Chroniques noires et partisanes

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AU DELÀ DES COLÈRES MUETTES / Editions du Caïman / Collectif

Depuis quelques années les éditions du Caïman font paraître des recueils collectifs à thématiques historiques. « Vive la Commune » par exemple, le très recommandable « Brigadistes » sur la guerre d’Espagne avec un beau sommaire. Cette année, « Au-delà des colères muettes » s’intéresse à la guerre d’Algérie et à la colonisation. Encore une fois la liste des vingt-cinq autrices et auteurs est alléchante. 


Le Zefaff n’avait rien vu venir. Il était mort sans savoir ce qui se passait autour de lui. Affalé au sol dans une position bizarre. Bouche ouverte, yeux révulsés, bras en croix.

 Je suis resté figé à le contempler pendant une dizaine de secondes. Une vie humaine se réduisait à ça au final. Un petit trou rouge au milieu des sourcils. Un troisième œil sur le visage. Rouchdi Berrahma


Rouchdi Berrahma signe un texte puissant avec une histoire simple : un engagement politique, une exécution. Cette nouvelle, écrite par un auteur né en 1990 est une des plus impressionnantes du livre, surtout elle questionne sur ce qu’est l’engagement et sur ses limites, s’il y en a. 

Encore cette question de l’engagement avec la courte nouvelle de l’historienne Éloïse Dreure qui sort de l’oubli la militante communiste Maya Malamant, haïe avec ses camarades parce qu’elle remettait en cause l’équilibre colonial. L’histoire est écrite sur fond de guerre d’Espagne et de montée générale du fascisme.

Le reporter José-Alain Fralon raconte son enfance algérienne dans un contexte de peur, d’attentats. Puis c’est son retour en 1972 dans un pays qui n’est plus le sien mais où tous ses souvenirs reviennent en carambolage. 


Dans « OAS contre DS », François Muraret nous raconte l’attentat du Petit-Clamart au travers  de l’histoire d’un inspecteur, Antoine Sintès, frère du peintre René Sintès enlevé et tué par l’OAS en 1962. Enquêtes, filatures, pots de vin, embuscades, coups de feu, etc, une quinzaine de pages palpitantes. 

 Quant à Ahmed Tiab, sa description de la jeunesse oranaise du début des années 50 est d’une rare violence. 

Thomas Cantaloube nous emmène en Guadeloupe, période gaulliste, sur fond de racisme quotidien, loin des hôtels à touristes. Avec des émeutes ancêtres de celles que l’on voit régulièrement réapparaître.

 La présence de Didier Daeninckx est ici une évidence tant il a œuvré à intégrer dans le polar les thèmes de ce recueil, la colonisation et la décolonisation, les formes d’oppression, le racisme, etc. Il évoque, il rappelle à nos memoires comme souvent, dans deux textes courts regroupés sous le nom « Éliminations coloniales », l’assassinat d’un journaliste martiniquais et le massacre de Thiaroye au Sénégal. C’est, comme souvent avec lui, sobre et juste.

 Dans « Sans valise ni cercueil » de Marion Chemin, une habituée des recueils tendance rock’n roll, une femme parle à son père mort, lui demande des comptes sur ses actes, sur ses silences et ses secrets. En moins de dix pages c’est toute la violente histoire des rapatriés qui éclate, avec dans l’écriture une rare et froide colère. Ce texte résonne avec un livre paru récemment, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » de Raphaëlle Branche, préfacière de ce volume. 

 Aujourd’hui, il y a des choses que j’ignore encore. Des mots que j’aurais préféré t’entendre prononcer plutôt que d’imaginer le pire. Jamais, par exemple, tu n’as prononcé « OAS ». Je ne sais toujours pas si tu as tué des gens avec ce fameux revolver, je ne sais pas si tu as participé aux attentats qui ont fait tant de morts parmi les Algériens, qui ont mis tant de folie dans ce beau pays. Je ne sais presque rien. Surtout, je ne sais pas si tu as regretté un jour. Je pense que non, que tu n’as jamais changé d’avis sur la question de l’Algérie française. Je reste ta fille avec ses doutes, et même mort, tu restes mon père avec ses mystères. Marion Chemin

 Les récits sont de plusieurs formes, en plus des nouvelles classiques, on trouve quelques poèmes, dont un acrostiche de Laurence Biberfeld. Sous la forme du journal intime, Frédéric Bertin-Denis, livre un récit hallucinant de la transformation d’un jeune paysan appelé du contingent et coincé sous les ordres d’une ordure, alors qu’il pensait partir à la découverte d’un pays et y apporter la paix. Ses yeux se dessillent à la découverte de la violence des officiers à l’égard de pauvres gens dans lesquels il se retrouve.
Autre curiosité : l’étonnant roman-photo de Patrick Amand qui ouvre le livre et dans lequel il raconte l’histoire de son père âgé de 21 ans en 1956 qui m’a rappelé le destin de Georges Perec à la même époque.
Patricia et Rachel Mazuy évoquent leur père en mélangeant leurs propres questions aux lettres échangées avec leur mère durant une hospitalisation suite à ses mois de combat. C’est une fois de plus le silence qui est intérrogé ici.

 Que sait-on de sa guerre d’Algérie ? Des bribes, des fragments de choses revisitées, corrigées par la mémoire de chacune d’entre nous. 

 Quand il s’embarque pour le Maghreb depuis Marseille à bord du paquebot Président-de-Cazalet en 1956, il a seulement un peu plus de 21 ans. Il a dû être bléssé à un moment, même si ce n’est pas clair à la lecture de son livret militaire. Patricia et Rachel Mazuy


Le choix, intelligent, du classement alphabétique ignore toute hiérarchie dans les différentes participations. Si tout ne se vaut pas, on est sûr de ne rien laisser de côté, et de faire de belles découvertes. La variété donne aussi une image plus proche des gens d’en bas protagonistes de ces histoires, qui bien souvent ont, au mininum, subi l’Histoire ; ce qui se répète malheureusement encore et toujours.

Cet « Au-delà des colères muettes » est illustré par des affiches, des publicités (le savon La perdrix…), des photos et dessins d’époque dont un éloquent dessin de Jean Effel et bénéficie de dessins réalisés exprès. Là encore la liste est riche, Tardi, Gros, Deloupy, Plop & KanKr, etc, avec un très beau frontispice de Fred Sochard.

NicoTag


Ahmed Tiab place sa nouvelle dans un dancing, on ignore quelle musique y est jouée. Alors je choisis pour lui, un très bon soulman qui n’était pas né au printemps 1951, Curtis Harding !

NOUS SOMMES BIEN PIRES QUE ÇA de Guillaume Audru / Editions du Caïman.

L’auteur Guillaume AUDRU, n’est plus à présenter et a déjà démontré son talent dans ces ouvrages précédents, récompensés à juste titre. « Nous sommes bien pire que ça » est un roman court, brutal, sans concessions. 

Le personnage principal est Simon FLEURUS, un capitaine de l’armée, reconnu pour ces actes d’héroïsme à VERDUN pour avoir sauvé l’ensemble de sa compagnie au péril de sa vie. À la fin de la 1ère guerre mondiale, il n’est plus que l’ombre de lui-même et attend simplement de pouvoir rentrer chez lui. Il n’est plus en phase avec l’armée et ses propres convictions, surtout depuis sa participation aux tribunaux militaires. Il est vu par ses hommes comme le traître qui a condamné bon nombre des siens, jugés comme mutins, au bagne militaire ou au peloton d’exécution.

Le capitaine FLEURUS, usé par la guerre, hanté la nuit par l’image d’hommes déchiquetés, se voit refuser sa demande de retour auprès des siens. Au lieu de ça, sa hiérarchie l’envoie enquêter au cœur d’un bagne militaire, tout au Sud de l’Algérie. Il sera accompagné du Major ZAMBERLAN, l’ordre de mission est non négociable et le départ est immédiat. Paris, Marseille, Alger, une marche à travers le désert d’une semaine puis arrivée au bagne d’OUCHKIR. L’enquête peut commencer, le motif officiel est d’observer le fonctionnement du bagne, le motif officieux est de comprendre pourquoi il y a tant de désertions.

À ce moment clé du roman, on rentre dans l’horreur des bagnes militaires et l’écriture de l’auteur est implacable, rendant l’atmosphère étouffante et difficilement supportable. On assiste au calvaire des condamnés totalement à la merci des Chaouch, ces surveillants de bagne, brutaux et sadique.

Le colonel GARDANNE est le maitre des lieux et voit d’un mauvais œil l’arrivée de FLEURUS, d’autant qu’il comprend peu à peu ses véritables intentions. Le lien entre les deux hommes va se tendre au fur et à mesure des pages. Le Colonel tentant en vain de corrompre FLEURUS, celui-ci ne supportant plus le funeste quotidien du bagne. Les violences, les humiliations, les viols, les tortures, il doit faire son rapport au plus vite. Il se confronte aux hommes, enquête, recense, note et découvre une administration au-dessus de tout sens moral. L’enquête devient une quête de rédemption.

Parallèlement à cet enfer, le roman fait des sauts dans le temps, plus précisément en 1955 ou l’on suit Gabriel FLEURUS, le fils de Simon, sur les traces de son père en pleine guerre d’Algérie. Il vient à la rencontre du Colonel GARDANNE, devenu un vieillard sur la fin. Les échanges entre les deux hommes sont sans équivoque, Gabriel est venu boucler la boucle. La destination finale sera bien sûr OUCHKIR ou il ne subsiste que les ruines du bagne et les stigmates de l’horreur.

Ce roman transperce, prend aux tripes et marque page après page de façon indélébile. Il met en exergue la noirceur de l’Homme de façon remarquable. Absolument un incontournable.

Nikoma

ARRÊTEZ MOI LA d’ Annabelle Lena et Philippe Paternolli / Editions du Caïman.

Alors que notre Tour de France continue en compagnie des éditions du Caïman, nous faisons halte en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Et, plus précisément, en Provence, sur la montagne Sainte-Victoire. Nous aurons pour guides les auteurs Annabelle Léna et Philippe Paternolli, qui nous feront découvrir ces lieux à travers leur roman : Arrêtez-moi là.

Informaticien de génie, Gilles Redon se rend à Paris signer avec un géant de la Silicon Valley le contrat de sa vie. Alors que son TGV entre en gare, un voleur l’agresse et le détrousse de son précieux projet. La vie de Gilles bascule. Le choc. Il se réfugie sur le massif de la montagne Sainte-Victoire. L’enquête sur sa disparition dévoile que rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît. L’agression ne semble pas fortuite. Gilles n’est pas non plus une victime innocente…

Arrêtez-moi là est un roman écrit à quatre mains. Et si certains craignent que ce genre d’exercices se ressent dans la production finale, je ne peux que les rassurer en affirmant que le résultat est largement réussi ! Deux auteurs qui ne font qu’un. L’écriture est homogène – on sent qu’il y a eu un véritable travail de réécriture, que les auteurs ont accordé leurs violons pour que le texte soit fluide et réussi.

L’histoire repose sur le personnage de Gilles, informaticien et créateur d’un logiciel de réalité virtuelle. L’intrigue est simple, car il s’agit d’une enquête. Gilles disparaît, donc la police part à sa recherche. Les raisons de cette disparition sont toutes aussi triviales. Bien évidemment, ce méli mélo est bien mené et loin d’être inintéressant. Certain diront que l’enquête met trop de temps à être résolue, que les auteurs se perdent dans des descriptions très longues d’environnements et de personnages, cela pénalisant le rythme et le suspense. Au contraire, j’ai la conviction que ces « lenteurs » sont voulues et servent à merveille le propos de ce roman.

Il faut dépasser le fait divers et se concentrer sur le profil des personnages, ainsi que les descriptions faites de la Provence et, plus particulièrement, de la montagne Sainte Victoire – une montagne que l’Homme, orgueilleux, pense avoir réussi à dompter. Au contraire, si la montagne est belle, elle est tout aussi hostile.

Gilles la connait, mais pas aussi bien qu’il le pense. Si elle fait « amie » avec lui, elle peut soudainement se retourner contre lui, ce que nous verrons à maintes reprises.

La noirceur des personnages est flagrante. Sympathiques en apparence, tous se révèlent finalement être mauvais par nature. Si ce n’est pas pour finir par ressembler à des animaux. Gilles en est le parfait exemple, mais ce serait réducteur de ne pas s’apercevoir que ses amis, Franck ou encore Samson ne le sont pas aussi. L’un pour l’appât du gain, l’autre pour conquérir une femme, Estelle.

Arrêtez-moi là est un roman où la nature, sous toutes ses formes, est le personnage principal. Il montre que l’Homme est et reste un animal doué d’intelligence, certes, mais peut se montrer tout aussi bestial. Bref, Arrêtez-moi là est un beau roman qui amène à la réflexion sur notre condition d’humain. Et si vous avez aimé Trois saisons d’orage de Cécile Coulon, ce roman y ressemble et ne pourra que vous plaire !

Bison d’or

LES CHIENS DE CAIRNGORMS de Guillaume Audru / Editions du Caïman.

C’est en Ecosse que Guillaume vous emmène. Et je vous conseille de vous habiller chaudement ainsi que d’entreprendre une forte préparation psychologique car ces Chiens de Cairngorms n’ont rien, mais absolument rien de sympathique !

Que se passe-t-il quand deux petits vieux sont libérés de prison pour bonne conduite et cherchent à se venger ? Que se passe-t-il quand deux frères que tout oppose décident de travailler ensemble dans un commerce illégal mais très lucratif ? Que se passe-t-il quand une inspectrice de police, têtue et déçue par ces hommes, se lance sur leur piste ?

C’est en Ecosse que l’intrigue de ce roman prend place. Ce pays semblable à un personnage placé en arrière plan fait office de ring pour l’affrontement dans lequel les personnages vont se jeter. Durant les événements de cette histoire l’hiver bat son plein, et bien que hostile, le paysage parait essayer de faire obstacle à la violence grandissante.

Ici, les régions parcourues par Liam, Roy, Shane, Moira, Eddie, Johnny et Gemma fonctionnent comme des huis clos qu’il faut fuir à tout prix.

L’auteur donne la parole aux personnages tour à tour, les chapitres portent leur nom. Cette structure est particulièrement intéressante car elle nous permet d’apprendre à les connaitre et de découvrir le regard qu’ils portent sur  les autres. D’autant plus que ce procédé n’interfère en rien dans l’évolution de l’intrigue qui nous happe de page en page. En les côtoyant de cette façon, nous découvrons très vite que la plupart de ces protagonistes sont de véritables ordures : vicieux, traitres et pour noircir le tableau, ils sont des salopards de violeurs. Tous sont prêts à tout pour parvenir à leur fin ! Leur but : l’argent pour certains, une femme pour l’autre.

Décrit de cette manière, ils peuvent paraitre stéréotypés mais l’auteur manie la plume subtilement pour leur apporter une dose poétique qui leur permet d’échapper à cet écueil (sans pour autant adoucir l’essence maléfique qui bouillonne en eux). Ils sont lâches.

Est-ce un roman d’hommes ? Cinq bonhommes et deux femmes sont les personnages principaux. Les hommes dans les règles de la loi du plus fort ne font cesse de gueuler, comme des chiens. Les femmes, Gemma et Moira se font plus discrètes et sortent peu à peu de leur cachette pour se révéler être les véritables héroïnes de ce roman. Elles subissent et à l’image des roseaux, se plient pour mieux se redresser. Très vite on s’aperçoit que sans ces femmes, ces hommes ne seraient rien. Ces femmes vous marqueront, j’en suis certain !

Alors que l’Ecosse teinte et pose une frontière dans ce livre, un drame familial se joue dans son cœur. Les protagonistes sont issus de la même famille, d’autres sont amis, et tous sont prêts à en découdre. Les chiens de Cainrgorms porte bien son titre, les animaux n’ont rien à voir là dedans car les vrais chiens sont les hommes.

Un magnifique roman !

Golden Buffalo.

LE SÉCATEUR de Eric Courtial / Editions du Caïman.

Après un premier roman très remarqué, Tunnel, Eric Courtial nous donne un nouveau rendez-vous avec son commissaire lyonnais, Patrick Furnon. Et c’est toujours avec grand plaisir que nous découvrons ou redécouvrons, à travers l’écriture et le polar, une ville et une région.

Alors que Patrick Furnon et sa femme, Coralie rentrent du Mexique, le commissaire se retrouve propulsé dans une affaire de meurtres inquiétants. Le meurtrier signe ses actes d’une manière peu habituelle et semble frapper au hasard. C’est alors qu’une course contre la montre commence pour l’équipe du commissaire.

Le sécateur est un roman policier dont l’intrigue est classique, la police court après un serial killer fort intelligent, mais loin d’être surhumain. Intrigue classique donc, mais qui réserve malgré tout son lot de surprises ; les personnages n’en finissent pas de s’arracher les cheveux.

Le sécateur est un court roman dont le rythme est haletant, les événements s’enchaînent sans heurt (quoique), sans pour autant nous noyer dans une marée de rapidité effrénée. L’auteur nous laisse toujours un peu de temps pour reprendre nos esprits avec des traits d’humour. Cependant, Eric Courtial est moins indulgent avec ses personnages, surtout avec Patrick Furnon.

Parlons des personnages – et quels personnages ! Ce qui est fascinant dans le roman d’Eric Courtial, c’est de voir que ces policiers, ces civils, sont tous humains. Oui, aucun ne tombe dans la fosse à clichés : pas de flic alcoolique ni taciturne, pas de super héros, pas de femme hystérique. Juste des gens qui vivent dans un monde on ne peut plus normal, et qui soudainement sont confrontés à un fou furieux qui les poussera jusque dans leurs derniers retranchements. Des gens normaux, mais à mille lieux d’être des corps vides : ce qu’ils sont, leur caractère, ce qu’ils font, les rendent très attachants et nous permettent de nous identifier à eux. Qui ne rêverait pas d’être Patrick Furnon, cet homme passionné par les requins ?

Un roman divertissant et fort à mettre entre toutes les mains ! Bravo !

Bison d’Or.

LES GENS COMME MONSIEUR FAUX de Philippe Setbon / Editions du Caïman

Nous étonner est une habitude propre aux éditions du Caïman dont nous ne cessons de vanter le travail, auteurs compris. Et Les gens comme Monsieur Faux de Philippe Setbon ne déroge pas à la règle. Au noir, ajoutez-y un peu d’humour ainsi qu’une dose de philosophie. De cette alchimie, ce roman distingué vous tombera entre les mains.

Au chômage, largué par sa femme partie avec son associé, le jeune Wilfried Bodard a décidé d’en finir et de se jeter dans la Seine. Alors qu’il s’apprête à plonger dans les eaux sombres, il est interrompu par un élégant sexagénaire, M. Faux.
Wilfried ne va pas se suicider cette nuit-là, mais sa vie va basculer dans un long puits sans fond : car M. Faux, sous ses dehors affables, est un prédateur, un tueur en série implacable, qui commence à faire le vide autour de Wilfried. Pourquoi ? Parce qu’il l’a pris en affection. Mais aussi parce qu’il ressent le besoin de transmettre son « art » et qu’il croit avoir trouvé en Wilfried le disciple idéal.
Alors que les cadavres s’accumulent, Naomie une jolie capitaine de police se met à rôder autour de Wilfried, à la fois attirée par lui et le soupçonnant d’être l’insaisissable assassin de jeunes femmes qui écume Paris et ses environs.
Tiraillé entre les plans machiavéliques et la présence de plus en plus menaçante de M. Faux et sa relation compliquée avec Naomie, Wilfried va devoir marcher sur une corde raide, très raide, pour s’arracher à ce cauchemar sans fin.

Wilfried est un personne qui a tout perdu, femme, emploi et amis. Il est en proie au désespoir. On ne peut pas parler de personnage déprimé mais plutôt, ça se vérifiera au cours du roman, d’un homme spleenétique. Oui, Wilfried Bodard, dans son immense détresse est un personnage poétique.

Nous le suivons des quais de Seine jusqu’à cette rencontre avec Monsieur Faux en passant par quelques déambulations dans Paris suivis de quelques arrêts chez papa et maman. Wilfried se laisse porter, se laisse faire, se laisse manipuler.

Et ce n’est pas anodin que Wilfried Bodard rencontre Monsieur Faux sur les bords de Seine, quelques instants à peine avant de se suicider. Qui dans un accès de désespoir n’a pas souhaité tout foutre en l’air ? Qui n’a pas laissé son inconscient ou une force extérieure inexplicable prendre l’ascendant sur sa conscience pour le pousser à faire quelque chose de regrettable ? C’est un état d’esprit que Monsieur Faux à bien compris et sait manipuler.

Monsieur Faux est un élégant sexagenaire maniéré et imbu de sa personne.. En somme, Monsieur Faux est un trancheur de gorge détestable. Et Monsieur Faux songe à transmettre son savoir en vue d’une retraite prochaine alors quoi de mieux que de sélectionner un âme perdue et faible. Monsieur Faux va tourmenter Wilfried, le pousser dans ses ultimes retranchements afin qu’il commette l’irréparable. Il détecte en Wilfried un tueur né. Pour Wilfried c’est le début d’une période de peur et de rage, un cercle vicieux qui le plonge dans le mensonge et la fuite.

Au cours de notre lecture on se demande si Monsieur Faux n’est pas un personnage inventé de toutes pièces par Wilfried à l’image de ce diable dans une bulle qui en pousse certain à commettre de grave méfait dans les bandes dessinées.

On se demande si Monsieur Faux n’est pas cet élément perturbateur pourtant annonciateur d’une aube meilleure ou plutôt le passage de l’adolescence à l’âge adulte. C’est ce qu’il semble être dans cette histoire.

Bison d’or.

FOURBI ÉTOURDI de Nick Gardel / Editions du Caïman.

 

C’est toujours un plaisir de retrouver les éditions du Caïman, car leur catalogue réserve souvent de bonnes surprises. Qui plus est, sont originales!

La preuve en est avec Fourbi étourdi de Nick Gardel.

Quelle mauvaise idée a eu Jean-Edouard en volant cette antique DS Pallas dans un parking. Heureusement, il y a cette mallette remplie d’argent. Mais c’est sans compter cet encombrant cadavre de curé déculotté, ainsi que deux fous furieux qui le prennent en chasse.

L’épilogue donne la couleur du roman. Ici, ça va décaper! C’est noir et l’humour est digne d’un bon film de gangsters franchouillard et satirique. Les ecclésiastiques et les maires qui s’imaginent surpuissants ne seront pas en reste!

Dans “Fourbi étourdi”, tout y est – les femmes, au lieu d’être réduites à faire la figuration, deviennent des êtres au caractère bien tranché et bagarreuses. Dans ce roman fou et drôlement noir, les femmes fouettent du curé, abandonnent du camionneur nu sur le bord de la route. Y’a de l’amour et ça fume des joints sur la terrasse.

Et les bonhommes ont tout à leur envier. Surtout José et Gaspard, deux employés municipaux qui se la jouent gros bras, la ringardise incarnée!

Bien évidemment, on ne peut que deviner l’amour que l’auteur a pour ce modèle de DS. La voiture y est traitée comme un personnage à part entière. Et tout le long de l’intrigue, sa carrosserie semble narguer les protagonistes, s’amuser de leur malheur.

Et pourtant, cette rutilante voiture de collection, presque divinité, va conduire Jean-Edouard sur les routes, une fois dans les bras de la superbe Lorelei, en route pour Saint-Jacques de Compostelle.

Fourbi étourdi : un roman à mettre en toutes les mains!

Bison d’Or.

LE VRAI DU FAUX, ET MÊME PIRE de Martine Nougué / Editions du Caïman

Le genre du roman policier nous a habitués aux trafics en tout genre : drogue – humains – œuvres d’art, et cetera. Mais nous a familiarisés avec le trafic de coquillages ? Les huîtres en l’occurrence.

Comme vous vous en doutez ce mollusque a attisé notre curiosité.

La Pointe, un quartier pittoresque de Sète, petit port sur l’étang de Thau. Trois figures locales pas très recommandables ont disparu : le plus gros producteur d’huîtres du bassin, le patron proxénète du café de La Pointe et un petit malfrat coutumier des mauvais coups. La gendarmerie relie ces disparitions aux vols et trafics de coquillages qui se multiplient sur la lagune. Ce n’est pas l’avis de Marceline, vieille militante éco-féministe, qui oriente l’opinion sur les événements pour le moins bizarres qui surviennent depuis quelques temps dans le coin : morts suspectes d’animaux, pluies de pelotes de filaments, odeurs pestilentielles certains jours…

Effectivement, les huîtres nous ont aidés dans le choix de lire ce roman. Mais il serait bien triste de réduire Le vrai du faux et même pire à une histoire de coquillages. Continue reading

LA BALADE ELECTRIQUE D’ EMILY ARCHER de Jof Brigandet / Editions du Caïman

Sam Scott est un créateur de coques de portable et un tueur en série aux modes opératoires divers et variés. Alors qu’il hérite d’une forte somme d’argent, un homme et sa fille lui soufflent l’appartement qu’il convoitait.

Il n’en faut pas plus pour que Sam Scott décide de les tuer.

    Une histoire de tueur en série, encore ? On se demande où va nous emmener l’auteur, Jof Brigandet, et comment il va parvenir à nous proposer une histoire originale. Vous allez être étonnés !

    Au cours de notre lecture, on s’aperçoit très vite que Sam Scott n’est pas tout à fait un archétype de tueur en série. Certes, il est misanthrope, n’aime rien, ne supporte rien, mais n’est pas psychotique. Il n’a rien d’un surhomme, n’est pas pervers, ni n’est dégueulasse. Il aime seulement tuer comme certain aiment jouer aux cartes. Bref, une manière de passer ses nerfs.

    Sam Scott est fortement attachant. Même si il profère des horreurs à Emily Archer, handicapée physique, brillante jeune femme, à l’image du génial physicien Stephen Hawking.

Et Emily Archer ne se laissera pas faire ! Les deux protagonistes vont se donner du fil à retordre !

    La balade électrique d’Emily Archer est bien sur un polar. L’intrigue est classique et nous tient  en haleine. Comment ne pas être intrigué par ce que vont faire nos deux protagonistes pour régler leurs comptes ?

Et quoi de mieux qu’une intrigue classique pour nous mener en bateau et nous offrir un final haut en couleur !

Le discours oscille entre première personne, la parole de Sam Scott, ce qu’il relate prendre forme petit à petit, mystérieux;  et le narrateur à la troisième personne qui relate les faits.

Roman court mais fort, on souhaiterait presque plus !

Et c’est par le biais du polar que l’auteur intègre un thème qui lui semble cher : le handicap physique et l’acceptation de l’autre. Difficile d’en dire plus sans risquer de dévoiler la trame de l’histoire. Cependant, on comprend vite que ces deux personnages cherchant à s’entre-tuer vont tisser des liens intimes et forts. Tous deux vont réussir à combattre leurs démons et vont trouver une certaine rédemption; goûter à ce qu’ils n’ont jamais connu et qui manque cruellement à leur vie.

    Voilà qui est fort : on oublie vite que ces personnages sont différents, on se rappelle qu’ils sont avant tout humains. Et qu’ils ont de la suite dans les idées !

Dans « La balade électrique d’Emily Archer », tout est savamment dosé : on ressent de l’angoisse, de la colère, on rit. Il y a aussi de la tristesse. On tomberait presque amoureux. Enfin, ce roman rend heureux et nous permet de nous poser de bonnes questions.

En bref, la balade d’Emily Archer est un roman JUBILATOIRE ! A lire ! Et chapeau bas l’artiste !

Bison d’Or.

LES OMBRES INNOCENTES de Guillaume Audru / Editions du Caïman

« Les ombres innocentes » est le deuxième roman policier du Poitevin Guillaume Audru dont le premier « l’île des hommes déchus » également aux Editions du Caïman avait connu un franc succès critique si j’en crois les billets lus sur le web.

« Massif Central, été 2013. Un vieillard est retrouvé hagard sur une route de Corrèze. Il a été frappé mais refuse de dénoncer ses agresseurs. Dans une ferme du plateau de l’Aubrac, une femme âgée, pendue à un croc de boucher de sa propre ferme, est découverte par son fils. Dans une clinique psychiatrique proche de Clermont-Ferrand, une femme oubliée de tous hurle sa haine. Trois affaires sans lien apparent. Trois personnes dont la vie va basculer. Matthieu Géniès, journaliste dans un canard de Corrèze. Serge Limantour, gendarme revenu de tout. Jeanne Roussillon, aide-soignante qui, jour après jour, tente de comprendre le mal qui ronge sa patiente. »

Alors, direz-vous peut-être, si cette profusion de romans ayant pour cadre nos belles régions commence à vous irriter. encore un polar rural. Oui mais, « les ombres innocentes » est un très bon bouquin ouvrant sur un scandale méconnu et caché de la cinquième république qui n’ayant pas fait de victimes « comptabilisables » restera comme un épiphénomène, une erreur regrettable et on fera fi des dommages psychologiques des victimes, on oubliera les relents puants de colonialisme que cette hérésie aura ravivés et développés avec le soutien de tous les organismes étatiques.

Ce triste et lamentable épisode ne peut être plus expliqué puisqu’il est le centre de l’intrigue et la lecture du roman vous apprendra avec horreur comment on peut fabriquer des « monstres » ordinaires avec l’aval des autorités de la République comme de la hiérarchie de l’Eglise toujours prompte à l’aveuglement pour une opération à gerber digne d’une époque qu’on pourrait penser révolue depuis des siècles ou tout au moins des décennies.

Loin des romans de plus en plus fréquents où des auteurs citadins veulent nous enseigner la vie dans nos campagnes, ses beautés, ses misères, ses « taiseux. » comme si accablés par la rudesse de la vie, les « ruraux » ne communiquaient pas ou plus…le désert français ancré dans le 19ème siècle, « les ombres innocentes » dresse, lui, un portrait de la Creuse et de la Lozère réaliste, convaincant si j’en crois mes souvenirs de la région.

Si le décor est bien planté, les personnages principaux paraissent aussi tout à fait crédibles authentiques avec leurs forces, leurs failles, leurs faiblesses, rien de bien brillant à montrer, pas de grande originalité, des gens que l’on pourrait côtoyer, des « héros » ordinaires d’une part et de braves gens d’autre part qui s’avèrent, eux, être de belles saloperies.

Et tout cela donne un roman qui se lit d’une traite grâce à la maîtrise d’un Guillaume Audru monstrueusement humain qui propose une intrigue très convaincante qui vous laissera pantois devant ces  horreurs perpétrées  au nom de la grandeur de la chère patrie.

Atterrant.

Wollanup.

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