Traduction : Hubert Tézenas.

Gordon Ferris est un auteur de polars écossais qui travaillait auparavant pour le ministère de la défense britannique.  Six de ses sept romans se déroulent dans l’immédiat après-guerre, une période bien noire qui fascine l’auteur : époque où le pays ruiné doit se relever et les chantiers de reconstruction entraînent forcément une corruption énorme.  « Les justiciers de Glasgow » est le deuxième tome d’un quatuor dont le héros est Douglas Brodie. Le premier tome « La cabane des pendus » a été publié aux presses de la cité en 2012 et est ressorti en poche en mars.

« Glasgow, la ville d’Écosse la mieux taillée pour le roman noir, connaît un été torride en cette année 1946. Douglas Brodie, ex-flic et sous-off tout juste démobilisé, vient d’être embauché comme reporter à la Gazette, où il doit vite faire ses preuves. L’occasion lui en est fournie par les exactions d’une bande de justiciers autoproclamés « les Marshals de Glasgow », qui ont l’accent des Highlands et envoient aux journaux des épîtres enflammées et agrémentées de citations des Évangiles. Leur mission ? Infliger un châtiment selon eux bien mérité à des criminels qui sont passés entre les mailles du filet de la justice. Dans une atmosphère alourdie par la pauvreté, les spéculations liées à la reconstruction et les dysfonctionnements de l’État, Brodie part pour une croisade en eaux troubles qui marquera durablement sa conscience. »

Je n’ai pas lu le premier tome de ce quatuor, et si cette enquête passionnante ne m’a pas posé de problème de compréhension (elle forme un tout, est indépendante bien que des conséquences et des personnages de la première enquête refassent surface) elle m’a néanmoins donné envie de lire le premier opus pour mieux comprendre les relations entre les personnages bien sûr, mais surtout parce que Gordon Ferris réussit à nous plonger dans une ambiance qui sonne juste dans cette période historique tourmentée dont on parle assez peu pourtant, et que Douglas Brodie est un personnage auquel on s’attache vite, dangereusement cabossé mais pas encore totalement brisé avec encore assez de rage pour se révolter contre les injustices.

Dans l’Ecosse d’après-guerre, les chantiers de reconstruction représentent des marchés énormes qui aiguisent les appétits des nantis qui ont déjà profité de l’économie de guerre. Pendant ce temps, la population tente de se remettre au mieux de cette tragédie et de reprendre une vie normale malgré la pauvreté, les tickets de rationnement et les traumatismes de la guerre. La plupart des ex-soldats, démobilisés tentent d’oublier les horreurs vécues dans l’alcool. Certains ont récolté la gloire en combattant, d’autres, faits prisonniers rapidement, n’ont même pas cette consolation et malgré qu’ils aient vécu eux aussi un calvaire, ils n’en retirent que mépris et honte. Beaucoup se retrouvent dans la misère ayant perdu les repères de leur vie d’avant.

Douglas Brodie, a surmonté la phase la plus alcoolisée de sa démobilisation, il fait encore des cauchemars mais a trouvé un poste de journaliste stagiaire et vivote tant bien que mal. Il est sensible au sort de tous ces ex-soldats abandonnés à leur sort après avoir risqué leur vie et entraîne son amie avocate, Samantha Campbell, à défendre l’un d’eux accusé de vol. Ce faisant il va devenir l’interlocuteur privilégié des justiciers sauvages qui sévissent dans la ville et sur lesquels il est chargé d’enquêter. Dans le même temps son mentor au journal, Wullie McAllister, déniche ce qui sera son dernier scoop avant la retraite : une affaire de corruption où pègre et puissants sont mêlés.

Gordon Ferris mêle ces deux enquêtes d’une main de maître sans jamais nous perdre, sur un rythme trépidant, sans temps mort, enchaînant les scènes d’action en ville ou dans les paysages magnifiques d’Ecosse. Et il réussit à intégrer à ce polar, classique dans sa construction, la description de la ville où cette justice sauvage ne choque pas tant que ça finalement, révélant les pires côtés de cette société, les raccourcis faciles, les intolérances qui peuvent la gangréner.

Les personnages avec leurs doutes et leurs failles sont loin d’être monolithiques et c’est ce qui les rend attachants et crédibles. Brodie est déglingué par les horreurs de la guerre, mais retrouve le réflexe de tuer pour lequel il a été formaté pendant six ans rapidement, il comprend les motivations désespérées des marshals de Glasgow mais sait aussi à quel chaos ça peut mener…

Un très bon polar, passionnant et intelligent.

Raccoon