Chroniques noires et partisanes

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LA MONTAGNE INVERSÉE, UNE EXPÉDITION DANS LES MÉANDRES DU FANTASME de Romain Lescurieux et Antonin Vabre / Marchialy

2012 : la fin du monde aura lieu le 21 décembre selon le calendrier maya. Une rumeur dit que le pic de Bugarach, dans l’Aude, sera épargné. Un emballement médiatique, peut-être plus ridicule que la ferveur millénariste, est déclenché. Les deux auteurs, alors jeunes journalistes, se retrouvent au sommet de la montagne le jour J.

2022 : dix ans plus tard, ayant survécu à l’apocalypse, les auteurs reviennent sur place. Ils prennent le temps de rencontrer les habitants, de remonter le fil de la rumeur. En s’engouffrant au cœur de la montagne dans une expédition plus que risquée, ils partent à la recherche des mystères de la région.

Que faisiez-vous pour la fin du monde ? Celle de 2012, j’entends. Où étiez-vous ? J’imagine que vous ne vous en souvenez plus. Moi non plus. Mais il me reste quelques souvenirs de tout le marasme autour de Bugarach. Deux pour être exact. Tout d’abord, le pic de Bugarach qui rappelait étrangement « La tour du diable » que l’on voit dans Rencontre du troisième type, mais aussi un illuminé bien perché qui aura beaucoup fait rire, j’ai nommé Sylvain Durif, le joueur de flûte de pan qui se faisait appeler « Le Christ cosmique » et se répandait en discours hallucinés et hallucinants. La triste star de ce délire médiatisé. Depuis, internet aidant, on en a vu défiler d’autres du même acabit, et l’ère du complotisme à outrance dans laquelle nous vivons est un terreau fertile. En prenant pour exemple le 21 décembre 2012 à Bugarach, les journalistes Romain Lescurieux et Antonin Vabre tentent de comprendre, avec La montagne inversée : une expédition dans les méandres du fantasme, tous les tenants et aboutissants de ce non-évènement ultra médiatisé. Comme on dit, il n’y pas de fumée sans feu. Ou bien ?

Si l’idée peut prêter à sourire, ce livre est une enquête tout à fait sérieuse, faite autant de recherches que de rencontres inopinées. Ici se télescopent histoire, légendes, ésotérisme, faits réels ou imaginés, traitement médiatique et discours de tous types, des plus pragmatiques et scientifiques, aux plus décalés, voire invraisemblables. En prenant comme fil conducteur une expédition spéléologique au coeur même de la montagne, nos deux journalistes progressent en parallèle, lentement mais surement, dans leur exploration de cette toute petite commune qu’est Bugarach, ses habitants passés et présents, son histoire et ses alentours. De boyaux en catastrophes naturelles, de concrétions en vies soi-disant extraterrestres ou intraterrestres, galerie après galerie et années après années, ce sont diverses strates de Bugarach et son pic qui se dévoilent à nous. 

Et au final, quel est le résultat de cette enquête ? Sont-ils tous fous à Bugarach ? Est-ce que l’on y trouve une concentration anormale de faits paranormaux ? Mais qu’est-ce qu’une concentration anormale de faits paranormaux ? Est-ce un lieu si unique qu’il devait indubitablement devenir un jour le centre de toutes les attentions ? Est-ce qu’E.T téléphonerait plus facilement à la maison depuis le haut du pic ? L’intérieur de la montagne est-il un garage à ovnis ? Tant de questions dont je ne vous dévoilerai pas précisément les réponses. Vous allez devoir lire pour savoir ! Ce que je peux vous dire, c’est que vous allez être déçus. Non, je déconne ! Enfin, pas complètement… Il y a une large part de démystification dans ce livre, n’en déplaise à ceux qui s’imaginaient trouver là un livre qui laisse toute sa place à l’imagination, mais l’intérêt se trouve ailleurs. On découvre ici plein de petites histoires, individuelles et collectives, parfois communes, parfois plus singulières, avec ce qu’elles peuvent comporter de poésie, de passion, d’humanité et d’absurdité. L’ordinaire d’un lieu un peu isolé, comme on en trouve plein en France et ailleurs, qui un jour bascula dans l’extraordinaire, pour finalement revenir à ce qu’il a toujours été. Deux phrases extraites du livre me  semblent assez représentatives du fond de celui-ci : « Les humains sont comme ils sont et non comme ils devraient être. Les montagnes aussi. »

En conclusion, La montagne inversée : une expédition dans les méandres du fantasme est une enquête rondement menée, qui tente de mener intelligemment le lecteur vers les faits, la réalité tangible, en tenant compte des idées et des fantasmes des uns et des autres. D’une sorte de folie ambiante, nous revenons progressivement au concret : l’humain et la nature. A l’image de l’expédition spéléologique de nos deux journalistes, on s’enfonce petit à petit dans l’obscurité pour revenir vers la lumière. A l’évidence, de cette fin du monde, il n’y avait pas de quoi en faire toute une montagne, juste un bon livre.

Brother Jo.

JEWISH GANGSTA de Karim Madani / Editions Marchialy (2017).

New York City, fin des années1980, début des années 1990. Brooklyn et le Queens ne sont pas encore le décor de ces escapades et expériences urbaines cool aujourd’hui fameuses. Déliquescence de l’habitat, pauvreté, déclassement, délinquance dure font des cités refermées sur elles-mêmes et saupoudrées dans les boroughs des îlots de pure sauvagerie. Rassemblées par Karim Madani, journaliste pour des revues spécialisées dans les cultures urbaines et les musiques afro-américaines, les trajectoires de quatre jeunes gens nous donnent un aperçu d’une réalité sociale méconnue.

Les frères Braunstein, Ill Bill et Necro, J. J. (Jewish Jane) et Ethan Horowitz ont en commun d’être blancs, juifs et déclassés et de vivre au cœur du cratère. Enfants de voyou israélien expulsé vers les Etats-Unis, de juifs soviétiques déchus d’une existence dans le paradis socialiste ou bien de citoyens américains qui se sont détournés des règles orthodoxes de leur communauté, ils doivent s’en sortir par tous les moyens : trafic de drogues, vol à la tire, braquages, bagarres de rue ultra-brutales pour sauver sa peau ou se tailler un espace vital.

D’une certaine manière, ils sont les derniers avatars d’un banditisme juif historique à New York.  Avant qu’elle ne se dilue dans la mafia italienne avec laquelle elle s’était associée, qu’elle aille essaimer à Vegas, une véritable Yiddish Connection a tenu le haut du pavé dans les années 1920 et 1930. Elle avait pour figures marquantes des hommes comme Meyer Lansky, Bugsy Siegel, Mickey Cohen.

Mais nous parlons d’un autre époque. Les gangs noirs et latinos se font une guerre sans merci pour un bout de territoire, pour écouler du crack, sur le tempo du moment, le rap, le hip-hop, qu’Ill Bill et Necro embrasseront si bien à leur manière qu’ils finiront par monter leur propre label après défendu leur flow et leur rimes devant des assemblées féroces. Deux petits Blancs jetés dans la fosse aux lions. Ethan Horowitz se fait un nom de voleur de bagnoles prodige puis devient braqueur de dealers. J. J. monte un gang de filles juives, les Cee Jay, aussi violentes que les rues qu’elles arpentent.  Pour elles, les Ramones cadencent au plus près leur quotidien.

Des cités-forteresses du Bronx et du Queens à The Deuce, 42nd Street dans Manhattan, de Coney Island au sud à Rikers au nord, la sinistre prison qui est une étape obligée des voyous, se dessine une géographie new-yorkaise étourdissante de violence.

Il y a une rage de vivre chez tous ces personnages, dont les histoires vraies paraissent hors du commun. Il y a une énergie vitale. Elle définira d’ailleurs un courant de la street-culture et du hip-hop, celui des goons, les « criminels », qu’Ill Bill et Necro porteront dans leurs productions musicales. Plus que les Beastie Boys, déconneurs et issus d’une middle class juive, Ill Bill et Necro seront des pionniers blancs dans l’univers hip-hop. De ces quatre qui voulaient survivre, c’est peut-être eux qui s’en sortent le mieux. Car aucun ne raconte son histoire en évoquant « the good old time ».

Karim Madani nous calibre, dans le genre journalisme narratif, un documentaire qui passionnera tous les amateurs de culture urbaine et musicale et leur laissera un poster d’époque de New York en bichromie, avec beaucoup de noir et quelques petits blancs.

Pour terminer, n’oublions pas de garder un œil sur les productions de cette nouvelle maison d’édition familiale, Marchialy, qui revendique de ne publier que de la « littérature du réel » (récits, reportages…). L’année dernière, le remarquable Tokyo Vice de Jake Adelstein, reporter spécialisé sur le crime organisé pour le compte d’un grand quotidien japonais, m’avait tout simplement bien fait voyager. Entre ça et un énième polar qui râcle le macadam, le choix du véhicule est vite vu. D’autant que chez Marchialy, on vous désigne de sacrées carrosseries. Un éditeur qui annonce la typo et le grammage du papier,  il y a une élégance quand même.

Paotrsaout

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