés à la puberté… Niccolo Ammaniti nous donne à voir un monde effrayant, angoissant, un monde d’enfants perdus qui doivent grandir sans repères, sans morale, sans éducation…Ils grandissent en sauvages, se racontent des histoires, s’inventent des mythes incongrus.
C’est un monde violent où chacun lutte pour survivre, un monde d’enfants tout de même où la denrée la plus rare est le pot de nutella, où les trocs se font sur des valeurs étonnantes. Même cruels, même violents, ils restent des enfants ignorants qui prennent des médicaments s’ils en trouvent quand ils sont malades mais n’importe quoi et n’importe comment ! Les personnages sont crédibles : les meneurs, la violence, la versatilité…
Anna approche de l’adolescence, elle était assez âgée au moment de l’épidémie pour savoir lire et se réfère comme à une bible aux instructions de sa mère pour survivre, un soutien que beaucoup d’autres n’ont pas. Par loyauté envers sa mère, elle veille sur son petit frère, elle lui raconte des horreurs magiques pour l’empêcher de voir les vraies, le protège du chaos extérieur… Anna est un personnage magnifique, d’une grande force. Son envie de vivre et de sauver son frère lui donne le courage d’affronter ses peurs et les dangers. Son seul espoir est des trouver des Grands qui auraient survécu, trouvé un vaccin, car elle grandit.
Niccolo Ammaniti nous entraîne dans un véritable cauchemar, on suit ces enfants perdus avec angoisse, en tant qu’adulte, on ne peut que voir que l’humanité est en train de s’éteindre par la disparition progressive de ses représentants les plus dépendants, innocents abandonnés. C’est stressant et on se prend à espérer avec Anna qu’il reste un Grand de l’autre côté de la mer…
Angoissant, implacable, un livre terrible qu’on dévore malgré tout.
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