Chroniques noires et partisanes

Étiquette : éditions mirobole

BRETZEL BLUES de Rita Falk / Editions Mirobole.

Traduction: Brigitte Lethrosne et Nicole Patilloux.

Un délicieux fumet embaume la maison. Le plat qui mijote sur la gazinière titille vos narines et vous attire. Votre ventre gargouille. Vous avez l’eau à la bouche. L’appel de la nourriture est plus fort que tout ! Dans la salle, tous sont réunis : Eberhofer, le Léopold et sa nouvelle femme avec le bébé, le Papa et la géniale Mémé. Voilà, le bonheur !

« En ce moment, ça marche impeccable pour le commissaire Franz Eberhofer : ses amours roulent, la porcherie qu’il rénove est pratiquement habitable, il tient la forme grâce aux bières régulières et aux promenades quotidiennes avec Louis II – son chien, son coach fitness, son fidèle compagnon. Mais voilà que l’ambiance tourne à l’aigre dans le village de Niederkaltenkirchen : quelqu’un a tagué en rouge sur la maison du directeur du collège M. Höpfl « Crève, sale porc ! » . Le directeur disparaît plusieurs jours, pour revenir une nuit sous une forme plutôt macabre. D’accord, il n’aurait jamais gagné un concours de popularité, mais est-ce une raison pour finir ainsi ?

Franz est furieux. Comme si cet homicide stressant ne suffisait pas, on l’oblige à pouponner l’affreux bébé de son frère Léopold, libraire et lèche-bottes de première classe. Heureusement qu’il a sa Mémé déjantée et sa robuste cuisine pour se refaire une santé… »

Lorsque j’ai su que je retrouverais le commissaire Eberhofer, j’ai jubilé ! Et comme vous pouvez le deviner, je n’ai pas été déçu par ce deuxième voyage en Bavière !

Pour ne rien vous cacher, j’ai quand même eu une légère appréhension lorsque j’ai commencé à lire le roman, surtout la crainte que Rita Falk soit prise dans le tourbillon de la redite, que ses personnages ne soient plus aussi surprenants que dans Choucroute Maudite, etc. Bref, je me méfie toujours des suites.

Comment cette pensée a-t-elle pu m’effleurer l’esprit ?! Je mériterais de m’auto-calotter ! Bretzel Blues est tout aussi génial que son prédécesseur ! L’auteure grâce à sa plume fleurie et habile réussit à merveille à nous faire rire et à nous étonner avec des situations grandiloquentes, presque burlesques, et toujours dignes des frères Coen !

Les personnages restent égaux à eux-mêmes : Eberhofer, accompagné de son fidèle Louis II, est toujours aussi feignant et nonchalant, la Mémé qui semble être dans un âge avancé paraît rajeunie (le passage aux soldes C&A et H&M est juste hilarant !) et le papa fume des pétards en écoutant les Beatles. Le Léopold semble toujours aussi prétentieux et con, en tout cas d’après son frère Franz. Cette petite famille sent l’amour et ce n’est pas une affaire sordide qui brisera ce cercle heureux ! Ni même le départ de la belle Susi pour l’Italie…

Car oui, il y a bien une enquête : la disparition puis la réapparition du détesté directeur du collège Mr Höpfl qui sera finalement retrouvé mort. Effectivement l’intrigue peut sembler classique mais Rita Falk nous la sert sur un plateau d’argent d’une manière pour le moins originale et détonante  que vous ne serez pas prêts d’oublier !

Bretzel Blues porte bien son nom, tout s’entremêle à l’image d’un bon gros bretzel ! On le dévore et nous voici la peau du ventre bien tendue mais loin d’être repu !

Génial !!

Golden Buffalo.

LES FLEURS NE SAIGNENT PAS d’Alexis Ravelo aux éditions Mirobole

Traduction : Amandine Py.

Alexis Ravelo est né et vit aux Grandes Canaries. Il a écrit des pièces de théâtre, des nouvelles, des contes et des romans noirs, a reçu le prix Hammett en Espagne en 2013 : ce n’est vraiment pas un débutant ! « Les fleurs ne saignent pas » n’est pas son premier roman, mais c’est le premier traduit en France, et j’espère qu’il ne sera pas le dernier…

« Dans la liste des crimes les plus idiots au monde, le kidnapping de la fille d’un parrain de la mafia locale figurerait en deuxième ligne, juste après le braquage d’un commissariat de police. C’est pourtant le gros coup qu’ont décidé de monter Lola, le Marquis, le Sauvage et le Foncedé, une bande de combinards rêvant d’une vie meilleure…

Bienvenue aux Canaries, un décor de carte postale et des plages paradisiaques derrière lesquelles se prépare un duel rocambolesque entre deux mondes : petits escrocs, leur code d’honneur en bandoulière, contre barons en col blanc abonnés aux magouilles et à la corruption. »

On pourrait croire à la lecture de la quatrième de couverture et des surnoms des truands qu’on va lire un roman burlesque à l’ancienne. Certes le style est vif et enlevé et l’action rocambolesque car cette histoire d’arnaque est menée de belle manière, mais on n’est pas dans une farce. C’est un univers bien noir où la corruption et la violence règnent que nous fait découvrir Alexis Ravelo.

Dans cette île, paradis des vacanciers, le tourisme rapporte énormément d’argent. Les requins des affaires rappliquent forcément avec les magouilles qui vont avec. Les mafias aussi ne sont pas loin, jamais quand un secteur rapporte tellement qu’il est facile d’y blanchir de l’argent. On découvre les puissants locaux dont le pouvoir est accentué par l’insularité et d’autres issus de mafias mondialisées qu’on retrouve partout où l’argent coule à flot, mafias modernes, sans code d’honneur et hyper violentes.

La bande d’escrocs d’Alexis Ravelo n’est pas composée que de pieds nickelés, même si certains sont vraiment hauts en couleurs. Ces personnages sont extrêmement attachants : ce sont des êtres humains avec leurs problèmes et leurs failles. Ils ne sont pas intéressés par un maigre salaire même régulier et ils sont doués dans leur domaine, un peu comme Dortmunder et sa bande. Le tourisme leur fournit un flot de pigeons et ils vivent de petites arnaques en essayant de ne pas faire couler de sang. En vieillissant, ils ont envie de se poser, mais ils ne tentent pas ce gros coup sans réfléchir.

Alexis Ravelo présente tous ses personnages en les suivant au fil de l’histoire et tous sont réussis, humains, crédibles qu’ils soient attachants ou pas car il y a aussi de sacrées ordures et des brutes sans états d’âme.

On est prévenu que rien ne se passera comme prévu, Alexis Ravelo construit son roman en alternant le récit de ce kidnapping, depuis sa conception, avec l’interrogatoire d’un des protagonistes a posteriori. On sait qu’il y aura des morts, et pour mal tourner, ça va mal tourner ! La belle mécanique de cette histoire se grippe : Alexis Ravelo ajoute grain de sable après grain de sable avec talent et intelligence.

Les Canaries version noir : vif et prenant.

Raccoon

AVENUE NATIONALE de Jaroslav Rudis / Mirobole.

Vandam est un gros con de Prague en république tchèque. Son surnom provient de sa fascination pour l’acteur belge dont il a fait sienne la philosophie du corps et autres inepties qui font le bonheur des bêtisiers à chacune de ses interventions. Vandam est peintre en bâtiment, passionné d’histoire militaire qu’il interprète à sa sauce, s’invente des ancêtres germains et même romains.

Il harangue, donne des leçons de vie dans un troquet pourri où se retrouvent tous ses amis à picoler et à s’inventer des vies. Vandam se vante d’avoir été le premier à agir lors de la manifestation pacifique contre le régime communiste en novembre 1989 lançant la « révolution de velours » qui mènera au pouvoir  Václav Havel et fera sortir le pays du joug soviétique tout comme d’autres satellites d’Europe de l’Est à l’époque.

« Adolf Hitler m’a sauvé la vie. Je sais ce que tu veux dire. Mais ne dis rien. »

Dès la première phrase de ce long monologue de Vandam qui s’adresse à une personne dont on ignore tout au début, on sait dans quelles eaux dégueulasses on va évoluer, un marécage puant d’ultra nationalisme mélangé à la plus criante des beaufitudes accentuée par l’abus d’alcool bas de gamme et de dope qui tue les quelques neurones survivants de crétins dont les plus lamentables représentants se sont illustrés en marge de l’Euro l’été dernier.

Alors, pourquoi parler de ces abrutis qu’ils soient de république tchèque ou d’ailleurs, pourquoi mettre en lumière ces sombres bouffons, pourquoi vanter une telle littérature au style que certains élèves de l’école primaire railleraient ? Eh bien, le roman est très fort, très surprenant passant progressivement, sans réellement changer de ton de la fanfaronnade crétine à une harangue où se sentent le caractère vain des discours des politiciens, la pérennité du malheur pour des générations que ce soit sous des régimes totalitaires ou des démocraties inféodées à une Europe, idéal sans réalité pour beaucoup d’entre elles.

Et puis la forêt, les ormes…

Et peu à peu, en grattant, on entrevoit une certaine tendresse cachée sous des monceaux de conneries, de testostérone, de grands idéaux stupides échafaudés pour montrer en fait, simplement, qu’on existe. Et puis, finalement, sans éprouver réellement de la sympathie pour Vandam, son histoire prend sens, n’excuse pas son comportement mais le rend plus lisible, n’excuse pas ses outrances mais rend son histoire troublante parce qu’en fait, pour ma part, j’ai ressenti un certain attachement pour ce boulet et son destin terrible.

« Adolf Hitler m’a pas sauvé la vie. Je sais ce que tu veux dire. Mais ne dis rien. »

Rageur.

Wollanup.

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