Chroniques noires et partisanes

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LE TERRITOIRE SAUVAGE DE L’ÂME de Jean-François Létourneau / L’Aube

Un jeune professeur québécois prend l’avion pour prendre son nouveau poste, dans un coin nord du Québec, le Nunavik. Ces quelques heures de vol lui font se rendre compte de sa totale ignorance des gens parmi lesquels il va vivre et qui pourtant arpentent ces terres depuis des siècles, bien avant ses ancêtres à lui.
Kuujjuak se trouve sur les berges de la Koksoak, proche de la baie d’Ungava et de l’océan Arctique.
C’est un pays de froid, de vent, de glace, sans arbres ou presque.

De là, la vue sur la rivière est magnifique. Tu aurais aimé t’arrêter, prendre le temps de contempler l’endroit où tu venais d’atterrir, où tu allais passer la prochaine année scolaire. Le ciel était immense ; un sentiment de claustrophobie t’a envahi et tu n’as rien demandé. De toute façon, tu n’étais plus certain que tes jambes allaient supporter ton corps si vous sortiez de la camionnette. Toute cette année, dans ce village d’où on ne peut sortir qu’en avion. Toute une année, dans ce village où tu ne connais personne. Toute une année, dans ce village… dans ce village.

L’enfer du nord n’est pas forcément le froid glacial. Ça peut être ce que vit Guillaume en débarquant. Un sentiment de décalage total. Que ce soit avec ce qu’il imaginait, ou rêvait, de la vie dans ces régions, une sorte de vision romantique et surannée ; ou avec les personnes, les Inuit, dont il ne sait rien de la culture ni de l’Histoire, et qui ne sont en rien figés dans un passé idéalisé ou dans un zoo. Ce qu’il découvre est loin de ses certitudes, de tout ce qu’il croit savoir, de ce qu’il n’a jamais appris. Son vertige est aussi inattendu qu’incommensurable.
Jusqu’au déclic qui prend la forme d’une crosse de hockey ; un monde s’ouvre, enfin. Le sport se greffe dans le récit, les pages de matchs et d’après matchs sont ferventes, dures, animales.

Dans un récit parallèle on retrouve Guillaume quelques années plus tard, marié et père, vivant à proximité de la ville mais entouré, pour quelque temps encore, de bois et de forêts. Il se penche sur son passé et regarde sévèrement son présent, ce qu’il laisse derrière lui, et ce qu’il peut transmettre. Guillaume, qui est probablement d’après les pages lues deci-delà un double de l’auteur, a bien la tête dans son époque, mais son cœur est dans une autre, plus rude, plus proche de la nature.
Durant tout Le territoire sauvage de l’âme, Jean-François Létourneau nous raconte, nous donne à voir et à sentir les oiseaux, les animaux, les paysages qu’ils soient de glace ou de bois, tente de lire les ciels selon les moments et les lieux, essaie plutôt bien que mal d’apprivoiser les gens autour de lui avec toujours un sens acéré du détail touchant ; on le sent adossé au nature writing du Rick Bass de Winter ou du Journal des cinq saisons.


Alors certes ce court roman n’a rien de révolutionnaire, ni dans le propos ni dans l’écriture, il manque peut-être de ceci ou de cela, mais J-F Létourneau nous parle, et le roman prend appui sur cette parole limpide, dense. La lecture du Territoire sauvage de l’âme est un vrai moment de plaisir, et je n’ai pas besoin de plus pour l’apprécier et bien démarrer cette nouvelle saison de lectures.

NicoTag

UNE EGLISE POUR LES OISEAUX de Maureen Martineau / L’ Aube

 On est à Ham-Sud, petit village un peu paumé au Québec, Roxanne Pépin en est la mairesse.
Un suisse, Hermann Fiesch, veut installer un zoo, un genre d’arche de Noé dans l’ancienne église. Ces deux-là sont en conflit.
Jessica rend visite aux hommes du coin, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Son jules et mac c’est Dave. Quand Hermann se comporte mal avec Jessica, c’est Dave qui se met en colère.

Il roulait vite, j’avais peur. En approchant du village, je lui ai dit de ralentir. Pas à cause de la vitesse, mais parce que j’avais reconnu la camionnette de Hermann stationnée sur le bord du chemin. L’homme de la situation a freiné sec et est sorti en faisant claqué la portière. Hermann qui avait la tête penchée dans le coffre de son char ne l’a même pas entendu. Il a fallu que Dave lâche un cri. Je me souviens plus quoi. Peut-être « Aye ! », ou « Mon trou d’cul, toé ! » L’autre s’est finalement retourné. J’ai vu ses yeux ronds, sa mâchoire pendante. Il n’avait jamais rencontré Dave. Aucun de mes clients le connaît. C’est une voix au téléphone, pas plus. Fiesch devait se demander qui était l’échalote frisée qui le bavait. 

Ce sont principalement les deux femmes qui nous racontent l’histoire. 

 Roxanne, celle de sa vie de jeune retraitée célibataire responsable de la ville, et celle de son fils schizophrène, Louis-Etienne, voisin de palier de Jessica. 

 Jessica, elle, raconte son édifiante descente aux enfers. Puis elle passe au meurtre d’Hermann et la terrible façon de s’y prendre pour faire disparaître le corps. C’est de loin le personnage le plus abouti du livre, on ressent toute sa fragilité, sa résignation face à la violence de Dave, bien que dans le genre sauvage elle ne laisse pas sa place. Elle est d’une sincérité désarmante, même dans les moments les plus glauques. Elle est un des oiseaux du titre.
Tout se joue dans la manière de raconter, quand l’une est légère, l’autre est détachée, quand l’autre est grave, l’une est résignée.

 Avoue que s’il y avait des Oscars pour les meurtres spectaculaires, je gagnerai le premier prix. Des histoires comme la mienne, tu vois ça juste dans les grandes villes. Mais nous aussi en campagne, on manque pas de couilles. On va être en première de tous les journaux. Ma mère, si elle a oublié que j’existe, tu peux être certaine que la mémoire va lui revenir.
Avec son parler québécois, Maureen Martineau ne s’embarrasse pas de descriptions ni de grandes mises en scène, elle n’hésite même à mettre un peu de côté une histoire de corruption et de pollution qui aurait pu étoffer ce court roman. Elle manie un humour décalé, parfois noir, qui traverse tout le roman jusqu’à une fin qui est tout sauf drôle, parfaitement tragique et qui n’est pas sans rappeler « Le père Noël est une ordure ».
« Une église pour les oiseaux » c’est l’assurance d’un bon moment à savourer.

NicoTag

Tout comme Jessica, lui aussi raconte la vérité, mieux, il la chante avec un sacré groove !

LE POÈTE DE SAFI de Mohamed Nedali / L’ Aube

 « Cest lui l’auteur du faux appel ! tonne le muezzin, écumant de rage. C’est lui le profanateur de la maison d’Allah ! »

 À ces mots, un solide luron d’une trentaine d’années, la barbe teinte au henné, charge Moncef par  derrière et lui assène un violent coup de pied au bas du dos, accompagné d’un « Allahou akbar ! », détonant comme une bombe. Les autres lui emboîtent le pas : les coups de poing et de pied pleuvent de partout avec une bestialité effrayante, suivis d’imprécations, insultes et crachats ; c’est comme si on ouvrait la boîte de Pandore. Face à des scènes pareilles, assez fréquentes dans les rues populeuses, on prend soudain conscience que la plupart de nos concitoyens, quoique souvent d’une apparence moderne et émancipée, tiennent moins de l’homme civilisé que du troglodyte mal dégrossi.« 
 
A Safi, la jeunesse masculine se divise principalement en deux. Les Homo Islamicus d’un côté, et les Égarés de l’autre. Ce qui change est le rapport plus ou moins assidu à la religion. Se trouver entre ses deux bandes n’a rien de facile. Utiliser le minaret pour déclamer des poèmes n’a rien d’une bonne idée. Ça coûte un cassage de gueule en règle à ce pauvre poète de Moncef.

On rembobine pour retracer la brève vie de Moncef, lui « Le poète de Safi », racontée avec drôlerie par Mohamed Nedali. Sa description de la société marocaine est pleine de coups de griffes.  On voit surtout Moncef et ses deux amis se cogner contre les murs d’une réalité sociale qui ne propose rien à sa jeunesse, et ne veut pas d’eux. D’autant plus s’ils sont poètes, ou même simplement différents. C’est un portrait parfois drôle, voire moqueur, et surtout sombre que dessine M. Nedali. A Safi comme ailleurs rêver est à peu près tout ce qui reste aux gens ordinaires qui ont envie de s’échapper de leur univers, du chemin tracé à l’avance par un déterminisme aussi tenace que buté.

« Peuple borné, peuple ignare, 

Réveille-toi !

Sors de ta léthargie !

Reviens à la vie !

Renais au monde !« 

On retrouve ensuite Moncef au commissariat, en garde à vue, lui le blessé, le tabassé. La suite du portrait vire carrément au noir. Corruption, radicalisation, enfermement commencent à résonner autour de ce pauvre poète. Et surtout, le discours des policiers fait penser aux dystopies comme « 1984 » ou « Fahrenheit 451 ». L’état et surtout la religion répondent à l’ensemble des problèmes quotidiens, s’élever contre est à la fois une hérésie et un non-sens. Le huis-clos de la déposition, quand Moncef est interrogé par deux policiers, surnommés Hercule et Raffarin par l’auteur, est un beau mélange d’humour, de politique, de poésie, de bêtise, et d’éloge de la libre pensée. On se demande quand même comment cela va se terminer.

Le roman n’a de cesse de balancer entre l’humour, l’ironie, et la noirceur sociale. Les amateurs d’enquête peuvent passer leur chemin. Il y a bien un crime mais pas de victime, hormis Moncef. Très vite se pose la question de son devenir immédiat, Mohamed Nedali maintient un certain suspense jusqu’aux toutes dernières pages, tout en décochant des flèches bien acérées n’épargnant personne. 

NicoTag

A plusieurs moments, Mohamed Nedali met son héros dans des impasses. Comme les Kinks.

CECI N’EST PAS UNE CHANSON D’ AMOUR de Alessandro Robecchi / Aube Noire.

Traduction: Paolo Bellomo en collaboration avec Agathe Lauriot dit Prévost

“Carlo Monterossi, homme de télévision, est victime d’une tentative d’assassinat. N’ayant qu’une confiance limitée – au mieux – dans les compétences des équipes de police chargées de l’enquête, il fait appel aux services d’un ami journaliste et d’une spécialiste du numérique pour comprendre qui peut bien lui en vouloir autant. En parallèle, des Gitans justiciers et des tueurs à gages professionnels semblent suivre des pistes similaires.”

Alessandro Robecchi est une des plumes de “Cuore”, un hebdo satirique italien et qui un beau  jour s’est lancé dans l’aventure romanesque. Dès les première pages, on sait que c’était une très bonne initiative. Il fait donc ses premiers pas chez nous avec ce “Ceci n’est pas une chanson d’amour”. La mode du moment est d’emprunter des titres de chansons connues pour nommer des romans. Heu, ce n’est pas toujours réussi même si sans conteste, cela peut attirer l’amateur de musique espérant retrouver dans les lignes l’émoi que ses oreilles ont pu connaître ou un ravivement de souvenirs, plutôt les bons d’ailleurs, pour pouvoir passer un bon moment, quoi. Par exemple, non, je ne ferai pas de délation mais certains artistes décédés n’auraient sûrement pas aimé être associés de leur vivant à certaines niaiseries qui sortent en ce moment . 

Ici, tout de suite, les vieux punks sont alertés, peuvent très bien être la cible d’ailleurs avec l’évocation en titre de l’hymne de Public Image Limited de John Lydon icône punk par excellence. Bon autant leur dire de suite qu’ils seront déçus s’ils comptaient parcourir le roman en pogotant, des épingles à nourrice dans les joues, le tartan en folie, les cheveux vérolés, “No future” et tout le folklore avec force crachats et remugles de Valstar rouge éventée. Le héros de l’histoire est un fan de Dylan et soulage ses maux, qui sont multiples dans l’histoire, avec sa musique et tout le monde reconnaîtra qu’il y a quand même plus furieux que le petit Zimmerman, prix Nobel de littérature…c’est vrai mon dieu!

« …pas une chanson d’amour” n’est pas tout à fait une histoire d’amour, vous êtes prévenus, même si le sentiment est bien présent dans le roman. Pourtant publié par l’Aube Noire, “…chanson d’amour”, n’engendre pas la mélancolie, loin de là. Comme c’est rital, certains pensent déjà farce mais non, tout cela reste très fin, enfin presque, dans l’humour au milieu de nombreux rebondissements et situations tout à fait dignes d’un bon polar qu’il est totalement de surcroît. En aparté, le seul problème de ce roman serait peut-être un titre trop long à écrire une fois qu’on est harassé par la pronominalisation…En Italie,“…amour” a été comparé à Scerbanenco avec qui il partage le décor milanais c’est un fait mais il n’y en a pas vraiment d’autres et puis à Lansdale et là, c’est une preuve accablante que la coke fait encore des ravages dans les milieux journalistiques. Et les toxicos  du “Corriere de la Serra”, fiers comme une ambassadrice des pôles, n’ont pas peur ni honte d’ajouter “ peut-être même avec une pincée de Stieg larsson”. Pas d’inquiétude, la dézinguée de Millenium est absente du tableau suffisamment agité sans elle.

“…r” est juste, et c’est déjà beaucoup, une très sympa comédie policière qui envoie pas mal et dont la lecture fait souvent sourire voire rire malgré le funeste des événements. Il y a du suspense mais on n’est pas vraiment inquiet pour Carlo, sa mort plomberait l’ambiance et la carrière du roman. Non, à l’approche de la fin, on se demande juste comment l’auteur va bien pouvoir mettre fin à ce dawa, à cette course à la mort menée par des gitans bien remontés et des tueurs pince sans rire et c’est le moindre mal, nullement inquiétés par de flics indolents ou incapables ou les deux plus un excellent mytho. Mais il réussit le défi, haut la main et non le doigt dans le cul. Seuls ceux qui auront lu le roman comprendront qu’ici je ne fais nullement usage de vulgarité très mal venue mais juste un emprunt à une situation récurrente du roman. Bref, le roman tient joyeusement la route, ses dialogues flinguent et ses personnages sont très crédibles et attachants.

Après vérification, sept aventures de Carlo Monterossi sont sorties de l’autre côté des Alpes. On attend la suite de ce méchant hallali qui fait oublier plaisamment que c’est la rentrée.

Clete.

PS: en cadeau , la plus belle des chansons d’amour.

GASA-GASA GIRL de Naomi Hirahara/ éditions de l’Aube Noire

Traduction: Benoîte Dauvergne.

Déserter sa ville des anges pour la big apple c’est déjà une épreuve mais en plus quand son lieu de villégiature le met au prise avec un crime entraînant sa descendance, là l’amertume, le désarroi enveloppent d’un linceul un banal jardinier.

« Depuis toujours, la fille de Mas Arai, Mari, est Gasa-Gasa – incapable de rester assise, toujours en mouvement.Et Mas, occupé à entretenir des pelouses et faire table rase de son passé de rescapé de Hiroshima, n’a jamais eu beaucoup de temps à lui consacrer.Mari est donc partie à New York et ne parle plus à son père.Un jour, pourtant, elle l’appelle à l’aide. Mas est aussitôt entraîné dans une série de situations surprenantes : il tombe sur un cadavre dans un ancien bassin à carpes.La victime est un millionnaire qui tentait de restaurer le jardin japonais d’une vieille propriété de Brooklyn.Rapidement, Mas repère les indices ignorés par la police, mais son instinct le pousse à se taire. Seulement, l’affaire finit par éclabousser sa famille. Le vieux jardinier passe donc à l’action. »

Des retrouvailles entre un père et sa fille confèrent déjà un point d’achoppement  en préambule du récit. Leurs liens sont distendus et Mas comprend rapidement que la raison de sa venue n’a pas de rapport avec un éventuel tissage réparateur.

L’ouvrage est le second d’une probable série mais la non lecture d’une première acte n’obère pas la plongée dans le second. L’auteur née en 1962 en Californie est d’origine nippone et ses parents ont grandi à Hiroshima. Ce point a une importance, modeste certes, dans des allusions à l’existence des Nisei, les américano-japonais de première ou seconde génération ou lesKibei, japonais nés aux USA mais ayant grandi au Japon et de retour sur le sol à la bannière étoilée.

Face à la placidité, la retenue, la bienséance de la culture nippone, l’enquête menée par notre jardinier revêt des paradoxes face au crime et aux péripéties rencontrées au décours de celle-ci. Son bon sens ainsi que son don d’observation, de déduction le placent dans une dynamique propice à la compréhension des composantes multiples et ramifiées des indices.

On est bien face à une écriture, une ambiance typique du pays du soleil levant. De ce crime et ses motivations, ainsi que ses problématiques satellites, l’auteur nous porte par son style poétique, ses couleurs pastels, sa capacité à édulcorer une situation dans ce qu’elle possède de plus sordide. La lecture reste douce, coule telle un ruisseau entouré d’une végétation chlorophyllée dans un agencement harmonieux de pierres polies  en créant une estampe d’Hokusai.

Roman noir coloré laissant la place à une incontestable douceur.

Crime et botanique !

Chouchou.

PLUIE DES OMBRES de Daniel Quiros aux éditions de l’Aube

Traduction : Roland Faye

Daniel Quiros est un écrivain costaricien vivant en Pennsylvanie où il enseigne la littérature espagnole à l’université. Ce livre est son deuxième roman. On y retrouve son enquêteur : Don Chepe, ex-guérillero et détective occasionnel. Je le découvre moi, mais cet opus est indépendant, il se lit et s’apprécie même sans avoir lu le premier.

« Costa Rica. Le corps d’un jeune homme est retrouvé, ­mutilé, au bord d’une route à quelques mètres d’une école. La ­police en fait peu de cas car c’est un Nica, un immigré du ­Nicaragua, et il y a de la drogue dans le ventre du cadavre…

Ce devait être encore un narcotrafiquant. Sauf que.

Sauf que Don Chepe connaissait le garçon, et qu’il n’était certainement pas un dealer. Épaulé de son fidèle Gato, l’ex-guérillero devenu détective à ses heures se lance à la poursuite des coupables. »

L’histoire se passe dans la province du Guanacaste au bord de L’Océan Pacifique, c’est la saison des pluies et Daniel Quiros sait sacrément bien nous mettre dans l’ambiance… Les trombes d’eau continuelles, les routes défoncées, les petits villages de pêcheurs du Guanacaste dont la vie est à l’arrêt pendant cette saison… on y est ! On ressent la moiteur de cette saison des pluies.

La pluie tape sur le système de Don Chepe, le narrateur, ancien guérillero vieillissant et revenu de tout mais qui ne peut se contenter de l’indifférence des autorités face au meurtre d’Antonio, un jeune homme qu’il connaissait, dont le cadavre détrempé a été retrouvé entre deux averses à côté de sachets de drogue. Les indices éventuels emportés par la pluie…

On découvre très rapidement que le Costa Rica, la « Suisse d’Amérique centrale » n’est pas le paradis écolo-pacifique que l’on aurait aimé découvrir… Cette province, paradis vert des riches touristes et des surfeurs, Daniel Quiros va nous en dévoiler des côtés sombres, extrêmement sombres et violents…

D’abord ce racisme anti-Nica, car beaucoup de Nicaraguayens pauvres sont venus chercher du travail dans cet Eldorado voisin. Et dire qu’ils ne sont pas les bienvenus est un euphémisme, les insultes ne précèdent que de peu les coups (de poing ou de machette !). L’amalgame Nicas/narcos est courant (il nous rappelle bien des choses… chaque pays a ses « Nicas » !) et bien utile pour justifier l’inaction de la police…

Ensuite la corruption… la police, toutes les administrations… Le développement du tourisme qui est devenu la première source de revenus du pays, devant l’exportation de plantes et fruits tropicaux, brasse des capitaux colossaux avec bien sûr l’opportunité de blanchiment d’argent, le Costa Rica est sur la route de la drogue qui remonte vers les Etats-Unis. Les grands complexes touristiques se développent en permettant toutes les magouilles et tous les trafics. Et si, côté clients, les promoteurs insistent sur le caractère écolo et durable de leurs installations, côté population locale, c’est une autre histoire ! Gare à ceux qui s’opposent aux projets ! Déjà, ils sont peu nombreux, les pauvres goûtent et apprécient le confort qu’un peu d’argent peut leur procurer et c’est bien connu : l’argent n’a pas d’odeur. Les rares qui s’y risquent sont à la merci d’accidents malheureux.

Enfin la violence… omniprésente, quasi naturelle : on dégaine, on sort la machette, on démolit à coup de couteaux, de poings. C’est la manière locale de régler un problème ! Don Chepe et le Gato, son acolyte ne sont pas en reste !

Daniel Quiros livre un portrait du Costa Rica qui fait froid dans le dos. Il le dévoile habilement au cours d’une enquête très bien construite. Don Chepe va s’acharner à découvrir la vérité en prenant de grands risques. Ce n’est pas un super héros, plutôt un homme désespéré sur le mode rageur ! Ça le rend attachant et on souhaite ardemment sa réussite… On adhère même aux dérapages !

Un solide polar qu’on ne lâche pas !

Raccoon

 

LES PLANIFICATEURS DE Kim Un-Su/Editions de l’Aube

« Hawn-Yeong dans la contrée du tigre ! (Bienvenue) Le voyage promet des découvertes tant culturelles que littéraires… Et le sentiment prévalent au retour du périple reste plus que positif !

Derrière tous les assassinats qui ont marqué l’Histoire, il y a toujours eu des planificateurs. Ils se déplacent et agissent dans l’ombre des pouvoirs.En Corée du Sud, ­depuis l’époque de l’occupation japonaise, la bibliothèque des Chiens a été le trust le plus puissant de l’assas­sinat. Elle doit son nom étrange au fait que dans ce lieu personne ne lit, en dépit des quelque deux cent mille livres qui garnissent ses rayonnages.

Enfant abandonné, Laesaeng a été adopté par père Raton-Laveur, le directeur de ladite bibliothèque. Après la démocratisation du pays, Hanja, autre fils adoptif de père Raton-Laveur et aîné de Laesaeng, fonde une entreprise de sécurité. Avec son ­diplôme de commerce et ses méthodes expéditives, ­Hanja gagne vite des parts de marché face à une ­bibliothèque vieillissante.

La concurrence entre les deux entités mène inexorablement à la disparition de l’une d’entre elles… »

L’avant gout, le préambule de l’écrit m’a remémoré paradoxalement l’ouverture de “ La position du tireur couché” de Jean Patrick Manchette meme souci du détail, d’une description fouillée et enrobée d’une plénitude de lecture. Cette “mise en bouche”, similaire par certains points dans le fond même de l’oeuvre sus-mentionnée, nous entraine irrrémédiablment vers un jardin des délices du mot, de la phrase, de la poésie. Malgré ce style esthétique, l’auteur sait se parer des codes intangibles du roman noir et s’autoriser des entorses à son phrasé.

C’est pas parce que les WC sont sales qu’on va chier dans son pantalon”

On est dans un engrenage banal d’un “héros” banal dans une violence banale. L’organisation criminelle décrite et, en particulier, la cellule de notre personage central au sein d’une bibliothèque illumine l’ensemble de metaphores directes et indirectes; “Si tu lis des livres ta vie sera pleine de peurs et de honte”.

L’écriture poétique, les fragances des cerisiers fleurs, la delicatesse de l’Asie du Sud-Est, le respect du mot, de la phrase contrebalancent avec justesse et harmonie un “conte” sans pitié et mortifère. Cette simili-banalité confère au tout une alacrité de lecture qui par son cadre m’a rappelé, aussi, mes lectures du Sinologue Simon Leys dans “L’ange et le cachalot” ou autre “Le bonheur des petits poisons”.

Cette lecture, enrichissante, outre m’avoir permis de découvrir un monde , m’aura, par la même, permis la découverte d’une littérature noire armée de circonvolutions imagées et étincelantes.

Combat d’un homme pris dans une gangue qui philosophiquement et humainement s’ouvre à une justice, pour se désolidariser d’un système ancestral hors les lois, hors le respect à autrui!

Chouchou.

 

Entretien avec AHMED TIAB à propos de « le Français de Roseville » chez l’Aube.

Ahmed Tiab est l’auteur d’un premier roman « le Français de Roseville » édité par les éditions de l’Aube paru ce mois de janvier qui m’a plu pour cette découverte de la ville d’Oran à diverses époques contemporaines et aussi pour son héros le commissaire Kémal Fadil personnage humain et dont le comportement nous fait espérer une suite. Voulant en savoir un peu plus sur cet auteur, j’ai posé quelques questions à Ahmed Tiab.

Votre présentation par l’éditeur est très brève et vous ne laissez que très peu de traces sur le net, alors qui êtes-vous Ahmed Tiab?

Difficile de dire qui on est. Le plus simple serait de vous dire que je suis né à Oran en 1965 et que je vis en France depuis 1990. A l’école primaire, j’ai appris le français, j’ai donc depuis le début vécu sous les deux cultures. J’ai fait différents métiers avant de devenir enseignant contractuel . J’insiste souvent sur ce dernier qualificatif car il ne m’enferme pas dans ce métier. J’aime avoir le choix ainsi que la liberté de changer pour continuer à aimer ce que fais. Aujourd’hui j’aime enseigner les langues étrangères, j’aime écrire.

Comment vient-on à l’écriture? Quel est le moment déclencheur?

Mon élément déclencheur pour le premier roman fut le visionnage d’un documentaire sur la rénovation du quartier de la Marine à Oran sur internet. Le réalisateur interrogeait des vieux sur la vie du quartier d’avant. Ils donnèrent tous une version plus humaine de la coexistence difficile certes, entre arabes, français et espagnols à Oran. J’aimais le côté bienveillant de leur récit. En Algérie l’histoire officielle, avec un grand H, est extrêmement cadrée. Trop peut-être.

Comment définiriez-vous votre roman, de façon plus précise que sur la quatrième de couverture ? Est-ce seulement un polar pour vous? Ou ce genre a-t-il juste été un instrument pour parler d’autre chose?

Je pense que l’intrigue polar me sert de prétexte pour parler des travers de la société que j’ai connue. J’avais envie de rendre certaines choses plus simples, voire banales. Décharger les vivants des héritages parfois trop lourds, qui empêchent d’avancer. Chercher l’apaisement et laisser penser que le bonheur du moment n’a que faire de l’histoire, ni de la vérité, fut-elle cruelle.

Votre roman est une ode à Oran, quelques mots amoureux pour décrire votre ville natale?

Je pense que cette ville a été jetée en pâture à l’incompétence générale. Elle mérite d’être élevée au rang de capitale Méditerranéenne comme Barcelone, Marseille ou Beyrouth qui après des décennies de guerre, fleurit pourtant à nouveau intellectuellement et artistiquement.

Pour quelle raison avez-vous quitté l’Algérie en 1990?

J’ai vécu les prémices de l’arrivée des islamistes dans le pays. Je ne voulais pas vivre dans une boîte noire. Claustrophobie.

Vous êtes un observateur et en même temps un acteur de la société française depuis 25 ans. Votre opinion du pays a-t-elle évolué depuis votre arrivée en France, avez-vous remarqué des mutations?

Énormes ! La mondialisation est passée par là. La ville est aujourd’hui surpeuplée (exode rural) et ses murs sont détériorés. L’infrastructure n’a guère évolué et les bidonvilles continuent à fleurir. A croire que la rente gazière, ce n’était que du… vent, justement.

Vous êtes enseignant et vous avez dû échanger avec vos élèves sur les attentats de janvier et de novembre. Comment, avec vos origines et votre confession (Commentaire: si vous n’êtes pas musulman, ce que j’ignore, comment avec les à-priori qui se sont créés en France sur les musulmans, les Arabes et particulièrement les Algériens, vous, au cœur du débat, de façon fortuite, avez-vous pu faire cet effort pédagogique demandé par le ministère) avez-vous traité ces événements?

Non. J’ai préféré laisser aux professeurs d’éducation civique qui sauraient intégrer l’élément dans leurs cours de façon naturelle. J’interviens pour ma discipline pour rappeler les grands principes républicains et la notion de liberté d’expression et de démocratie en des circonstances précises : guerre d’Espagne, Chili 1973, Argentine, Churchill, WWII etc …

Vous semblez bien connaître la société algérienne actuelle et ses problèmes que vous évoquez dans votre roman, retournez-vous souvent à Oran, avez-vous le souhait de retourner y vivre?

J’y retourne tous les deux ans environ. Mon pays c’est là où je vis. Je suis Français, mes enfants aussi. Mes amis, mes passions, mon jazz.

Quels sont vos auteurs favoris, lesquels vous ont donné envie d’écrire, quels auteurs algériens faut-il connaître ?

Je lis de tout. J’aime particulièrement Camus, Amine Maalouf et bien d’autres. Les algériens, il y a Djaout, Feraoun, Yacine, plus proche de nous il y a, Khadra et Maissa Bey.

Et bien sûr, quelle est la question que j’ai oubliée de vous poser ? avec la réponse évidemment ! Tout en vous remerciant de votre disponibilité.

De quoi parlera le deuxième opus « Le désert ou la mer » ?

Vous aurez la réponse en Avril.

C’est moi qui vous remercie pour vos encouragements.

Sans titre 3

Entretien réalisé par mail entre le 24 et le 26 janvier 2016.

Wollanup

LE FRANÇAIS DE ROSEVILLE de Ahmed Tiab/Editions de l’Aube.

 

Ahmed Tiab, enseignant à Nyons signe ici son premier roman aux éditions de l’Aube. Originaire d’ Oran en Algérie, il dresse un portrait attachant de sa ville à différentes époques contemporaines par le biais d’un polar d’investigation tendance cold case.

« Oran, Algérie. Le commissaire Kémal Fadil est appelé sur un chantier de rénovation du quartier de la Marine, où viennent d’être retrouvés des restes humains datant vraisemblablement des années 1960. Il semble qu’il s’agisse d’un enfant qui portait autour du cou un crucifix. L’enquête ne s’annonce pas simple ! En réalité, elle avait été commencée bien plus tôt, menée par des policiers français… »

Ce résumé m’a immédiatement évoqué Indridason et de fait, de par sa belle plume et de par sa narration Ahmed Tiab peut être considéré comme un disciple convainquant du maître islandais dès ce premier essai.

Personnellement, ce roman m’aura permis d’avoir une image d’ Oran moins empreinte de relents de colonialisme. Enfant j’ai fait mes premiers pas incertains dans cette ville, fils d’un militaire en garnison à Oran. Alors cet aspect émotionnel influence peut-être mon comportement de lecteur et de chroniqueur mais j’ai effectivement été séduit par ce roman.

En présentant Oran aux débuts des années 50 au crépuscule des colonies avec l’arrivée d’un Breton, obscur fonctionnaire et personnage central de l’intrigue policière, puis au début des années 60 pendant les années de la Révolution et enfin de nos jours, Ahmed Tiab montre son attachement à la ville, décrit ses gens, son ambiance la faisant ressembler à tant d’autres belles villes méditerranéennes.

Dans une première partie, nous faisons connaissance avec Kémal commissaire de police et de son pote Moss légiste en chef et version algérienne de Clete Purcel par sa corpulence, ses goûts vestimentaires et sa fidélité en amitié. L’environnement du héros ne nécessitait peut-être pas autant de précisions même si c’est l’occasion de rencontrer un homme comme Che Guevara venu soutenir le peuple algérien qui venait de conquérir son indépendance mais aussi de bien asseoir ce qui semble bien être le premier volume d’ une série.

Puis une histoire de sales types racontée avec une plume précise et agréable. Un coup pourri pensé et réalisé par des minables, une tragédie prévisible et un immunité gagnée à la faveur du flou de cette période qu’évoque l’auteur par petites touches montrant les rapports qui régissaient Français et Algériens à l’époque. Si ce n’est absolument pas un polar sur la guerre d’Algérie, elle est néanmoins souvent présente en arrière plan comme les problèmes actuels, d’émigration communs à toutes pays du bassin méditerranéen, de fanatisme religieux.

Une belle surprise.

Wollanup.

PS: j’aurai quand même une question perfide…Pourquoi le crucifix présent sur certaines couvertures trouvées sur le web a-t-il disparu de la couverture officielle du roman  ?

 

 

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