Premier entretien donc, Emmanuel Tellier qui a réussi à mener deux carrières différentes et cloisonnées. Journaliste connu des amateurs de rock, il m’a souvent comblé par ses critiques et ses interviews pour les Inrocks à une époque où il fallait bien croire ce que nous chantaient les critiques et aucun doute, on pouvait lui faire confiance sur le produit vanté. Emmanuel Tellier a donc interviewé Kurt Cobain, rencontré les Beastie Boys…vécu tout ce grand cirque de la scène rock internationale, a ensuite été rédacteur en chef à Télérama de 2006 à 2011 pour finalement redevenir reporter.
Parallèlement Emmanuel Tellier est un musicien accompli et il le prouve au sein de ses groupes dont je ne citerai que Chelsea, il y a vingt ans et 49 Swimming Poools sa formation du moment. Emmanuel Tellier crée une pop magnifique, racée et précieuse avec beaucoup d’influences anglo-saxonnes (Mercury Rev, Devendra Banhart, Sparklehorse…) et nul doute que s’il était né dans le Nevada au lieu du Val d’Oise, il serait une énorme star internationale.

Je savais Emmanuel Tellier brillant mais en voici une preuve supplémentaire dans ce petit entretien.J’epère que vous apprécierez autant que moi l’Amérique d’Emmanuel.

***

Première prise de conscience d’une attirance pour l’Amérique ?
Je pense que c’était West Side Story, au cinéma. J’ai grandi à Tours, une ville avec plusieurs salles intéressantes et très actives côté cinéphilie. Je pense que je l’ai vu vers 13 ou 14 ans, donc vers 1980. Le film étant du début des sixties, je l’avais évidemment trouvé assez vieillot, et je n’avais pas été très sensible aux chansons. Mais j’avais adoré les plans de New York, les terrains de jeux, les grillages, le bas des immeubles.
En 1984, Paris Texas a aussi été un choc. L’Amérique ennuyeuse, banale, séduisante graphiquement, mais assez vide de sens, ça me parlait beaucoup et m’attirait.

Une image
Mohamed Ali – pas tant pour la photo elle-même, mais pour le génie d’Ali dans son ensemble. Sa force de vie époustouflante, la radicalité de ses choix (comme le refus d’aller au Vietnam), sa présence face aux caméras, aux journalistes…
Pour moi, il est la plus grande rock star de tous les temps.

 

Un roman
The Great Gatsby

Un auteur
F. Scott Fitzgerald

Un film
La Poursuite impitoyable d’Arthur Penn. Pour moi, il y a tout le souffle du cinéma américain dans ce film.

Un réalisateur
Martin Scorsese. Non seulement un « metteur en scène » (au sens littéral) d’une précision et puissance inouïes, mais aussi un type généreux, obsédé par l’idée du partage, de la transmission (voir ses documentaires).

Un disque
Forever changes, de Love

Un musicien ou un groupe
Sparklehorse

Un personnage de fiction
Charlot

Un personnage historique
L’historien Howard Zinn. Son travail de recherche sur la « vraie histoire » des USA a été (et reste) d’une importance essentielle. Je suis particulièrement sensible aux recherches passages sur les luttes syndicales (très violentes) aux US, par exemple à Lawrence en 1912.

Une personnalité actuelle
Ken Sanders, un type fabuleux (libraire et plein d’autres choses) à Salt Lake City. Un héros pour sa passion et connaissance de la contre-culture US. Je suis aussi avec intérêt le travail militant de Tim de Christopher (Bidder 70).

Une ville, une région
Le sud de l’Utah et les parcs nationaux (Bryce, Zion, Arches…)

Un souvenir, une anecdote
J’en ai beaucoup… J’aime voir les lieux qui m’intéressent au plus près et sous toutes les coutures, et suis capable de passer des heures à localiser des adresses précises, pas forcément référencées, concernant des gens plus ou moins connus (leur adresse, là où ils travaillaient, là ils enregistraient pour des groupes que j’aime). J’ai beaucoup de souvenirs de cet ordre à New York (par exemple liés au Velvet Underground), à Chicago (par exemple liés à Frank Lloyd Wright), à San Francisco, à LA, ou encore à Rochester où j’ai adoré chercher les traces de George Eastman (génie absolu).

Le meilleur de l’Amérique
Son sens graphique. C’est un pays qui a de la gueule. J’aime la signalétique américaine, les codes visuels du pays, son « allure » générale ( architecture et au-delà). Le tout si bien montré par Ed Ruscha comme par Dennis Hopper, et bien sûr Scorsese, Coppola, Cimino, Diane Arbus, William Klein…

Le pire de l’Amérique
Donald Trump.
Le nombre d’armes à feu en circulation, et le fait que les gens qui les possèdent ne se rendent pas comptent du problème.
Dans l’histoire : les crimes immondes contre les populations indiennes.

Un voeu, une envie…
Avec 49 Swimming Pools, on travaille sur un grand projet multi-formes autour d’une histoire américaine, on vous en dira plus prochainement.

Merci à Emmanuel.

Février 2016.