The Edge Of America
Traduction: Mathilde Helleu
Jon Sealy était apparu dans les librairies en 2017 avec Un seul parmi les vivants publié par Terres d’Amérique d’Albin Michel, un impressionnant premier roman. Six ans plus tard, exit Albin Michel et arrivée dans la collection EquinoX des Arènes chez qui il se passe beaucoup de choses intéressantes en ce début 2023: nouvelle maquette, format resserré et surtout venue de deux jeunes auteurs américains qui sont loin d’être des seconds couteaux Jon Sealy et John Vercher dont nous reparlerons aussi bientôt avec beaucoup de plaisir.
Un seul parmi les vivants traitait d’une histoire de contrebande d’alcool au moment de la prohibition en Caroline dont est issu l’auteur. Les trafics sur le sol américain ne doivent pas laisser insensible Jon Sealy puisque Florida parle, entre autres, du trafic de came tout particulièrement à Miami, Magic City comme on la nomme souvent au milieu des années 80 quand la Floride était la plaque tournante du trafic sur le sol ricain.
“Bobby West règne en maître sur Miami.
La quarantaine florissante, il surveille le sud des États-Unis pour le compte de la CIA.
Ruiné par ses investissements politiques et son divorce, il accepte une opération de blanchiment pour le trafiquant Alexander French. Mais sa fille s’empare du pactole et s’enfuit avec un inconnu.”
La couverture et la quatrième de couverture, aussi réussies soient-elles, laissent peut-être présager un bouquin un peu déjanté avec une course poursuite d’un père aux abois mais ce n’est pas du tout cela. The Edge of America, le titre original, beaucoup plus maline, n’incitait pas une confusion possible avec les polars azimutés de Carl Hiassen ou de Tim Dorsey, dont les romans se situent aussi en Floride.
S’il fallait situer ce roman, disons qu’on est très souvent proche d’une écriture journalistique comme le faisait si bien Tom Wolfe, auteur par ailleurs d’un très bizarre Bloody Miami et surtout un grand observateur de la société américaine qu’il mettait génialement à nu dans ces trop rares romans. On peut ainsi établir une certaine similitude entre la chute de Bobby West et celle du héros bouffi d’orgueil et de certitudes narrée par Wolfe dans Le bûcher des vanités. Le destin de West pourra aussi s’apparenter à celui du héros du film Cartel de Ridley Scott dont le scénario avait été écrit par Cormac McCarthy.
Le ton est parfois humoristique, léger en apparence au début du roman où se mettent en place tous les éléments qui vont conduire aux sales ennuis de West.
“Le pays était au bord du gouffre et il voulait seulement se tirer d’affaire avant que l’histoire se répète et que le château de cartes ne s’effondre”
Mais on s’aperçoit très vite que West, ponte de la CIA, qui a voulu se préparer une retraite dorée à peu de frais, est dans une belle panade. La mafia veut récupérer son argent, trois millions de dollars quand même, dérobés par une gamine en fuite avec un jeune nouvellement embauché par la Pieuvre locale. La direction de la CIA sent qu’il y a un problème dans les finances de sa boutique de Miami d’où elle surveille le Cuba de Castro mais aussi les puissants opposants au régime.
Le cauchemar de West, très prenant, ne saurait cacher tout le travail effectué par Jon Sealy pour nous raconter, à travers cette histoire, de manière très claire, brillante parfois les sales affaires de la CIA: sa collusion avec les barons de la drogue, ses financement sales dans les guerres d’opposition aux régimes communistes, ses modes opératoires au-dessus des lois, au-dessus du Congrès, ses méthodes de désinformation, de falsification de la vérité, ses meurtres.
“Il ne s’agissait pas de servir son pays, mais de se servir soi-même. Depuis plus de dix ans, Miami était inondé par l’argent des drogues colombiennes, mais cela ne dérangeait personne. Pas plus qu’on ne s’inquiétait du fait que la CIA s’enrichissait secrètement grâce aux drogues en provenance d’Asie centrale. Mais que Bobby West redistribue cet argent à des exilés voulant renverser Fidel Castro, alors là-non, ça ferait mauvais genre.”
Puissant, percutant, éclairant et passionnant de bout en bout, un très grand roman.
Clete
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