Sérendipité, ou le don de faire par hasard des découvertes fructueuses à l’instar d’une forme de disponibilité intellectuelle tel Alexander Fleming et sa découverte de la pénicilline, reste le terme décrivant le profil d’artiste qu’était Alain Bashung. Il était l’artiste dans son essence. De son ouverture d’esprit musical, de cette soif insatiable de jouer des mots, de les entendre chanter, de son absence totalitaire de frontières. En étant en perpétuel remise en question, intransigeant avec lui-même et avec les autres mais toujours dans un relationnel attentif à son prochain, le souci de diriger sans heurts, ni démonstration. C’est ce que propose de nous dévoiler cet ouvrage au creux d’une genèse, sur le sentier de sa création et le berceau de son éclosion.

C’est un soldat sans joie qui s’attelle en 1996 à l’élaboration de son dixième album studio. Alain Bashung doit surmonter alors un épisode douloureux qui infuse et enrichit les textes ciselés avec Jean Fauque, mais tous deux prennent toujours soin de brouiller les pistes. Sur le plan musical aussi, Bashung souhaite rester insaisissable : il multiplie les ateliers expérimentaux confiés à des musiciens encouragés à le surprendre. Compagnons de route de longue date ou nouveaux venus dans son univers, chacun donnera le meilleur de lui-même pour accompagner cette voix respectée du rock à la française.

L’objet de ce livre est de donner à voir ce processus de création, celui d’un album qui concilie simplicité mélodique et complexité harmonique, longue maturation et place faite à la spontanéité, un album qui mêle instruments organiques et sons issus de machines, dessein secret et création collective. Disque de la maturité, disque de l’aboutissement, Fantaisie militaire est surtout une échappée belle.

La sérendipité.

Je pourrais et dois me l’appliquer pour mon entrée dans l’immense oeuvre de ce qui représente depuis des années un totem, une balise, un indispensable, un « couteau suisse » de ma discothèque large, hétéroclite. Car, comme bon nombre, j’ai fredonné à l’envi les « bijou bijou », «  Vertiges de l’Amour », « C’est comment qu’on freine » ou « S.O.S. Amor », mais ma mémoire s’enclenche tel un révélateur pour l’album de 1991 « Osez Joséphine ». Et c’est à partir de ce catalyseur d’émotions que se sont ouvertes les portes d’un être doué d’une humanité profonde ourdie par une enfance et adolescence chaotiques qui jalonneront ses créations de petites pierres blanches, références à son histoire.J’ai personnellement des attaches particulières avec l’homme et sa vie dans un domaine privé. L’artiste me touche mais l’homme de même. J’ai souvent pensé qu’il était le prolongement d’un autre grand, Serge Gainsbourg.

Pour en revenir au dit ouvrage, par une écriture bien souvent littéraire où transparait l’émotion de l’auteur, les deux images, qui symbolisent le récit créateur de « Fantaisie Militaire », sont les parallèles avec Arthur Rimbaud et la mise en-avant de la faune et de la flore. Cette  lecture permettra de concrétiser ces liens. Quoiqu’il en soit Alain Bashung possédait des attaches implicites avec l’auteur torturé et son travail des textes, avec son comparse Jean Fauque de la pentalogie « Novice », « Osez Joséphine », « Chatterton », « Fantaisie Militaire » et « L’imprudence », s’appuyait régulièrement sur des références naturalistes, faunesques. Le sens et la substance de cet album s’immiscent pleinement dans la dramaturgie existentielle au sortir de la tournée « Chatterton » et exprime avec une acuité l’architecture, l’assemblage de paroles sur des mélodies. On ne se doute pas du travail consenti afin de conclure un récit sur douze titres….

En nous immergeant dans le processus créatif à tous ses niveaux puis en exposant chaque titre composant le livret d’un album joyau, en y mêlant technique et émotion pures, on ressort de cette lecture ébaubi, transi qui malaxe nos tripes et tel une Ode à la vie on prend un express pour nous demander: « Sommes Nous »? Sans imaginer que La Nuit Je Mens avec Samuel Hall rassuré par cet Angora en 2043, pour autant Mes Prisons ne sont pas Au Pavillon Des Lauriers mais Dehors se joue une Fantaisie Militaire.

BOULEVERSANT!

Chouchou

….et quel titre mettre en-avant pour illustrer l’album….(eh bien celui qu’il jouait pour les rappels lors de ses dernières tournées, la portée des paroles est d’une force en pareil contexte).