Chroniques noires et partisanes

Étiquette : éditions le masque

TRUE CRIME STORY de Joseph Knox / Le Masque.

Traduction: Jean Esch

Introduit certes il y a fort longtemps en littérature avec Truman Capote et De sang-froid racontant journalistiquement une tuerie aux USA en 1959, le True Crime connaît actuellement un fort succès, le nouveau truc pour vendre des bouquins d’une manière pour l’instant encore originale. En s’appuyant sur des histoires réelles où on instille une part de fiction ou en créant une histoire et en y mettant les ingrédients nécessaires à une impression tangible de réalité, des auteurs anglo-saxons commencent à occuper les bacs polars des librairies françaises. On vous a déjà proposé le premier épisode de six versions de Matt Wesolowski Les orphelins du Mont Scarclaw. Là, c’est Joseph Knox, déjà connu pour sa trilogie du flic Adain Watts (Sirènes, Chambre 413 et Somnambule) qui s’y colle pour True Crime Story, son nouveau roman.

“Manchester, 17 décembre 2011. Zoe Nolan, 19 ans, quitte la tour de sa résidence universitaire à l’aube, après le déclenchement de l’alarme incendie lors d’une fête organisée dans sa colocation. C’est la dernière fois qu’elle est aperçue vivante.

Sept ans plus tard, l’écrivaine Evelyn Mitchell, qui s’intéresse aux disparitions inexpliquées de jeunes femmes, devient obsédée par celle-ci et décide de creuser l’enquête. Alors qu’elle envoie, au fur et à mesure de ses avancées, les chapitres de ce qui constituera son prochain livre à son ami Joseph Knox, elle disparaît à son tour.

Joseph plonge dans ses notes et ses retranscriptions d’interviews, et découvre les témoignages des proches de Zoe.”

Il est évident que ce nouveau roman de Joseph Knox dont on connaîtra en partie la solution en fin de lecture ne fonctionnera que si vous acceptez de vous laisser balader par un auteur particulièrement expert dans l’art de distiller le suspense et de retarder les informations importantes. Dans ce cas, et même si on note des invariants qui pourraient très vite lasser à l’avenir dans ce sous-genre mais que je ne citerai pas pour ne pas spoiler, le roman devient vite passionnant. Rapidement, devant les mensonges, les incertitudes, les oublis, les inexactitudes, on ne peut s’empêcher d’aller soi-même à la pêche aux indices dans une phrase, dans une situation, dans une attitude, un comportement. On voit très vite que certains mentent mais pour quoi, pour qui ou contre qui d’ailleurs. Personne n’a vraiment d’alibi pour cette nuit et logiquement se dévoilent comme le signale Joseph Knox, les “usual suspects” : le petit copain, les colocs, les amis, la sœur jumelle, les parents… auxquels Knox ajoutera d’autres éléments périphériques mais importants. Il n’est pas exagéré de dire que se dégagent rapidement au moins quatre “gros” suspects.

L’affaire est complexe, le petit monde fermé de Zoe s’ouvre petit à petit et il y a des surprises pour ceux et celles qui pensaient vraiment la connaître. Démarrant six mois avant la disparition, l’histoire se termine sept ans après la tragédie. Knox décortique, fouille, expertise, relance de manière très recevable, propose quatre ou cinq versions de chaque moment-clé et c’est un puzzle infernal qui apparait. Knox a parfaitement réussi son challenge et son instantané d’une jeunesse mancunienne. La lecture est souvent agréablement parasitée par des “celle-là, je ne l’avais pas vu venir” ou des “ah mince !”, agrémentée aussi par la musique de Mogwai.

Franchement addictif, un thriller parfaitement réussi dans le fond comme sur la forme.

Clete

CHAMBRE 413 de Joseph Knox / Le masque.

The Smiling Man

Traduction: Fabienne Gondrand

Nous retrouvons Joseph Knox, après son premier roman Sirènes, paru en 2018 au Masque. J’avais beaucoup aimé ce livre très noir qui nous plongeait au cœur de la vie nocturne de Manchester.

C’est donc avec beaucoup d’attentes que j’ai retrouvé notre jeune flic Aidan Waits, que nous avions laissé après sa descente aux enfers. 

Il  a intégré la patrouille de nuit avec pour partenaire Sully Sutcliffe, sachant qu’ils se détestent profondément. Mais voilà, avec son passé, Aidan n’a pas le choix, beaucoup voudraient le voir disparaître, ou tout du moins qu’il ne fasse plus partie de la police, qu’il finisse de sombrer dans la drogue, l’alcool, et qu’il ne côtoie le monde de la nuit que de l’autre côté de la barrière : avec les criminels, dealers et autres truands de la ville de Manchester.

Lors d’une patrouille ils sont appelés pour une effraction dans un hôtel fermé. Arrivé sur place, ils découvrent un homme mort avec un sourire sur le visage. Aucun élément sur le cadavre ne permet de l’identifier. 

Commence alors une enquête sur ce meurtre mais celle-ci est entrecroisée avec d’autres affaires qui occupent notre duo. L’articulation de ces recherches est parfois complexe, nous obligeant à rester concentré sur notre lecture, à ne pas perdre le fil.

Aidan Waits est toujours aussi torturé, imprudent, taciturne et seul. Il a réussi à sauvegarder son emploi mais à quel prix. Tous lui tournent le dos, il n’a pas d’amis, ses collègues le méprise, il est totalement isolé dans son boulot et dans sa vie. Sa seule rédemption, aider les démunis, résoudre ses enquêtes quitte à utiliser les règles de la rue, et à se comporter comme le pire des affranchis.

« Parfois on déjoue tout attente, parfois on devient ce que les autres pensent de nous.» 

Sinistre, noir mais compensé par un humour acéré, présent à chaque page, ce deuxième opus des aventures d’Aidan Waits a répondu à toutes mes attentes. On se replonge avec délice dans ce monde lugubre, plein de manipulations ou aucun espoir n’est permis. 

Joseph Knox réussit avec brio ce deuxième opus des enquêtes d’Aidan Waits, et nous promet ainsi un nouveau personnage récurrent à suivre sans aucune restriction.

Marie-Laure.


DINER SECRET de Raphaël Montes / Le Masque.

Traduction: François Rosso.

Raphael Montes nous invite à table. 4 amis partent de leur petite province du  Paraná pour venir faire leurs études à Rio. Ils arrivent la tête pleine de rêves, espérant échapper à une vie triste et difficile en rejoignant cette grande métropole. Mais la crise économique se fait durement sentir et peu à peu, les 4 amis sont confrontés à la réalité, de petits boulots en petits boulots, ils finissent par être au bord du précipice, pris à la gorge par les créanciers.

Une idée germe alors : organiser des dîners secrets, pour clientèle fortunée, où ne seront servis que des mets que l’on ne trouve nulle part ailleurs, avec de la viande exotique. S’en suit alors une descente aux enfers pour ces 4 amis, une chute dans le crime qui ne fait que s’accentuer au fil des pages.

L’histoire nous est racontée par Dante jeune diplômé en gestion financière et qui, pour survivre est employé dans une librairie. Il vit avec Miguel jeune étudiant en médecine sérieux et fidèle, Hugo cuisinier qui a soif de reconnaissance et rêve d’être reconnu comme un grand chef,  et Leitao, qui ne sort que très peu de l’appartement, caricature poussée à l’extrême du geek, obèse, autiste, et totalement déconnecté des réalités de la vie.

Hugo et Leitao s’impliquent un maximum dans cette descente aux enfers, poussant Dante et Miguel loin de leurs limites respectives. Dante, ayant une conscience flexible en fonction de ses besoins, se laisse finalement assez facilement emporter dans cette spirale. Sa condition économique prend le pas sur sa moralité, et il plonge, lui aussi, dans l’horreur, oubliant ses référentiels et idéaux.

Ce roman montre comment des jeunes, élevés avec une morale, et certaines valeurs, en arrivent à sombrer dans le chaos, à produire des crimes de plus en plus monstrueux, glauque, avec pour seule raison, leurs rêves de se sortir du marasme économique.

Raphael Montes est un jeune auteur de 28 ans qui parle à sa génération. Pour cela, il n’hésite pas à faire appel à des références de culture pop du 21ème siècle, et à changer parfois sa narration pour utiliser pendant un chapitre complet, une conversation WhatsApp. Cela séduira peut-être cette génération, quant à moi,  j’ai trouvé l’histoire parfois abracadabrantesque et qui tombe facilement dans l’horreur glauque. Les caricatures sont assez nombreuses, laissant une impression superficielle et peu approfondie, la sensation d’avoir essayé de faire de la surenchère dans le sensationnel et la cruauté.

En conclusion, un dîner un brin indigeste.

Marie-Laure.

 

LA VILLE DES MORTS de Sara Gran / le Masque.

Traduction: Claire Breton.

Première aventure sur une série de quatre en cours d’écriture, « la ville des morts » plaira à tous celles et tous ceux en quête de personnages non formatés, de héros et héroïnes un peu ailleurs, troublants. Il a déjà été suivi par « la ville des morts » cette année qui met en scène à nouveau Claire DeWitt et ses fantômes à San Francisco et déjà chroniqué chez nous. A signaler qu’une série TV est en cours de tournage.

Rompant avec les clichés inhérents au détective de polars souvent véhiculés dans les polars ricains, la divine providence m’a fait découvrir la plus originale des détectives, un amour de nana (après les goûts et les couleurs, ça se discute), et une personnalité vraiment autre utilisant des substances prohibées tel le modèle Sherlock Holmes pour l’aider dans la résolution de ses enquêtes et qui a réussi à franchement ébranler ma misogynie légendaire que ce soit vis-à-vis des héroïnes comme des femmes auteures de polars.

« Lorsqu’un honorable procureur néo-orléanais disparaît dans la débâcle de l’ouragan Katrina, Claire retrouve son ancienne ville, complètement sinistrée, afin de résoudre le mystère. Les indices la mènent à Andray Fairview, un jeune homme qui n’avait rien à perdre avant l’ouragan et encore moins depuis. Entre anciens amis et nouveaux ennemis, Claire élucide l’affaire, mais d’autres disparus viennent la hanter : sa meilleure amie et co-détective d’enfance, évaporée du métro de New York en 1987, et la propre fille de Silette, Belle, kidnappée dans une chambre d’hôtel sans que personne ne l’ait jamais revue. »

Il y a en fait deux héroïnes dans ce roman. Tout d’abord, La Nouvelle Orléans, encore bien malade plusieurs mois après la catastrophe, ces habitants ruinés, hagards, aigris ou profitant du marasme du moment à peine supérieur, finalement, à celui d’avant la catastrophe est une personnage important du roman et les descriptions de cette désolation comme l’exemple de la déchéance d’une ville occidentale sont marquantes et accompagnent parfaitement une enquête menée de façon non conventionnelle : la recherche d’une personne disparue dont tout le monde se moque dans un cadre qui ressemble déjà à un cimetière. J’ai lu beaucoup de polars situés à la Nouvelle Orléans et j’ai beaucoup aimé la description sans concessions de cette ville maudite par Sara Gran, sacrée plume sur ce roman.

Passons maintenant au cas Claire DeWitt qui est un personnage très atypique qu’il est parfois très dur de suivre dans les cheminements de sa pensée parfois éclairée par la Calea Zacatechichi pour les rêves prophétiques, l’iboga pour se sevrer des mauvaises habitudes, l’ayahuasca , la DMT ainsi qu’un peu d’herbe, quand même, pour le fun. L’usage de ces drogues associé à une lecture et une interprétation de ses rêves font de Claire un personnage avec un comportement et une pensée très particuliers.

Ajoutons à cela que Claire vit en permanence avec trois fantômes : Silette le détective français, auteur de la bible de Claire « Détection », Constance Darling, son mentor assassinée à la Nouvelle Orléans et enfin son amie d’enfance disparue dans le métro de New York quand elle était adolescente et dont Claire ne se remet pas de la perte, en tant qu’amie mais aussi en tant que détective car ses recherches de la vérité s’avérèrent infructueuses cette fois-là. Ces trois personnes sont toujours au centre de ses pensées et ils reprennent vie de temps en temps quand Sara Gran, tel un Sallis au mieux de sa forme avec Lew Griffin, nous offre des digressions utilissimes (et un barbarisme !) pour tenter de nous faire appréhender la complexité de Claire DeWitt et de nous permettre d’entrapercevoir sa vraie personnalité. Femme très courageuse, malgré ou à cause des drogues, elle n’a vraiment pas froid aux yeux pour s’abandonner dans cette Cour des Miracles pour une enquête dans les bas-fonds.

Beaucoup de compassion aussi sous la plume de Sara Gran qui nous gratifie de beaux personnages de losers, ados abandonnés dans l’enfer louisianais tentant de survivre dans cet ersatz de ville civilisée où Gran, très complète, nous fait découvrir la réalité effarante de l’administration de la justice à NOLA.

C’est vraiment un roman très riche, servi par une belle intrigue et que demander de plus ? Un personnage hors du commun, la Nouvelle Orléans, une intrigue très réussie et une auteure au sommet.

Précieux.

Wollanup.

LA VILLE DES BRUMES de Sara Gran aux éditions du Masque

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