Chroniques noires et partisanes

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LA METHODE SICILIENNE d’Andrea Camilleri / Fleuve Noir.

Il Methodo Catalanotti

Traduction: Serge Quadruppani.

« Pour le fidèle bras droit du commissaire Montalbano, l’infatigable coureur de jupons Mimí Augello, c’est une nuit comme les autres lorsqu’il doit se sauver par la fenêtre de la chambre de sa maîtresse pour échapper au mari cocu. Ce qui l’est moins en revanche, c’est de tomber à l’étage du dessous sur le voisin allongé sur son lit, élégamment vêtu… et mort.

Le lendemain matin, un appel au commissariat signale qu’un homme a été retrouvé dans les mêmes circonstances, à une adresse différente. Comment est-ce possible ? Qu’en est-il du premier corps ? Ces tableaux macabres ont un bien étrange goût de mise en scène théâtrale…

Montalbano parviendra-t-il à résoudre cette affaire, dans laquelle drame et réalité se confondent et où les cadavres disparaissent comme dans une pantomime ? »

La Sicile, ses odeurs, ses senteurs, ses saveurs, ses ombres et ses lumières, ses chants et ses silences, un petit coin perdu tout au sud de l’île où le pittoresque et le charmant côtoient hélas aussi le sordide. Et pour résoudre des crimes depuis 1994 à Vigata, nom donné dans la série à la ville natale d’Andrea Camilleri de Porto Empedocle, on fait appel à une équipe de bras cassés aux moyens financiers, mécaniques et humains trop limités pour lutter réellement contre la criminalité insulaire mais qui compensent leurs manques par une malice, une volonté sans faille et un peu de chance. L’inénarrable Catarella, le dragueur fou Mimi Aurello et le taiseux Fazio forment la garde rapprochée de Salvo Montalbano, chef de la police. Sorte de Bacri rital, compensant son irritation devant les excentricités de ses subordonnés par des abandons coupables dans les mets les plus riches de la cuisine locale, Salvo Montalbano joue parfois les gros durs, rampe devant son éternelle fiancée génoise gênante et qu’il aime beaucoup plus quand elle est sur le continent, loin de lui. A ce propos, pour les habitués, la relation entre Livia et Montalbano va connaître un rebondissement aussi imprévu que surprenant.

Alors, reconnaissons qu’au départ, l’enquête est mise de côté, le ton est assez léger et on se régale des pitreries de cette belle bande d’éclopés où Mimi et… Montalbano ne pensent qu’à baisouiller. On sent que Camilleri a eu envie de rester dans cette ambiance, célébrer encore les belles choses, les amis, le bon vin et les assiettes fumantes.  Mais si l’humour est si souvent présent au début des romans de Camilleri, c’est pour mieux vous saisir quand la chasse est lancée. Chaque enquête de Montalbano révèle des aspects bien sombres de la Sicile où le malheur n’est pas toujours imputable à l’insaisissable Mafia. Cet épisode se déroule dans le milieu théâtral, on aime beaucoup y jouer la comédie et créer l’illusion.

Andrea Camilleri, décédé en 2019, était un immense conteur qui avait aussi un grand respect pour ses lecteurs qu’il a voulu satisfaire jusqu’à la toute fin. Malade et devenu aveugle, il a dû se résoudre à dicter ses derniers écrits et notamment La méthode sicilienne.

Clete

DES POIGNARDS DANS LES SOURIRES de Cécile Cabanac / Fleuve Noir.

Catherine Renon et ses enfants rentrent d’un week-end passé chez sa sœur malade Annie. La maison est vide, son mari François a disparu. Mais le couple ne vivait plus vraiment ensemble, ils cohabitaient pour sauvegarder les apparences. Catherine pense que son mari a décidé de rompre tout lien avec eux, et est parti mener la grande vie avec ses maîtresses. Elle ne s’inquiète pas, bien au contraire, elle décide de reprendre sa vie en main, ce qui interroge ses proches.

Il s’agit d’une famille bourgeoise, en plein de cœur de l’Auvergne. Dans ce cadre, les apparences sont importantes, on se soucie du qu’en dira-t-on. Malgré un mari volage, alcoolique, elle a toujours fait face, elle s’est toujours consacrée à sa famille, à ses enfants. Se retrouvant seule avec eux, elle décide de reprendre l’entreprise de son mari, de continuer en gardant la tête haute.

Parallèlement à cette petite vie bourgeoise qui vole en éclat, on retrouve un corps démembré, l’identification est difficile. Virginie Sevran vient d’être mutée par choix à la SRPJ de Clermont Ferrand, elle est chargée de l’instruction. Bien sûr l’enquête va la mener à cette famille étrange, où aucun ne paraît s’inquiéter, ou craindre véritablement la disparition de François.

On assiste ainsi à la mise à nu de la famille Renon, tous les secrets de famille refont surface et volent en éclats. Cette famille auvergnate, sous un semblant de conformisme, vit sous les secrets, ceux de la mère, du père, des sœurs, chacun à quelque chose à cacher. Aucun des personnages n’est attachant, ils nous montrent tous leurs côtés les plus sombres, leur jalousie, leur mal-être, leur violence.

Les seuls personnages qui redorent le tableau sont en fait ceux des flics qui creusent dans la vie de chacun des protagonistes. Les suspects ne manquent pas, chaque membre de cette famille peut être coupable.

La quatrième de couverture parle de roman chabrolien et effectivement nous y sommes. Cécile Cabanac nous dépeint une vie bourgeoise dans une ville de province. On y retrouve ces éléments essentiels, derrière le vernis se trouvent toute la noirceur dont les hommes sont capables, l’hypocrisie, la rancœur, la noirceur. Le rythme est lent, à l’image de la vie en Auvergne, sous la neige qui tombe, l’écriture simple, ce qui donne encore plus d’ampleur au roman.

Il s’agit d’un premier roman de Cécile Cabanac, nous excuserons donc quelques maladresses, et une fin un peu précipitée. La qualité du roman se trouve dans tous les chapitres précédents que nous passons un par un, en alternant entre consternation, désarroi, et envie de voir comment Virginie Sevran, va se sortir de cette première enquête provinciale face à des potentiels coupables bien affirmés.   

Marie-Laure


STASI BLOCK de David Young chez Fleuve noir

Traduction : Françoise Smith.

David Young est un auteur anglais qui a été journaliste avant de se consacrer à l’écriture. « Stasi block » est son deuxième roman, il se déroule, comme le premier, « Stasi child » dans l’Allemagne de l’Est des années soixante-dix. Deux polars avec la même enquêtrice, Karin Müller, sans doute le début d’une série…

« Été 1975, RDA.

Deux bébés ont disparu à Halle-Neustadt, cité idéale de la République, réputée connaître un taux zéro en matière de crime. Le lieutenant Karin Müller est choisie pour tenter d’élucider ce mystère. Mais alors qu’elle met tout en œuvre pour retrouver les jumeaux, elle se heurte à des murs invisibles, aussi épais que deux des complexes d’habitation. Car dans cette ville nouvelle où les allées se perdent dans le vide et où les rues ne portent pas de nom, seule la productivité compte. La population, sous l’emprise de la propagande, est à maintenir à tout prix dans l’ignorance. Or, c’est justement hors des périmètres autorisés que semblent se trouver les véritables indices. Des hauts fonctionnaires du complexe VIII aux employés de la crèche locale, tout le monde à l’air d’avoir quelque chose à cacher. Lorsque Karin parvient enfin à avancer dans ses recherches, une révélation concernant sa propre histoire vient rebattre les cartes de son enquête… »

David Young s’inspire de faits réels, son roman est très documenté et il nous emmène dans une Allemagne de l’Est sombre, glauque où les gens sont constamment sous la surveillance de la Stasi qui a des informateurs partout. Il a fait vérifier son roman par un journaliste spécialisé, et effectivement, l’ambiance qui pouvait régner à cette époque : la peur, la confiance qu’on n’accorde qu’à ses risques et périls, la tension permanente… tout ce que les personnages subissent, David Young réussit à le décrire parfaitement, dans un style simple et précis.

En Allemagne de l’Est au milieu des années soixante-dix, l’ombre de la Stasi plane sur tout et sur tous, il est dangereux de sortir du rang, même dans la police, les hypothèses qui vont à l’encontre de la propagande sont dangereuses. C’est dans ses conditions que Karin Müller doit résoudre l’affaire de la disparition des bébés. Elle travaille dans le plus grand secret, car cette cité est une vitrine de la RDA qui se doit d’être sans tache quand elle est montrée aux visiteurs alliés comme Fidel Castro. Karin Müller doit souvent abandonner les pistes qui s’approchent trop des grands pontes du régime. C’est un personnage attachant, une enquêtrice têtue et forte qui n’hésite pas à louvoyer, biaiser tout en obéissant mais ne sait jamais auquel de ses collaborateurs elle peut faire confiance. Une situation pour le moins inconfortable, angoissante surtout quand l’enquête la ramène à sa propre histoire, ses propres démons.

David Young construit son roman en alternant des histoires se déroulant à différentes époques, les récits se complètent et s’éclairent parfaitement et l’auteur insère ainsi habilement son roman dans l’Histoire. Ses personnages sont des êtres broyés, par la dictature où la cruauté peut prospérer, et par la guerre où explose la sauvagerie des hommes. Tous ont vécu des drames qui se mêlent, se font écho et ont parfois des racines dans l’horreur de la guerre. Si l’enquête est longue et s’étale sur deux ans pour Karin Müller et son équipe, le roman est rythmé, sans temps mort, David Young sait entretenir le suspense.

Un bon polar dans une atmosphère noire et pesante.

Raccoon

INAVOUABLE de Zygmunt Miloszewski chez Fleuve noir

Traduction : Kamil Barbarski.

Zygmunt Miloszewski est écrivain et scénariste. Après sa trilogie de polars noirs mettant en scène le procureur Teodore Szacki qui lui a valu plusieurs prix en France, il revient dans un registre différent, on est ici dans un thriller mâtiné d’espionnage et bourré d’action, mais toujours avec ce ton ironique et drôle qui lui est propre.

« Zakopane, chaîne des Tatras, 26 décembre 1944.

Un résistant serre contre lui un étui métallique. À ses oreilles résonnent encore les dernières instructions de l’officier nazi qui lui a confié « le plus grand secret de cette guerre »… Alors qu’il est pris dans une tempête de neige, sa formation d’alpiniste pourrait se révéler cruciale. Non loin de là, dans une auberge, un homme contemple par l’une des fenêtres la même bourrasque déchaînée. Après une ultime hésitation, il croque sa capsule de cyanure.

Une matinée d’automne, de nos jours, à Varsovie.

Chef du département de recouvrement de biens culturels rattaché au ministère des Affaires étrangères, le docteur Zofia Lorentz est convoquée par le Premier ministre : le Portrait de jeune homme du peintre Raphaël, tableau le plus précieux jamais perdu et recherché depuis la Seconde Guerre mondiale, vient d’être localisé. Accompagnée d’un marchand d’art cynique, d’un officier des services secrets à la retraite et d’une voleuse légendaire, Zofia s’envole pour New York, étape d’une quête contrariée qui pourrait inverser la lecture de l’Histoire et la politique internationale moderne… »

Ce livre s’appuie sur des faits réels et notamment sur les œuvres d’art disparues pendant la deuxième guerre mondiale et jamais retrouvées. En Pologne, des milliers d’œuvres n’ont toujours pas refait surface, la plus célèbre d’entre elles étant le tableau de Raphaël, « portrait de jeune homme », contemporain de « notre » Joconde.

C’est ce tableau qui sera le point de départ du roman, il est réapparu aux Etats-Unis et pour des raisons diplomatiques ne peut pas être réclamé officiellement. L’Etat polonais réunit alors une équipe de choc chargée de récupérer le tableau incognito et  Zygmunt Miloszewski nous présente un groupe aux membres hétéroclites. Trois vivent dans le monde de l’art même s’ils en ont une approche totalement différente : Zofia, fonctionnaire chargée de rapatrier les œuvres disparues, Karol, marchand d’art et Lisa, cambrioleuse ; le quatrième, Anatol, ex agent secret, est lui complètement étranger à ce monde. Zygmunt Miloszewski prend son temps pour nous les présenter, il dévoile peu à peu leur histoire et n’occulte ni leurs points faibles ni leurs travers, son humour ne peut les ignorer et son ironie est souvent mordante, mais il réussit à rendre ses personnages attachants, à leur donner humanité et profondeur. Ils sont tous les quatre des pointures dans leur domaine et de fortes têtes, leurs divergences de point de vue pimentent leurs échanges et les dialogues sont souvent savoureux.

Les deux premiers chapitres se déroulent à la fin de la guerre, ils nous éclairent juste assez pour savoir qu’il y a effectivement un secret à découvrir, puis on se retrouve avec les enquêteurs, dans la Pologne contemporaine et on les suit dans leur quête du tableau de Raphaël. Zygmunt Miloszewski écrit de courts chapitres, le récit est rythmé et dès que l’équipe est en place, tout s’accélère, les actions s’enchaînent. Et de l’action, il y en a ! Cambriolage à hauts risques, courses poursuites, fusillades…  La petite bande se retrouve avec tous les pays de l’OTAN aux fesses sans savoir pourquoi et Zygmunt Miloszewski fait monter brillamment la tension et le suspense jusqu’à la fin où le secret est bel et bien énorme, mais bien sûr je n’en dévoilerai rien.

Zygmunt Miloszewski mêle avec un grand talent des éléments historiques à cette enquête haletante. On découvre des pans méconnus de l’histoire de l’art, de l’Histoire tout court, surtout bien sûr sur la période de la seconde guerre mondiale où en plus de toutes les horreurs commises en Pologne, s’est déroulé un des plus grands pillages de l’histoire mais pas seulement, et c’est passionnant.

Un bon thriller très intelligent.

Raccoon

LES CONFESSIONS DE L’ ANGE NOIR de Frédéric Dard / Fleuve noir.

« L’Ange Noir est tout sauf un marrant. L’Ange Noir est l’ennemi public n° 1. Flics, femmes, cadors du crime : personne ne lui résiste. Et surtout pas la mort. Vivre sans temps mort et jouir sans entraves, telle pourrait être sa devise.

Même quand il s’agit de raconter son épopée, il n’y a pas un chroniqueur qui tienne la distance. Alors il va s’en charger seul. Cet Al Capone moderne n’a décidément pas l’esprit d’équipe. Sans honte, sans peur, et surtout sans filtre, l’Ange Noir prend la parole et déroule le fil de son épopée sanglante.

Premier meurtre à déclarer ? Sa mère – un accident de naissance. Après elle, personne n’y échappe, de Londres à Paris, en passant par Mexico. L’Ange Noir a la gâchette facile, le « beau sexe » pour obsession, et un sale penchant pour l’alcool. »

Fleuve Noir a décidé de publier la compilation de quatre volumes écrits par Frédéric Dard, signés « les confessions de l’ange noir », truand ricain et tueur à la gâchette facile : Le boulevard des allongés, Le ventre en l’air, Le bouillon d’onze heures, Un Cinzano pour l’Ange Noir. Un cinquième volume envisagé et titré par Frédéric Dard ne verra finalement jamais le jour.

Amateurs de pulps ricains donnant la priorité à la baston rude, aux crimes, ce bouquin est fait pour vous. Racontées par le truand qu’on invite à parler ardemment argot, ce qui sera ensuite le fonds de commerce des romans signés San Antonio où Tonio et Béru rivaliseront de vocables aussi improbables qu’hilarants, ces quatre histoires privilégient à merveille la montée d’adrénaline

Edités en 1952,  les romans de la série de l’ange noir sont souvent présentés comme les brouillons de la série culte d’un auteur aux multiples talents. Néanmoins, on note certaines différences. Quand l’ange noir suit le parcours d’un truand, la série des Sana met, elle, en vedette l’ordre par la création de ce commissaire de police. Si la première est située dans une Amérique en carton, la seconde, elle, a choisi l’hexagone et une certaine beaufitude des années 50 / 60 avec moult jambon-beurre, petit rouge, apéros, PMU, femmes fatales en bas nylon, bals musette…

Dans les deux séries par contre, on note un déclenchement de l’action dès la première ou deuxième page qui se poursuivra tout le long de romans qui ne vous laissent pas respirer, offrent un plaisir brut immédiat et qui sont aussi vite oubliés une fois qu’ils ont réalisé leurs bons offices, comme toute cette littérature facile mais bien agréable à lire, appelée « de gare » autrefois.

Boum, boum, boum !

Wollanup.

 

ZANZARA de Paul Colize chez Fleuve noir

Paul Colize, auteur belge de polars n’en est pas à son coup d’essai. Il a obtenu des prix pour trois de ses romans « Un long moment de silence », « Back up » et « Concerto à quatre mains ». Dans « Zanzara » il nous raconte une histoire palpitante qui s’appuie sur des faits réels.

« Fred, 28 ans, est journaliste. Membre d’une team de jeunes pigistes web, il rêve de gloire et de signer un article papier qui fera date.
La nuit venue, Fred mène une double, voire une triple vie.
Avant tout, il aime une femme mariée. Une liaison passionnelle, mais sans espoir. Ensuite, il aime le risque, les paris et l’adrénaline. Fred se sent vivre quand il flirte avec les limites.
Ces savants cloisonnements vont voler en éclats le jour où il reçoit un coup de fil à la rédaction. Rendez-vous lui est donné le lendemain pour recueillir des révélations fracassantes.
Arrivé sur les lieux, Fred va faire une rencontre qui le poussera à enquêter sur un fait divers apparemment anodin. Son obstination va provoquer une réaction en chaîne, jusqu’au final, inattendu et époustouflant. »

C’est Fred le narrateur et comme on l’apprend dès le début : il est fêlé. Fêlé dans tous les sens du terme… Il passe son temps libre à narguer la mort en lançant des paris complètement fous qui mettent clairement sa vie en jeu. Dans sa vie professionnelle : journaliste au service web, il court après les scoops, une nouvelle chassant l’autre, mais il ne creuse jamais, ses enquêtes consistant à vérifier les infos pour ne pas publier trop de conneries. Et dans sa vie amoureuse il mêle les coups d’un soir à une liaison avec une femme mariée, torride mais sans espoir. On sent rapidement que cette agitation est une lutte désespérée, on devine chez lui une grande souffrance, une fêlure énorme et on s’attache vite à ce personnage torturé mais qui sait manier la dérision.

Après le coup de fil anonyme qui l’envoie sur les lieux d’un suicide auquel il ne croit pas, il se lance dans une enquête avec cette énergie chaotique qui le caractérise. Fred se découvre journaliste d’investigation mais cette enquête, basée sur des faits réels qui se sont déroulés en Ukraine, va rapidement le dépasser et s’avérer dangereuse, avec des tueurs mercenaires sans états d’âme, des sociétés de sécurité obscures.

Pas de temps mort dans ce roman, les phrases courtes s’enchaînent sur un rythme soutenu qui s’apaise juste un peu quand Fred retrouve Marie.  Avec son style concis, direct, Paul Colize crée une ambiance tendue, angoissante, on ressent l’urgence, autant dans l’enquête que dans la vie de Fred qui n’est pas loin de s’écrouler dans sa fuite en avant désespérée.

Paul Colize sait tenir le lecteur en haleine. Il insère dans son récit un compte-à-rebours mystérieux « avant l’appel » où le danger rôde. Le lecteur est ferré, le suspense est là, à tous les niveaux : dans l’enquête, la vie de Fred et ses secrets, la mystérieuse femme dans une émeute. Paul Colize mêle ces trois histoires, qui se rejoindront bien évidemment, avec un grand talent.

Un très bon polar, haletant et intelligent.

Raccoon

ELASTIQUE NEGRE de Stéphane Pair / Fleuve noir.

 

« Y a pas d’ amour sous les Tropiques, juste des filles qui vendent ou non leur cul pour le caillou. Dans ce milieu, entre hommes et femmes, tout est faussé. L’amour n’a pas sa place. »

« Elastique nègre » est le premier roman de Stéphane Pair, journaliste à France Info et dans un entretien à venir, pour l’instant en cours d’élaboration, il nous en apprendra plus sur la génèse de ce roman, entre autres. Continue reading

LA RAGE de Zygmunt Miloszewski chez fleuve noir

Traduction : Kamil Barbarski.

Zygmunt Miloszewski, journaliste, écrivain a été chroniqueur judiciaire pendant plusieurs années. Il a connu un grand succès en Pologne où polars et thrillers arrivent en tête des genres littéraires, avec la série des enquêtes du procureur Teodore Szacki. Les deux premiers tomes « les impliqués » et « un fond de vérité » ont obtenu le prix du meilleur roman policier en Pologne en 2007 et 2011. « La rage » est le troisième et dernier opus de cette trilogie.

« Le procureur Teodore Szacki n’est pas au mieux de sa forme depuis qu’il a quitté Varsovie. Il se sent en perpétuel décalage, tant dans sa vie de couple que dans ses relations avec sa fille adolescente.

Est-ce pour cela qu’un jour, il ne prend pas l’exacte mesure d’une plainte pour violences conjugales ? Avec des conséquences effroyables pour l’épouse battue…

Ou bien est-il simplement perturbé par une étrange enquête pour meurtre dont il a hérité – portant sur un squelette dont les os appartiendraient à plusieurs victimes… ?

Teodore Szacki va vite se rendre compte que les deux affaires pourraient être liées. La piste d’un insaisissable redresseur de torts se dessine, quelqu’un oeuvre dans l’ombre, visiblement déterminé à rendre la justice pour pallier l’incurie des services de police »

On retrouve Teodore Szacki  à Olsztyn, petite ville du nord de la Pologne ayant par le passé appartenu à l’Allemagne. C’est une ville touristique connue pour la présence de 11 lacs aux alentours où il s’est installé avec sa nouvelle compagne et sa fille de 16 ans, Hela dont il a désormais la garde. Le procureur est impeccable dans son costume gris, implacable dans son application de la loi qu’il respecte à la lettre et sans sentiment. Notre homme a également des lettres, il aime les romans de Pierre Lemaitre…

Mais c’est un homme sous pression que nous présente Zygmunt Miloszewski : dépassé par la vie de couple et la gestion de son ado de fille, ennuyé par les dossiers sans intérêt de cette petite ville somme toute tranquille, agacé par l’administration de la ville et sa hiérarchie qui lui impose des missions inutiles, irrité par l’hiver qui tarde à arriver et enveloppe tout dans un brouillard glacé au lieu de cacher la laideur de la ville sous une belle couche de neige, et je ne parle pas de la circulation en ville !  Zygmunt Miloszewski nous dresse par ses yeux le portrait d’une Pologne assez arriérée, ex-pays de l’est qui peine à se moderniser avec une bureaucratie lourde et souvent absurde.

Teodore Szacki est un râleur-né mais il se retient souvent d’exploser et évite au maximum les conflits ouverts. Il pose un regard acéré et sans illusion sur la société et l’humanité ; ses pensées participent au ton du bouquin, plein d’ironie, d’humour noir face au désespoir de situations absolument horribles. Zygmunt Miloszewski construit son roman en suivant différents personnages, tous bien campés, hauts en couleur : un adjoint stagiaire doué et zélé qui n’hésite pas à dénoncer Teodore à sa hiérarchie s’il commet une erreur, un officier de police taciturne et sans émotion face aux meurtres même les plus sordides, un légiste, Frankenstein (oui, oui) qui fait des fêtes dans le labo d’autopsies, Hela, ado dans toute sa splendeur…

Mais on est loin de la farce ! Si le ton est drôle, le sujet est bien sombre. L’enquête va porter sur les violences familiales, encore peu reconnues en Pologne, au point que même Teodore Szacki est un peu léger sur le sujet, ce qu’il regrette très vite évidemment. Zygmunt Miloszewski nous plonge dans cette horreur ordinaire, souvent impunie, peu dénoncée mais qui dévoile les pires côtés des hommes et détruit des vies entières. Teodore Szacki, se retrouve face à des crimes hors du commun, où les victimes étaient également des bourreaux. Cette enquête l’atteint profondément : en tant que procureur qui ne peut laisser rendre une justice sauvage, en tant que père aussi. On sait dès le début qu’il est capable de sortir de ses gonds et Zygmunt Miloszewski réussit à nous captiver en nous racontant juste comment et pourquoi. Et c’est avec une fin inhabituelle qu’il termine sa trilogie.

Un très bon polar noir et désespéré, dans un pays qu’on a peu l’occasion de visiter en littérature.

Raccoon

UN SOUFFLE, UNE OMBRE de Christian Carayon/Fleuve noir

Troisième roman de Christian Carayon mais son premier chez Fleuve « Un souffle, une ombre » a déjà été traduit en plusieurs langues avant sa sortie nationale à la mi-avril. Ce roman a tout du thriller : son titre, sa couverture, sa quatrième de couverture et je préfère d’emblée prévenir, ce n’est pas du tout un thriller mais alors pas du tout du moins pas dans les trois quarts de l’histoire.

« Il faisait particulièrement doux ce soir-là. Nous étions en été, un samedi soir, la fête annuelle de la base nautique des Crozes avait battu son plein toute la journée.
Justine avait demandé à ses parents, également présents, de pouvoir passer la nuit avec sa cousine et deux copains de classe sur l’îlot des Bois-Obscurs, au centre du lac. Un camping entre pré-adultes. Une récompense pour le bon travail fourni toute l’année. Promis, ils seraient de retour le lendemain, à 10 heures au plus tard.
Le dimanche matin, les adolescents se font attendre. L’un des parents, de rage, parcourt la distance à la nage. Sur l’îlot il découvre l’étendue du massacre : les corps meurtris, outragés, dénudés. »

Au départ du roman, nous avons donc le massacre de quatre ados partis pour une modeste aventure d’une nuit à quelques dizaines de mètres de leurs parents en pleines agapes estivales entre nantis membres cooptés du centre nautique de cette petite ville au pied du massif Central. Ce genre de début, on l’a déjà lu à de multiples reprises ainsi que la terreur, le traumatisme qu’elle a créé de façon irréversible au héros enfant à l’époque en 1980 et qu’il ressent toujours 25 ans plus tard. Tout cela, c’est du lu et du relu parfois intelligemment, souvent anecdotiquement et de manière si prévisible dans son déroulement mais ici ce n’est juste que le point de départ.

Christian Carayon est historien et son héros l’est aussi, universitaire de surcroît ce qui nous permettra aussi d’entrer ce monde anachronique des enseignants de fac: la hiérarchie des rapports, les jalousies, les guerres intestines, la cooptation, bref toutes les saloperies d’un monde destiné au départ à former des élites du pays, des chercheurs. Ainsi, profitant d’une recherche historique Marc-Edouard en crises professionnelle et sentimentale va retourner vers Valdérieu, vers l’origine de ses phobies, vers le massacre de 1980 qu’il n’a pourtant pas vécu directement mais qui l’a durement affecté durant toute sa vie.

Et là, on assiste à un très beau travail d’ historien pour mener une nouvelle investigation sur la tragédie de Basse-Misère. Le héros va introduire les méthodes du courant historique des Annales afin de tenter de connaître la vérité sur la tuerie. Plutôt que de me fourvoyer dans des explications de novice je préfère la citation d’un des créateurs de ce courant français Lucien Febvre:

« Entre l’action et la pensée, il n’est pas de cloison. Il n’est pas de barrière. Il faut que l’histoire cesse de vous apparaître comme une nécropole endormie, où passent seules des ombres dépouillées de substance. Il faut que, dans le vieux palais silencieux où elle sommeille, vous pénétriez, tout animés de la lutte, tout couverts de la poussière du combat, du sang coagulé du monstre vaincu – et qu’ouvrant les fenêtres toutes grandes, ranimant les lumières et rappelant le bruit, vous réveilliez de votre vie à vous, de votre vie chaude et jeune, la vie glacée de la Princesse endormie … »

Carayon, minutieusement va nous proposer l’universalité sur cette affaire: les victimes, leurs joies leurs peines leurs espérances, les rapports qui les liaient, les rumeurs qui les concernaient, leurs familles avec leur vie officielle et puis l’autre avec les histoires de cul, les rapports entre ces familles, les rapports entre ces familles meurtries avec cette micro-société du club nautique de l’élite de la ville, les hiérarchies entre les familles et les autres acteurs de la commune, la vie sociale et économique de la commune, son aura départementale… Une photographie des lieux avant le drame qui sera suivie de la chronique de l’enquête menée à la hâte par des autorités demandant un coupable rapidement avec toutes saloperies qu’on peut dire sur ses soit-disant amis, tout ce qu’on peut imaginer de dégueulasse, l’opprobre sur les personnes interrogées puis relâchées et salies à jamais tout comme leurs familles devenues des damnés,un bel hallali sournois…

Puis, poursuivant son travail de sociologue, Marc-Edouard, va se lancer dans une enquête de nos jours sur les lieux, hantant les territoires maudits, constatant le déclin de la ville et identifiant clairement les meurtres comme un facteur de déclenchement de la débâcle communale.  « Un souffle, une ombre » offre donc une magnifique représentation d’un monde rural en déclin, une représentation où je me retrouve (enfin) parfaitement bien que très éloigné géographiquement, un tableau très crédible basé sur une observation fine, sur la mise en évidence de certains détails, des preuves invisibles au néophyte ou au touriste.

Mais, ce bouquin est avant tout un polar et cette étude d’une communauté semi-rurale n’est qu’une petite partie du plaisir que sa lecture procure. Tout le roman est emballant et malgré une histoire d’amour un peu gangnan et un peu superflue, il est passionnant de bout en bout avec une énorme accélération dans son dernier quart avec un final totalement imprévisible.

Classe!

Wollanup.

 

CE QU’IL NOUS FAUT C’EST UN MORT de Hervé Commère/ Fleuve noir

« C’est la nuit du 12 juillet 1998, celle d’ I will survive. Ce que la chanson ne dit pas, c’est à quel prix.

Les Ateliers Cybelle emploient la quasi-totalité des femmes de Vrainville,Normandie.Ils sont le poumon économique de la région depuis presque cent ans,l’excellence en matière de sous-vêtements féminins,une légende – et surtout une famille.Mais le temps du rachat par un fonds d’investissement est venu,effaçant les idéaux de Gaston Lecourt, un bâtisseur aux idées larges et au cœur pur dont la deuxième génération d’héritiers s’apprête à faire un lointain souvenir. La vente de l’usine aura lieu dans l’indifférence générale.

Tout le monde s’en fout. Alors ce qu’il faudrait, c’est un mort.

De la corniche aux heures funeste de Vrainville,vingt ans se sont écoulés. Le temps d’un pacte , d’un amour,des illusions, ou le temps de fixer les destinées auxquelles personne n’échappe. »

Pendant une bonne centaine de pages Hervé Commère prend le temps de poser toutes les données de son histoire et de donner les cartes à ses lecteurs. Ensuite l’histoire s’étale sur plusieurs  parties, plusieurs actes dans lesquels comme souvent chez Hervé Commère on l’impression de dérouler une bobine de fil. On tire dessus et des pièces de puzzle, nouvelles ou vues sous un autre angle, apparaissent les unes après les autres pour prendre leur place dans le tableau.

C’est évidemment toujours aussi agréable et fluide à lire,toujours ce sens rythme dans les phrases,toujours cette musicalité des mots.
Ce qu’il nous faut c’est un mort fait écho à Nicolas Mathieu et son Aux animaux,la guerre en prenant racine dans une actualité sociale et économique. C’est un roman de lutte qui parle vrai lui aussi,c’est un roman choral riche en personnages qui oscille en permanence et volontairement entre pessimisme et optimisme,espoir et désespoir, entre médiocrité humaine et humanisme lumineux.
L’avenir nous appartient et il sera ce que l’on en fera. Ou pas.
On ne sait pas,on verra.

Fab.

 

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