Chroniques noires et partisanes

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TOUR MORT de Stéphane Grangier / Goater noir.

Il est l’heure de s’envoyer le troisième shot de la semaine, tiré des vieux bocaux du patron dans l’objectif d’instruire – si possible – au sujet des littératures « étrangères », à savoir textes et auteurs rattachés de quelque façon à cette protubérance terrestre nommée Armorique. Si on y connaît là-bas au moins cinquante nuances de gris triste ou enchanteur, on y poursuit l’étude de gammes plus noires. Avec un peu d’avance sur le calendrier éditorial, il est l’heure de se pencher sur la dernière production du résident rennais Stéphane Grangier, déjà tagué dans ces pages pour des participations à des projets collectifs (Rennes No(ir) futur, Sandinista ! Hommage à The Clash) et pour des œuvres en solo (Fioul). Tout cela en gardant grande fidélité à un éditeur généraliste majeur de la région, Goater, qui n’a pas négligé dès ses débuts d’ouvrir une branche Goater noir. Frédéric Paulin, Marek Corbel, Marion Chemin, Nathalie Burel… y ont fait étape, juste pour dire.

Un casse qui échoue et voici quelques malfrats qui se réfugient à la maison de la poésie de Rennes. Se faisant passer pour des apprentis poètes, pourtant traqués, ils vont tout tenter pour s’échapper, prenant en otage, poètes et bénévoles, avec comme destination Belle-île, la bien nommée. Un road trip très explosif qui suinte la vie et les galères des déclassés.

Tout d’abord un peu de sémantique. Pourtant supposé familier des quais et bon cavalier des embarcations du Finistère-Sud, j’ai dû m’informer. Un tour mort, c’est une façon basique d’enrouler son bout (on ne doit pas dire corde…) autour d’un truc stable, une bitte d’amarrage si disponible. Ce serait la première étape ou manœuvre, pour nouer quelque chose de plus solide que vous choisirez dans les dictionnaires de nœuds, en fonction de la nature de votre esquif. Pour résumer, c’est fait pour accrocher, de façon provisoire.

Provisoire, c’est un mot-clé pour définir la suite en avant des aventures des personnages de Stéphane Grangier. Des braqueurs losers, plus Extrême limite que Point Break, à Rennes, un beau matin, en échec, alors en fuite et barricadés dans un premier temps dans un établissement à vocation culturelle. Il faut forcer la porte d’un léger coup de coude (l’ouverture aux publics, on sait ce que c’est) et prendre, en douceur, des otages. Cela tombe bien, voilà dans les lieux un quatuor représentatif de la nazerie de tout un milieu, dans son époque aussi naze. Nazerie à la hauteur de celles de nos cons-cons flingueurs. La première centaine des pages de Stéphane Grangier fait tout bonnement frétiller. Tout bonnement très acides, comme on aime. Après, l’acidité ne disparaît pas. Mais nous partons vers des ailleurs moins concentrés. On enfile les canaux, puis les départementales, jusqu’au trait de côte et une traversée. Le gars Grangier se réjouit des road-trips bretons. Then, Hollywood, Plomodiern, now Rennes, Belle-île. C’est très bien, cela fait découvrir notre belle région selon des itinéraires moins balisés pour le tourisme des cons. Pour n’en rien dire de plus, ça va finir dans des eaux sales, tout ça. Sales, salées et vinaigrées. Façon Grangier.

Paotrsaout

PS: l’auteur est présent ce week-end à Rue des livres à Rennes.

SUGAR DADDY de Marion Chemin / Goater Noir

Il y a quelques mois encore, un mien camarade sur ce site écrivait : « Marion Chemin s’impose depuis une décennie en figure cash et incontournable de la nouvelle féminine, sucrée-salée, toute en mots doux et maux durs. » On ne peut en aucune manière le désavouer alors que paraît un nouveau (court) roman de l’autrice, prise apparemment ces derniers mois d’une frénésie (électrique forcément) de production. 

Sur les hauteurs du Havre, on s’affaire à préparer la fête d’anniversaire de Fred Stanis. un réalisateur de cinéma vieillissant. Sous les yeux d’un couple d’intermittents venus animer la soirée, Pomme, la fille de la maison, décide de gâcher la fête à sa manière. Sugar Daddy, c’est l’histoire d’une rencontre douloureuse entre deux mondes qui s’attirent sans se le dire.

Marion Chemin a une prédilection pour les histoires de familles, de couples, où, même enfouies, les blessures restent vives. La loi d’airain de son univers : une femme, un homme, ça abîme et ça s’abîme. Ce soir-là, c’était donc son soixante-treizième anniversaire et nous étions seuls. Le père, la fille et la haine. Marion Chemin a le talent également pour définir ses personnages féminins avec une rage et une tendresse décapantes. Et elle est lucide pour savoir que la sororité peut être aussi illusoire que la fraternité, spécialement quand elle doit dépasser les barrières sociales.

Sur les hauteurs du Havre, donc, une fille à son père et tout n’est pas sucre. Boursouflée par sa propre mésestime, enveloppée dans un corps disgrâcieux, Pomme a la haine. Mais ce soir-là, elle entend être reine. Son sale con de daron va morfler. Il prépare un raout aussi vain et fatigué que sa personne. Il vient de sortir son dernier film pourri mais encensé. Un réal français, quoi. Pomme veut tout faire péter, quitte à endosser une autre robe que celle qu’elle accepte de porter depuis toujours, la résignation. A-t-elle un plan ? Ce n’est pas certain. Des événements et la participation à la soirée d’un couple d’intermittents, Lucie et Gilles, lui en donneront l’occasion. Lucie se pose en positif prudent de Pomme. Pas accablée mais parfois miraculée. Pas défaitiste mais parfois défaite. Pas hideuse mais parfois rendue jolie par la chance, l’espoir ou le désir. Elle se croit à l’abri, elle a rencontré un homme, le sien. Elle construit sa vie, elle. Elle en une. Elle peut donc tout en perdre… Avec ses formules acides ou ses coups de griffes souriants, Marion Chemin nous raconte encore une fois que la famille, le couple, n’est pas le havre d’un bonheur idéalisé. Quand il y a une Pomme blette, c’est forcé, le reste du lot pourrit aussi, fille ou garçon. 

Un texte qui n’épargne pas les filles et les femmes, non plus que les papas et les gars. 

Paotrsaout

RENNES NO(IR) FUTUR d’Isabelle Amonou, Claude Bathany, Thierry Bourcy, Nathalie Burel, Danü Danquigny, Benjamin Dierstein, Thomas Geha, Stéphane Grangier, Arnaud Ladagnous, Stéphane Miller, Frédéric Paulin, Élodie Roux-Guyomard, Christophe Sémont, Erik Wietzel / Goater Noir

En convoquant, à la fin de l’année 2019, les auteurs du collectif rennais Calibre 35 ainsi qu’en lançant un appel à textes pour sélectionner trois d’entre eux autour d’une thématique « Rennes, quel futur ? Visions de la ville en 2030 », la branche noire des éditions Goater ne pouvait pas imaginer que la réalité offrirait quelques mois plus tard le scénario catastroph(iqu)e que nous connaissons. Soudain, l’horizon et le fantasme 2030 paraissaient totalement explosés. Le futur était en avance. Bouclé ce printemps, le projet regroupe 14 nouvelles noires et/ou d’anticipation dont certaines ont pu s’appuyer sur la sidérante réalité dans laquelle nous sommes depuis entrés. Il faut bien avouer que, même sans cela, bon nombres des auteurs participants avaient projeté une vision de l’avenir assez peu éclairée par l’optimisme et les couleurs de l’arc-en-ciel, entre fin du monde et pandémie, nouvelles technologies de contrôle de la population et écologie obligatoire, entre ségrégation spatiale et confinement, entre innovation et désespérance. C’était après tout répondre à l’esprit et au cahier des charges du recueil envisagé.

Le casting a sélectionné des autrices et auteurs aguerris, pour certain(e)s déjà exposé(e)s dans les chroniques Nyctalopes à des titres divers : Claude Bathany, Nathalie Burel, Danü Danquigny, Stéphane Grangier, Frédéric Paulin dans un ordre alphabétique.  Mais la totalité des participant(e)s contribue efficacement à la palette noire (et déprimante) exposée dans le recueil, selon l’approche existentielle ou la déclinaison dystopique choisies. On espère qu’au delà du public local ou familier de la métropole bretonne, il se trouvera des lecteurs capables de décoder – pour mieux les apprécier – les projections de certains textes, férocement ironiques. Ëtre administré en 2020 par une coalition PS-écolos ne protège pas d’une dérive idéologique ou autoritaire de cette même coalition, comme l’imaginent plusieurs nouvelles. 

Comme à chaque fois qu’il s’agit de recueil de nouvelles, je me garderai de 1/ d’en résumer les histoires 2/ d’en avancer un palmarès. Les angles, nuances, sensibilités apportés par les auteurs atteindront des lecteurs amateurs de littérature noire et d’anticipation tous différents. Ce qui ne m’empêche pas de pointer un texte qui m’a fait plutôt rigoler dans le genre Mad Max zoophile à la cocasserie saignante, « Germaine Pétrograd » de Benjamin Dierstein. 

Il y a une phrase qui dit quelque chose comme « les Bretons ont toujours Roazhon ». Vu d’ici, en 2030, ce sera salement différent.

Paotrsaout

LES ÂMES DÉGLINGUÉES de Claude Bathany / Goater noir

Après une période plus prolifique en littérature jeunesse, le Brestois d’origine Claude Bathany (membre fondateur  de Calibre 35, collectif des auteurs rennais de roman noir) publie cet automne chez Goater noir un recueil de 14 nouvelles. Une décennie a passé déjà depuis qu’il nous avait séduits avec la drôlerie et le vif de ces romans noirs finistériens, Last exit to Brest et un étonnant Country Blues, sis dans les Mont d’Arrée.

Les nouvelles dessinent des portraits de personnages plongés dans leurs turpitudes, par exemple, comme l’annonce la 4e de couv’,  « un écrivain phagocyté par sa doublure, un autre manipulé par son futur éditeur, un patient hanté par sa transparence sociale, un employé modèle, carpette idéale de sa hiérarchie, un chômeur martyrisant sa mère par haine de soi, un accordéoniste rêvant d’une gloire cantonnée à sa boîte crânienne, un agent de sécurité d’une bêtise jusqu’au-boutiste… ».

C’est sous l’angle de la psychologie minutieuse qu’il nous est permis d’approcher et d’accompagner les représentants de cette triste humanité. Claude Bathany décortique les affres, les angoisses, les élans, les patatras !,  parfois les coups de talon pour se rétablir d’une situation difficile de ces êtres falots ou salauds. Personne n’est à envier ou admirer dans les nouvelles. « Que ceux qui ne s’y reconnaissent pas leur logent la première balle » avertit d’ailleurs la présentation éditeur.

Si Claude Bathany maîtrise l’exercice, on espère voir saillir quelque chose de plus saignant dans cette farandole monocorde. Et cela est possible : quand éclatent soudain l’outrance et la férocité d’Eternelle solitude, l’histoire d’un chômeur tortionnaire, queutard, qui ne s’encombre pas de la décence, on jubile. Une âme, il y aurait à discuter, déglinguée, sans conteste. Plus loin, le triangle amoureux de Mozo de Espadas, dans les milieux de la tauromachie, a la délicatesse et l’estoc d’une épée bien forgée. Puis le recueil renoue avec ses notes désenchantées que l’auteur pianote avec conviction, comme si c’était la seule partition qui trouvait grâce à ses yeux. Au final, on espère que la récurrence du personnage de l’auteur en mal de veine dans ces nouvelles ne soit pas une forme d’autoportrait de la misère. 

Paotrsaout


FIOUL de Stéphane Grangier / Goater Noir.

 

Du raffinage des matières noires à la base des littératures de même couleur, on extrait des produits de viscosités diverses. Le contenu du gros baril (et la couleur d’icelui) de Stéphane Grangier, intitulé Fioul, ne prendra donc personne par surprise. Il s’agit là du deuxième roman de l’auteur, après Hollywood-Plomodiern paru chez Goater Noir en 2014, un road movie foutraque et West Coast, c’est-à-dire terminant en butée dans le Cap-Sizun finistérien (dont l’auteur est bien plus proche sentimentalement) au lieu que dans les canyons qui entourent la Cité des Anges. Quelques-uns des lecteurs de ce blog auront peut-être entendu parler de cette maison d’édition rennaise dont les Nyctalopes ont déjà chroniqué des romans (Thierry Paulin, Marek Corbel) ou un recueil collectif (Sandinista ! Hommage à The Clash), dans lequel Paulin, Corbel et Grangier se côtoient car, à Rennes, on écrit et on publie aussi en camaraderie.

Déjà manifesté dans Hollywood-Plomodiern, le plaisir de Stéphane Grangier à faire clapoter dans la même nappe bitumineuse les méandres de mecs cabossés par la vie, pas glorieux et même fumiers sur les bords, se réitère dans Fioul. S’additionnent, s’embrouillent et s’enfoncent, dans le roman, un auteur en panne d’inspiration et de force pour parcourir le prochain mètre (à moins qu’il ne s’arrose le moral de gnôle et de poudre), pas très heureux dans ses choix féminins, des bandits manchots (du bulbe) lancés à sa poursuite, réveillés d’une congélation barbouze par un coup de fil, des flics à problèmes qui remontent la piste sanglante et, loin au dessus, des pontes noirs salauds de la finance grise. D’une préfecture sur les bords de la Vilaine, nous carburerons jusqu’à un département du Var en prise avec des vilains, proches du FN.  Pour finir, il y aura une mare où les cloques de goudron éclateront et feront sombrer les losers de droit, sinon de destin. Il est d’ailleurs difficile d’étiqueter un roman qui mélange des éléments de polar, de thriller économique et de fibroscopie biographique.

Ecrit avec une langue crue, verte, Fioul est pourtant bien d’un noir hydrocarbure. Epais également car l’auteur est généreux, ce qui parfois fait naître l’idée d’un découennage de bon aloi. Au risque de nous faire perdre les saillies de l’auteur ou les épices de poésie sale dont il a le secret, capable par exemple de ressortir un doigt d’un rectum enrobé d’effluves « sylvestres ».

Un texte noir et visqueux qui se répand inexorablement. On fait confiance à l’étanchéité de sa combinaison ou on fait demi-tour.

Paotrsaout

AUGUSTE L’ AVENTURIER de Marek Corbel / Goater noir.

Il rend un bien bel hommage, Marek Corbel, dans son dernier roman noir, Auguste l’aventurier, librement inspiré par la vie et l’œuvre d’Auguste Monfort dit Le Breton (1913-1999).

Né à Lesneven (29-N, comme le précisaient les PTT à une autre époque, qui n’avaient pas intérêt à se gourer de train postal), orphelin de père dès les premiers orages d’acier de la guerre en 14, abandonné par sa mère par la suite, le jeune Auguste devient pupille de la Nation et est placé en intuition. Il s’en évade plusieurs fois, ce qui l’amène être transféré dans un Centre d’Education surveillée, au régime sévère. Devenu adulte, en région parisienne, il fréquente la zone et mène une vie de petit ouvrier. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale et l’Occupation surviennent, il fait le bookmaker, possède des parts dans des tripots et restaurants, s’égratigne avec une partie du Milieu français qui profite de cette période pour développer des affaires et des « services » voués depuis aux gémonies. Certains de nos bandits nationaux de l’époque choisirent en effet de se salir les mains et l’honneur. Auguste, qui faillit vraiment mal tourné, décoré de la Croix de Guerre à la Libération, ne se vit jamais que comme « héraut » de celles et ceux à qui on avait salopé l’enfance. Il en savait lui-même quelque chose.

C’est une promesse personnelle, après la naissance de sa fille, qui le pousse à écrire et devenir un auteur de romans noirs et polars, signés par sa maîtrise d’une langue verte et argotique. Il invente le terme même de « rififi » et en décline le terme dans de multiples titres, introduit le verlan dans la littérature, qui jusque-là était le verlen pour ses locuteurs. Ses succès de librairies deviennent aussi des adaptations cinématographiques assez peu méconnues, pour employer la litote : « Du rififi chez les hommes », « Razzia sur la chnouf », « Le clan des Siciliens ».  Il côtoie Gabin, Ventura, Delon, Hossein, Gilles Grangier, Henri Decoin, Henri Verneuil, Jean-Pierre Melville.

J’abrège. Vous lirez de toute façon sur la page Wikipédia d’Auguste des lignes qui ressembleront trop aux miennes, qui n’a pas le courage de rédiger mieux. Cela m’a en tout cas donné envie d’en savoir plus.

Marek Corbel a trouvé la force et le talent pour nous donner un Auguste réinventé dans son expression et des moments de sa vie (et ceci nécessite un travail de recherche et de passion, il faut le saluer) : Gus Le Léon, taulier de bar interlope et prêt au coup de main pour sauver une pauvre fille bretonne mise au tapin (contre quelques talbins quand même), dans le XVIIIe arrondissement de Paris, aux dernières heures de l’Occupation en août 1944 ; le ci-après Auguste Tréguier, écrivain reconnu et déjà sur la pente du dédain dans les milieux littéraires, au beau milieu de l’été caniculaire de 1976, en villégiature à Nevez (29-S, comme le précisaient les PTT à une autre époque). Un satané bougre, un peu amer, mais toujours attaché à la Bretagne et à ce que lui a enseigné son destin personnel : « il faut (essayer de) sauver les enfants de la dureté de ce monde ».

Trois décennies après, ce qu’il a fait en août 1944 à Paris, revient lui gratter la mémoire, en la personne de Suzanne, une journaliste locale, qui a trente ans de chagrin sur le plastron. Elle est chargée de l’interviewer. Auguste va réaliser petit à petit à qui il a affaire. Ils ne se sont plus vus depuis lors. Mais ni l’une ni l’autre n’ont réellement oublié.

Pas loin, dans une résidence sur les bords de l’Aven, Le Hénan, on a retrouvé, un notable au passé pas si glorieux, calanché. Mort pas si naturelle, se révèle-t-il. Tandis qu’un gendarme local, un peu con, et un vieux briscard de la Sûreté rennaise envoyé sur place, s’acoquinent et racontent au travers de leurs échanges formels ou moins, la police et ses dynamiques politiques, en particulier en région Bretagne, depuis la Libération, jusqu’à la Ve République, le passé plus personnel pour d’autres remonte à la surface…

J’ai aimé, au travers de sœurs, que cela parle aussi de ces femmes bretonnes de la première moitié du XXe siècle, perdues entre la paroisse, la tradition et la grande ville, où elles ont été avalées, bonniches ou putains, bonnes filles du terroir assez fragiles pour qu’un sale destin (et des sales types) en fasse des putains. Certaines ont trouvé un courage énorme a existé.  On a pu faire de Bécassine une godiche de l’imagerie nationale aussi parce qu’elle cristallisait une réalité de l’histoire sociale française. Un jour, quand il n’y eût plus assez de pauvres filles originaires des provinces à vouloir survivre, malgré la misère, les préjugés religieux et bourgeois, on partit en trouver ailleurs : Europe du Sud, Maghreb, Sud-Est asiatique… Toutes n’ont pas eu leur histoire évoquée ou exposée. Toutes n’ont pas eu un sauveur comme Auguste.

Parfois, dans ce roman d’une grande culture historique, littéraire et stylistique, régionale aussi, on se retrouve pris dans un faisceau de points vues et d’époques, entre août 1944 (l’Histoire) et août 1976 (la saison). On peut alors s’égarer entre troisième personne du pluriel, deuxième personne du singulier, reconstitutions historiques précises et vivantes et anecdotes locales non moins précises et vivantes, qu’il saurait falloir contextualiser ou décrypter. Ce serait peut-être à mes yeux un des défauts de l’écriture, celui de nous laisser par brefs instants désorientés. Mais d’autres pourraient y voir une virtuosité narrative.

En tout cas, du Paris des voyous et des compromis sous l’Occupation à l’été caniculaire de 1976 sur la côte sud du Finistère, Marek Corbel nous rend plus proche la voix, la gouaille et le parcours sinueux d’un personnage, Auguste, qui, s’il n’est ici pas totalement réel, est diablement romanesque.

Emouvant portrait et belle reconstitution d’époque.

Paotrsaout

 

 

SANDINISTA ! Hommage à The Clash / Goater Noir.

Sous la direction de Jean-Noel Levavasseur.

Couvertures de Jean-Christophe Chauzy.

Préface de Caryl Ferey.

Avec, par ordre d’apparition, des textes de Serguei Dounovetz, Stéphane Grangier, Michel Embareck, Jean-Hugues Oppel, Caroline Sers, Karine Médrano, Anne Bourrel, Alain Feydri, Thierry Crifo, Jean-Luc Manet, Sylvain Bertrand, Jean-Noël Levavasseur, Thierry Gatinet, Nathalie Burel, Mark Kerjean, Frédéric Prilleux, Sylvie Rouch, Thomas Fleitour, Max Obione, Stéphane Le Carre, Patrick Amand, Marion Chemin, Mathieu Rock, Marc Villard, Hugues Fléchard, Mouloud Akkouche, Léonard Taokao, Olivier Mau, Jean-Bernard Pouy, Denis Flageul, José-Louis Bocquet, Olivier Martinelli, Mathias Moreau, Pierre Domengès, Frederic Paulin,  et Giuglietta.

S’il est une chose que la lecture des chroniques du blog Nyctalopes confirme, c’est bien que la musique rock au sens large offre aux lecteurs et aux auteurs de littératures noires des références, des inspirations ainsi qu’un bruit de fond, un élément d’ambiance, un rythme qui accompagneraient l’écriture ou la lecture.

Jean-Noël Levavasseur est un grand apôtre de la nouvelle noire et rock. L’homme n’en est pas à son premier coup éditorial. Depuis 2009, il  a aggloméré autour de son aimable personne et de plusieurs projets de même essence (à savoir rendre hommage à ou s’inspirer de l’univers d’un groupe de rock  ou d’un de ses LPs) une chorale d’auteurs (dames et messieurs) de textes noirs – connus, reconnus  et nouveaux venus – pour éditer des compilations littéraires dédiées, par exemple, à The Clash, The Ramones, Little Bob, The Cramps, Bérurier Noir, Nirvana, The Gun Club ou Motörhead.

La branche noire (et armée de talent) des éditions rennaises Goater a décidé cette fois de porter ce dernier projet en date. Ce n’est pas une anomalie. Déjà, parce ce que Goater a l’éclectisme militant. Ensuite, parce que sa collection noire (aux superbes couvertures, qu’il soit dit au passage) regroupe dans son porte-feuille  un certain nombre de plumes de qualité que nous retrouvons dans le recueil : Frédéric Paulin, Nathalie Burel, Stéphane Grangier, Léonard Taokao, Mark Kerjean… Le casting s’appuie également sur Michel Embareck, JL Manet,  Olivier Martinelli, Max Obione, JH Oppel, JB Pouy, Marc Villard… bourlingueurs du texte noir et du polar, qui ont plus d’un 33T dans leur sac. Il en reste un certain nombre que je ne mentionne pas mais qui participe pleinement à l’entreprise. Goater Noir a en tout cas donné carte blanche à Jean-Noël Levavasseur et ses copains, à Caryl Ferey (préface) et à JC Chauzy (couvertures) pour construire un atypique recueil en trois tomes, disponibles à l’unité ou bien fagotés dans un même coffret.

Trois tomes comme trois disques, trente-six titres pour trente-six auteurs. Car il faut en venir au cœur du projet, après ces longs prolégomènes. Ce recueil rend hommage à un groupe mythique et à une de ses productions, qui ne mérite pas moins le même adjectif journalistique. The Clash et Sandinista ! Le triple album vinyle sort à la fin de l’année 1980. Musicalement, il marque une ouverture inédite, dans les compositions du groupe, à des genres variés : rock n’ roll, rhythm and blues, reggae, calypso, dub, jazz, gospel, rap, soul, rockabilly et folk. Historiquement, il exprime la vision mondiale d’un groupe engagé, au cœur de son époque. L’affrontement Est/Ouest se cristallise en particulier en Amérique Centrale. Mais The Clash n’en oublie pas moins de pointer d’autres problèmes sociaux et politiques plus britanniques.

« Sandinista ! est le genre d’album qui vous suit toute la vie  puisqu’ elle court après ; on ne s’en lasse pas à force d’étrangetés, d’expérimentations, de sons nouveaux mille fois revisités depuis. » écrit Caryl Ferey dans sa préface.

Alors du noir, du rouge, couleurs révolutionnaires, couleurs de désespoir, de galère, de lutte et de violence, vous en trouverez sur le dessus et dans le dedans de ce recueil. Vous  trouverez aussi des références musicales et historiques (précises ou alors à la frontière floue de la fiction), des endroits et des époques, des balles et des lames de métal, qui ouvrent dans les chairs et les souvenirs des bouches assez grandes pour en faire sortir des rires, vous trouverez du con et du cul, des crépuscules et des aubes, des clichés et des instantanés., du style et du soufre. Vous trouverez peut-être l’envie de vous plonger en intégralité dans les trente six titres, de l’album et du recueil. Vous trouverez peut-être l’envie de découvrir ou de creuser la bibliographie des trente neuf (Caryl Ferey et JC Chauzy et Goater Noir compris) contributeurs, rassemblés par la camaraderie, la folie, la connerie et une certaine envie de raconter des histoires et de les partager. Termes qui entreraient, pour ma part, dans une tentative de développer la définition du « rock ».

Sortie officielle ce week-end aux festivals Noir sur la Ville à Lamballe ou L’ Autre Livre à Paris.

Fan material, for sure. Mais noir, rock et récréatif  pour tous les autres.

Paotrsaout

LEMONDE EST NOTRE PATRIE de Frédéric Paulin / Goater noir.

Frédéric Paulin, Rennais depuis de nombreuses années bénéficie d’une belle côte d’amour chez ses pairs mais n’a pas encore connu le succès public qu’il mérite sans conteste. Souhaitons qu’avec ce nouveau roman édité à la maison d’édition rennaise Goater, il en soit différemment.

 
« Orbs patria nostra. Le monde est notre patrie.
Condottieres, Gardes Suisses ou corps francs sont relégués aux confins de l’histoire ou du roman lorsque Maxence Stroobants se tatoue la devise des mercenaires sur le corps. Au 21ème siècle, il vend son savoir-faire de combattant au plus offrant. De l’Irak au Niger, du Mali en Syrie, lui et ses compagnons escortent, sécurisent, défendent les intérêts politiques et économiques de pays ou d’entreprises internationales.
Mais lorsque la guerre rapporte trop d’argent et devient un business de multinationales tentaculaires, les gouvernements s’en inquiètent. Et tant pis si à l’époque de la guerre de basse intensité, les gouvernements utilisent les nouveaux mercenaires pour assurer la sale besogne.
Peut-être que Stroobants et les siens ont trop vite oublié la première règle de la guerre qui ne dit pas son nom : un mercenaire n’a pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre.
Mais ce n’est pas sur le champ de bataille que Stroobants va devoir sauver sa peau. Les ors de la République et les cours de justice occidentales vont s’avérer des terrains bien plus dangereux qu’une ligne de front. »

 
Les lecteurs avertis verront tout de suite le lien avec Pukhtu mais si les officines paramilitaires étaient partie prenante du roman de DOA elles n’étaient néanmoins qu’un pan de l’œuvre pharaonique. Ici, ces petites entreprises très discrètes mais terriblement efficaces sont le sujet du livre et comme c’est une organisation française qui est suivie et cela nous permet de voir un peu les « entreprises » de l’Etat français dans son combat pour la liberté et la démocratie à travers plusieurs terrains de guerre au Moyen Orient ou en Afrique. De même que BAAD de Cédric Bannel permettait de mieux connaître l’Afghanistan, « le monde est notre patrie » s’avère un très bon complément à Pukhtu si vous avez été fascinés par cette manière de faire la guerre au XXIème siècle.

 
Dès les premières pages, vous êtes embarqués dans un autre monde où la violence et la mort sont toujours présentes, un monde qui ne nous émouvait plus tellement tant la répétition des images créait chez nous une regrettable habitude et une bien basse lassitude. Maintenant que la barbarie apparaît chez nous, on semble mieux comprendre ce que peuvent vivre toute leur brève vie certaines populations.

 
Bref, Paulin semble extrêmement bien renseigné et son récit est tout de suite vivant, vibrant et en même temps très informatif sur la paire Stroobants / Blaskó leaders de l’organisation, soldats de fortune et compagnons d’infortune que l’on suit sur les divers terrains de jeux des puissants : Irak, Syrie, Mali et Niger et aussi dans les salons où tout s’achète et tout se vend et où politiciens, banquiers et industriels se partagent le gâteau et décident, au chaud, de l’avenir de certaines régions du monde et de leurs populations. Et Stroobants découvrira rapidement qu’il est beaucoup moins dangereux de se déplacer entre l’aéroport et le centre de la ville la plus dangereuse du monde, Bagdad, que d’arpenter certains salons douillets de Paris.

 
En prenant le temps de raconter ses personnages, Frédéric offre ainsi un roman où les scènes spectaculaires alternent avec des moments qui permettent de mieux comprendre les comportements et les agissements de chacun. Bon, peut-être que l’auteur aurait pu faire l’économie d’une histoire d’amour mais, pas d’ennui, ça roule, ça secoue et dans les pas de DOA, Manotti, Oppel… Frédéric Paulin a écrit un roman « politique » qui comme ceux des auteurs déjà cités permet de voir un peu l’envers du décor.

 
Habile.

 
Wollanup.

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