Case Study
Traduction: Julie Sibony
« Je suis convaincue, voyez-vous, que le Dr Braithwaite a tué ma sœur, Veronica. Je ne veux pas dire qu’il l’a assassinée au sens premier du terme, mais qu’il est pourtant tout aussi responsable de sa mort que s’il l’avait étranglée de ses propres mains. Il y a deux ans, Veronica s’est jetée du pont routier de Bridge Approach à Camden et a été tuée par le train de 16h45 pour High Barnet. On pouvait difficilement imaginer quelqu’un de moins susceptible de commettre un tel acte. Elle avait vingt-six ans, elle était intelligente, épanouie et plutôt jolie. Malgré cela, à l’insu de mon père et moi, elle consultait le Dr Braithwaite depuis plusieurs semaines. Information que je tiens du docteur en personne. »
Le livre débute par un sommaire assez précis, comme on en trouve dans des essais ou des enquêtes. Suit une habile préface écrite et structurée comme un argumentaire. Voilà de quoi piquer la curiosité et susciter l’envie de prolonger la lecture plus avant.
Passée cette préface, on poursuit avec cinq cahiers tenus par la sœur (dont le prénom est tu) de la jeune femme décédée, entrecoupés par des séquences biographiques sur le docteur Arthur Collins Braithwaite.
Le premier cahier contient les pages d’un autre livre, celui du Dr Braithwaite dans lequel il expose ses théories en prenant pour exemple ses patients, ici en l’occurrence Veronica, renommée Dorothy, celle-là même dont on l’accuse d’avoir provoqué le suicide.
On y lit également un portrait de la sœur vivante, qui se cache derrière le pseudonyme Rebecca Smyth (« Oui, avec un Y« ), pour ses rendez-vous chez le Dr Braithwaite. Doucement, au long de ses cahiers, on la voit s’engouffrer dans un jeu de double, de miroir, où elle finit par avoir des conversations avec elle-même.
La première tranche biographique est consacrée à la jeunesse du médecin. Cette pseudo-biographie est écrite dans un style documentaire, avec des passages assez drôles sur ce bouffon antipathique et grotesque.
Ensuite, les cahiers puis les passages sur le psychiatre se suivent, il se passe peu de choses, « Une patiente » est une question d’ambiance. Que se passe t-il dans la tête de ces personnes ? Dans leurs vies plus ou moins grises ? Qu’inventent-ils pour se rendre intéressant ? On en oublierait presque le suicide de Veronica/Dorothy pendant un temps.
« Après un suicide, tout le monde se transforme en Miss Marple. On ne peut pas s’empêcher de chercher des indices. Et naturellement, c’est dans le passé qu’on les cherche, puisque c’est désormais tout ce qu’il reste de l’individu en question. Comme je l’ai déjà dit, on aurait pensé que Veronica était la dernière personne au monde susceptible d’un tel geste, ne serait-ce que parce qu’elle était si terriblement lisse. On imagine les suicidés comme des êtres agités, tourmentés, hagards. Veronica n’était rien de tout cela. Du moins elle n’en donnait pas l’air. Mais peut-être l’image qu’elle offrait au monde était-elle tout aussi fictive que celle que j’avais créée dans mon journal d’enfance.«
Si le livre se présente structuré comme un essai, c’est bel et bien un roman, et ce dès le premier mot : sommaire, jusqu’à l’intrigante dernière phrase des remerciements. Néanmoins, Graeme Macrae Burnet noie soigneusement son histoire dans un bain de détails véridiques, faisant apparaître des personnes ayant existé, semant des éléments factuels bel et bien réels du Londres de 1965. Cet ancrage dans la réalité lui permet d’entretenir un épais nuage de fumée et poursuivre son jeu d’équilibriste entre réalité et fiction.
La sœur qui écrit, Rebecca Smyth, multiplie les allusions à la « Rebecca » de Daphné du Maurier, et à l’adaptation d’Alfred Hitchcock avec Joan Fontaine et Laurence Olivier, les similitudes entre les deux sont nombreuses. C’est elle le personnage principal du livre, elle en écrit les différents cahiers qui sont un brillant autoportrait d’une sincérité parfois gênante et également d’un bel humour noir souvent proche de la perfidie, et quelquefois de la méchanceté. Elle aurait pu naître dans un roman de Dostoïevski ou de Simenon.
C’est le deuxième roman noir s’appuyant sur la psychiatrie que je lis cette année, l’autre étant le très réussi Je suis le dernier d’Emmanuel Bourdieu. Dans les deux cas, il s’agit d’une exploration des tréfonds de l’âme humaine, on est à cent lieues des romans avec coups de feu ou trafics de cocaïne. Bien que de formes très différentes, ces deux romans sont passionnants.
Une patiente n’est pas de tout repos, c’est un roman sur lequel j’ai passé beaucoup de temps, j’ai rarement fait autant de retours en arrière pour vérifier, voire relire des pages entières. Non qu’il soit compliqué, mais il demande une grande attention de lecture. Graeme Macrae Burnet a un sens du détail et du non-dit très bien développé. C’est ce qui rend la lecture addictive.
On envisage plusieurs fins pendant la lecture, et c’est évidemment (heureusement ?) une toute autre qui arrive, qui se révèle parfaitement évidente mais qu’on avait pas prévue. C’est à nouveau grâce à un subterfuge que G. M. Burnet s’en sort avec une belle maîtrise ; c’est un auteur habile bien sûr, mais pas uniquement, il construit son histoire et ses personnages avec brio.
NicoTag
Voir aussi: L’ACCIDENT DE L’A35, LA DISPARITION D’ADELE BEDEAU et L’ACCUSÉ DU ROSS-SHIRE.
Rebecca Smyth et son double réel évoluent en plein Swinging London, elles ont forcément entendu un paquet de bonnes chansons. Dont celle-ci :
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