Chroniques noires et partisanes

Étiquette : éditions quidam

MASCARADE de Robert Coover / Quidam.

Open House

Traduction: Stéphane Vanderhaeghe

Un penthouse tout en haut d’un gratte-ciel de Manhattan. S’y tiennent d’étranges festivités mais à quoi, ou à qui, tous ces convives piochés au hasard d’une Amérique aussi arrogante que ridicule, livrée à ses caprices et désirs les plus débridés, à ses lubies de grandeur et de pouvoir, de luxe et de stupre, doivent-ils l’honneur d’avoir été invités ?

Si j’ai bien eu vent de la sortie de Huck Finn et Tom Sawyer à la conquête de l’Ouest en 2024, je ne connaissais pas pour autant son auteur, l’américain Robert Coover. Avec la publication posthume de Mascarade par Quidam, celui-ci étant décédé en octobre 2024 à l’âge de 92 ans, j’ai désormais pallié à cette lacune et la découverte est pour le moins surprenante. 

Mascarade n’est pas un long roman, seulement 168 pages, mais pour autant, il ne fut pas complètement aisé à lire. Et pour écrire quelques mots dessus, il m’aura fallu un certain temps pour m’y mettre, ne sachant exactement comment l’aborder. A l’heure où j’écris ces mots, je ne suis pas plus avancé.

Je vais commencer par vous résumer un peu l’histoire, ce qui va être rapide. Il n’y en a pas. Enfin, pas vraiment. Mais il y a bien un cadre, ou plus précisément un décor, ce fameux penthouse de Manhattan. Une fête s’y déroule et une belle quantité de personnages s’y croisent. Nul ne semble  savoir ce qu’ils font à cette fête. Un peu comme moi dans ce livre. Et personne ne sait comment quitter ce penthouse. Une fois encore, un peu comme moi avec ce livre. Piégé. Je suis dedans et je ne sais pas comment m’en extraire. Mais c’est qu’il s’en passe des choses complètement folles dans ce penthouse dans lequel on se sent spectateur dans un théâtre. 

Déjà, à qui appartient ce luxueux penthouse ? On ne sait pas. Ce qui n’empêche pas quelqu’un d’essayer de le vendre aux convives présents. Qui est le narrateur ? On ne sait pas. Ils sont plusieurs et on en change régulièrement, parfois au milieu d’un paragraphe ou d’une phrase. Parfois un homme, parfois une femme. Forcément, pour le lecteur, c’est quelque peu déstabilisant. On s’y perd. Mais qui n’est pas perdu dans cette soirée ? On y trouve des malfrats aux forfaits divers, qui jettent même des convives par le balcon. Des musiciens également, pour animer la soirée, mais qui ne se connaissent apparemment pas et avec chacun ses vices et ses travers. Et qui est l’instigateur de cette soirée ? On ne sait pas plus. On trouve aussi des serveurs qui font tout et n’importe quoi, des écrivains, une bonne sœur portée sur le sexe, une femme qui accouche, et même un mariage s’y déroule. Une sorte de spirale infernale. Une fête grand-guignolesque et extravagante qui baigne dans le chaos. Peut-être bien un miroir de l’Amérique de Trump ? Ça aussi, on ne sait pas vraiment, mais ça y ressemble. Quoi qu’il en soit, on s’y laisse prendre, et l’excellente traduction de Stéphane Vanderhaeghe n’y est pas pour rien.

Mascarade est un roman un peu fou, avec une bonne dose d’humour corrosif, et écrit d’une plume tout à fait atypique. Si vous acceptez la perte de vos repères, si vous embrassez l’absurdité du moment, vous prendrez alors la pleine mesure de ce qui s’avère être le talent de Robert Coover.

Brother Jo.


TAQAWAN de Eric Plamondon / Quidam.

Taqawan est le nouveau roman de l’auteur québécois Eric Plamondon résidant dans la région bordelaise depuis quelques années. Je n’avais jamais eu l’occasion de lire cet auteur et je dois dire que je n’ai pas regretté même si j’ai été un peu dérouté au départ par ce roman puzzle.

« Ici, on a tous du sang indien et quand ce n’est pas dans les veines, c’est sur les mains. »

« Le 11 juin 1981, trois cents policiers de la sûreté du Québec débarquent sur la réserve de Restigouche pour s’emparer des filets des Indiens mig’maq. Emeutes, répression et crise d’ampleur : le pays découvre son angle mort.

Une adolescente en révolte disparaît, un agent de la faune démissionne, un vieil Indien sort du bois et une jeune enseignante française découvre l’immensité d’un territoire et toutes ses contradictions. Comme le saumon devenu taqawan remonte la rivière vers son origine, il faut aller à la source… »

En évoquant un conflit de 1981 entre les autorités québécoises et la communauté des Indiens mig’maq de la réserve de Restigouche pour une histoire de droits de pêche du saumon, Plamandon montre tout son amour pour les peuples amérindiens qui ont peuplé la Gaspésie et l’ensemble du Canada avant l’arrivée des Européens. Alors, on peut parfois s’interroger sur la version idyllique de la région décrite par l’auteur si on a lu un peu Joseph Boyden, personne qu’on ne peut taxer de sentiments frileux vis à vis des Indiens, et qui explique que les autochtones n’avaient pas attendu l’arrivée des Européens pour se foutre sur la tronche. Mais, tout ce qui concerne leur arrivée, leurs traditions, leurs coutumes sont décrites avec beaucoup de passion, montrant un bel attachement jamais  démenti tout au long du roman.

En fait, cet incident regrettable, ce coup de force est une manœuvre de la région du Québec pour mettre une certaine pression sur le pourvoir fédéral canadien en place détenu à l’époque par un certain Trudeau. Pauvres Mig’maq qui avaient choisi le mauvais camp lors de la guerre de la nouvelle France au 18ème siècle en s’alliant à la France et qui se retrouvent encore les victimes de la rivalité entre pouvoir canadien et ambitions québécoises plusieurs siècles plus tard.

« Taqawan », Roman fourre-tout, avec des évocations de Gilles Villeneuve le pilote de F1, Céline Dion… mais  beaucoup plus organisé qu’il n’y parait au premier abord, donne aussi la vedette au saumon si important pour la communauté mig’mac. Et on apprend des choses intéressantes sur le poisson, on en apprend d’ailleurs beaucoup sur ce petit monde de la Gaspesie. Le roman se couvre aussi d’une intrigue policière particulièrement noire qui, si elle ne vous transporte pas, aura l’avantage de faire valoir les différents points de vue de l’époque concernant les Indiens parqués dans leurs réserves.

« Taqawan »  propose donc un instantané de ce qu’était le Québec au début des années 80 tout en rendant un bel hommage aux Amérindiens et à leur sagesse concernant la nature et le respect qui devrait lui être dû et tout cela en 200 belles pages tout sauf superflues et bien souvent très didactiques.

Attachant.

Wollanup.

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