Chroniques noires et partisanes

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GLAISE de Franck Bouysse / La manufacture de livres.

Ce qu’il advint de ces familles agrestes durant le premier conflit armé dans la partie occidentale du Massif central en la commune de St-Paul-de-Salers est évoqué dans ce récit pierre de silex. Les ravages des actions belliqueuses des hommes ont des répercussions mêmes dans des zones isolées, peuplées de terriens ancrés dans une certaine philosophie taiseuse et le rustique se conjugue avec un intangible quotidien. C’est cet équilibre qui est remis en cause, remis en cause par cette guerre monstrueuse, remis en cause par l’insertion de deux femmes troublant cette monotonie.

« Au pied du Puy-Violent dans le cantal, dans la chaleur d’août 1914, les hommes se résignent à partir pour la guerre. Les dernières consignes sont données aux femmes et aux enfants: même si on pense revenir avant l’automne, les travaux des champs ne patienteront pas.Chez les Landry, le père est mobilisé, ne reste que Joseph tout juste quinze ans, en tête à tête avec sa mère et qui ne peut compter que sur Léonard, le vieux voisin. Dans une ferme voisine, c’est Eugène, le fils qui est parti laissant son père, Valette, à ses rancoeurs et à sa rage: une main atrophiée lors d’un accident l’empêche d’accomplir son devoir et d’accompagner les autres hommes. Même son frère, celui de la ville, a pris la route de la guerre. Il a envoyé Hélène et sa fille Anna se réfugier dans la ferme des Valette. L’arrivée des deux femmes va bouleverser l’ordre immuable de la vie dans ces montagnes. »

Il ne se trouvera des sols assez sauvages et barbares pour éprouver si la matière de la création peut-être façonnée selon la volonté de l’homme ou si le cœur humain n’est qu’une autre sorte de glaise. Franck Bouysse aime à façonner le mot, le verbe. Il cherche à imager l’expression avec sa part de naturalisme et son attachement semble aussi solide envers notre terre nourricière que les hommes qui la peuplent. Le film sépia se déroule devant notre regard par sa plume reconnaissable. Et dans cette rudesse, cette âpreté, il tente et réussit à nous faire apercevoir le soleil, sa lumière qui guide et réchauffe les cœurs. Car dans ceux-ci il y a des tempêtes, le bouillonnement des émois, les bourgeons de sentiments incandescents. Son style, son écriture nous permettent d’entendre la mélodie d’un oiseau à la cime d’un arbre jamais planté. Le récit, comme les précédents, est réduit comme un écorché anatomique. On révèle que le visuel, on trace temporairement des lignes de vie qui sont fortes et burinées par le contexte historique et géographique.

Mais j’ai ressenti que l’auteur en gardait sous le godillot et refrénait son envie de développer le conte noir, à dessein probablement, mais sous ce « tricot » littéraire on sent, JE sens que l’on pourrait être face à un roman plus ample, allant au bout de son message. Le plaisir reste bel est bien là car la faculté de Franck Bouysse de vous embarquer dans son écriture, tel un Julien Gracq, surpasse le reste. Un grand livre est une livre écrit et non pas une belle histoire….

Le plomb du Cantal narré par un expressionniste brillant des mots !

Chouchou.

VAGABOND de Franck Bouysse / La Manufacture de Livres.

On déambule, on cherche une voie, une voix…L’accompagnement dans cette lassitude, dans cette aridité d’un être fracturé par les impasses, érodé par les échecs, les tourments sentimentaux nous conduit irrémédiablement dans une mise en abîme.

« L’homme est traqué.
L’homme joue du blues chaque soir dans un obscur bar de la rue des Martyrs à Limoges. 
Lorsqu’il dérive vers son hôtel, au milieu de la nuit, il lui arrive de dialoguer avec des clochards et autres esprits égarés. 
Il lui arrive de s’effondrer sur les pavés des ruelles antiques et de s’endormir, ivre ou épuisé. 
Il lui arrive aussi de ne jouer sur scène que pour une femme qu’il semble être le seul à voir.
Mais l’homme est traqué
 pas par un tueur. Ni par un flic. Quelque chose comme des ombres. »

L’auteur en ponctuant sa prose d’un ton écarlate, par le biais rhétorique de la Numération Formule Sanguine, densifie son propos et y adjoint un prisme de lecture tendu et fragile. Ce fil rouge encense les sens, crédite les humeurs d’une viscosité prompte aux thrombus. Caillots tensionnels qui bloquent les sentiments emplis d’acrimonies, de rancœurs.

On suit cette progression de ce musicos sans avenir, sans ambition, sans autre but que de survivre. Pourchassé par des fantômes lui retirant son libre arbitre et sa bienveillance pour autrui il se délite aux yeux de chimères faites d’émotions perdues et de résidus amoureux.

Derrière les paravents d’une pudeur incarnée par une solitude amère et emplis d’une mélancolie envahissante, son chemin n’a qu’un seul but et ce sera son chemin de croix.

Comme le présente Franck Bouysse, en citation des pages de garde de l’ouvrage auquel je ne peux m’empêcher de m’y référer à mon tour, pour ce qu’il représente à mes yeux et dans mon champ musical :

J’ai fait la saison

Dans cette boîte crânienne

Tes pensées, je les faisais miennes

T’accaparer, seulement t’accaparer

D’estrade en estrade

J’ai fait danser tant de malentendus

Des kilomètres de vie en rose

Alain Bashung

La nuit Je mens

Bouleversant et rouge.

Chouchou.

 

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