Depuis quelques années les éditions du Caïman font paraître des recueils collectifs à thématiques historiques. « Vive la Commune » par exemple, le très recommandable « Brigadistes » sur la guerre d’Espagne avec un beau sommaire. Cette année, « Au-delà des colères muettes » s’intéresse à la guerre d’Algérie et à la colonisation. Encore une fois la liste des vingt-cinq autrices et auteurs est alléchante.
Le Zefaff n’avait rien vu venir. Il était mort sans savoir ce qui se passait autour de lui. Affalé au sol dans une position bizarre. Bouche ouverte, yeux révulsés, bras en croix.
Je suis resté figé à le contempler pendant une dizaine de secondes. Une vie humaine se réduisait à ça au final. Un petit trou rouge au milieu des sourcils. Un troisième œil sur le visage. Rouchdi Berrahma
Rouchdi Berrahma signe un texte puissant avec une histoire simple : un engagement politique, une exécution. Cette nouvelle, écrite par un auteur né en 1990 est une des plus impressionnantes du livre, surtout elle questionne sur ce qu’est l’engagement et sur ses limites, s’il y en a.
Encore cette question de l’engagement avec la courte nouvelle de l’historienne Éloïse Dreure qui sort de l’oubli la militante communiste Maya Malamant, haïe avec ses camarades parce qu’elle remettait en cause l’équilibre colonial. L’histoire est écrite sur fond de guerre d’Espagne et de montée générale du fascisme.
Le reporter José-Alain Fralon raconte son enfance algérienne dans un contexte de peur, d’attentats. Puis c’est son retour en 1972 dans un pays qui n’est plus le sien mais où tous ses souvenirs reviennent en carambolage.
Dans « OAS contre DS », François Muraret nous raconte l’attentat du Petit-Clamart au travers de l’histoire d’un inspecteur, Antoine Sintès, frère du peintre René Sintès enlevé et tué par l’OAS en 1962. Enquêtes, filatures, pots de vin, embuscades, coups de feu, etc, une quinzaine de pages palpitantes.
Quant à Ahmed Tiab, sa description de la jeunesse oranaise du début des années 50 est d’une rare violence.
Thomas Cantaloube nous emmène en Guadeloupe, période gaulliste, sur fond de racisme quotidien, loin des hôtels à touristes. Avec des émeutes ancêtres de celles que l’on voit régulièrement réapparaître.
La présence de Didier Daeninckx est ici une évidence tant il a œuvré à intégrer dans le polar les thèmes de ce recueil, la colonisation et la décolonisation, les formes d’oppression, le racisme, etc. Il évoque, il rappelle à nos memoires comme souvent, dans deux textes courts regroupés sous le nom « Éliminations coloniales », l’assassinat d’un journaliste martiniquais et le massacre de Thiaroye au Sénégal. C’est, comme souvent avec lui, sobre et juste.
Dans « Sans valise ni cercueil » de Marion Chemin, une habituée des recueils tendance rock’n roll, une femme parle à son père mort, lui demande des comptes sur ses actes, sur ses silences et ses secrets. En moins de dix pages c’est toute la violente histoire des rapatriés qui éclate, avec dans l’écriture une rare et froide colère. Ce texte résonne avec un livre paru récemment, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » de Raphaëlle Branche, préfacière de ce volume.
Aujourd’hui, il y a des choses que j’ignore encore. Des mots que j’aurais préféré t’entendre prononcer plutôt que d’imaginer le pire. Jamais, par exemple, tu n’as prononcé « OAS ». Je ne sais toujours pas si tu as tué des gens avec ce fameux revolver, je ne sais pas si tu as participé aux attentats qui ont fait tant de morts parmi les Algériens, qui ont mis tant de folie dans ce beau pays. Je ne sais presque rien. Surtout, je ne sais pas si tu as regretté un jour. Je pense que non, que tu n’as jamais changé d’avis sur la question de l’Algérie française. Je reste ta fille avec ses doutes, et même mort, tu restes mon père avec ses mystères. Marion Chemin
Les récits sont de plusieurs formes, en plus des nouvelles classiques, on trouve quelques poèmes, dont un acrostiche de Laurence Biberfeld. Sous la forme du journal intime, Frédéric Bertin-Denis, livre un récit hallucinant de la transformation d’un jeune paysan appelé du contingent et coincé sous les ordres d’une ordure, alors qu’il pensait partir à la découverte d’un pays et y apporter la paix. Ses yeux se dessillent à la découverte de la violence des officiers à l’égard de pauvres gens dans lesquels il se retrouve.
Autre curiosité : l’étonnant roman-photo de Patrick Amand qui ouvre le livre et dans lequel il raconte l’histoire de son père âgé de 21 ans en 1956 qui m’a rappelé le destin de Georges Perec à la même époque.
Patricia et Rachel Mazuy évoquent leur père en mélangeant leurs propres questions aux lettres échangées avec leur mère durant une hospitalisation suite à ses mois de combat. C’est une fois de plus le silence qui est intérrogé ici.
Que sait-on de sa guerre d’Algérie ? Des bribes, des fragments de choses revisitées, corrigées par la mémoire de chacune d’entre nous.
Quand il s’embarque pour le Maghreb depuis Marseille à bord du paquebot Président-de-Cazalet en 1956, il a seulement un peu plus de 21 ans. Il a dû être bléssé à un moment, même si ce n’est pas clair à la lecture de son livret militaire. Patricia et Rachel Mazuy
Le choix, intelligent, du classement alphabétique ignore toute hiérarchie dans les différentes participations. Si tout ne se vaut pas, on est sûr de ne rien laisser de côté, et de faire de belles découvertes. La variété donne aussi une image plus proche des gens d’en bas protagonistes de ces histoires, qui bien souvent ont, au mininum, subi l’Histoire ; ce qui se répète malheureusement encore et toujours.
Cet « Au-delà des colères muettes » est illustré par des affiches, des publicités (le savon La perdrix…), des photos et dessins d’époque dont un éloquent dessin de Jean Effel et bénéficie de dessins réalisés exprès. Là encore la liste est riche, Tardi, Gros, Deloupy, Plop & KanKr, etc, avec un très beau frontispice de Fred Sochard.
NicoTag
Ahmed Tiab place sa nouvelle dans un dancing, on ignore quelle musique y est jouée. Alors je choisis pour lui, un très bon soulman qui n’était pas né au printemps 1951, Curtis Harding !
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